Matthew inspira profondément. Il était à l’heure. Peut-être même arriverait-il le premier. Il régla sa course et sortit sur le trottoir. Il se sentait à la fois nerveux et excité. Il respira de nouveau pour retrouver son calme et poussa la porte du restaurant italien.
6
Le hasard des rencontres
Le temps est le maître absolu des hommes ; il est tout à la fois leur créateur et leur tombe, il leur donne ce qu’il lui plaît et non ce qu’ils demandent.
William SHAKESPEARE
Restaurant Le Numéro 5
New York
20 h 01
Le cœur battant, Emma se présenta au comptoir du restaurant. Elle fut accueillie par une jolie jeune femme au sourire engageant.
– Bonsoir, j’ai rendez-vous avec Matthew Shapiro. Il a réservé une table pour deux.
– Vraiment, Matthew est à New York ? s’exclama la femme. C’est une excellente nouvelle !
Elle regarda sa liste des réservations. Visiblement, le nom de Matthew n’y figurait pas.
– Il a dû appeler directement le portable de mon mari, Vittorio. Cet étourdi a oublié de m’en parler, mais ce n’est pas grave, je vais vous trouver une belle place en mezzanine, promit-elle en quittant son comptoir.
Emma remarqua qu’elle était enceinte. Dans un état de grossesse avancée, même.
– Voulez-vous que je vous débarrasse de votre manteau ?
– Je vais le garder.
– Il est superbe.
– Vu ce qu’il m’a coûté, je suis contente de voir qu’il fait son effet !
Les deux femmes échangèrent un sourire.
– Je m’appelle Connie.
– Enchantée, moi, c’est Emma.
– Suivez-moi.
Elles montèrent les marches d’un escalier en bois qui menait à une mezzanine au plafond voûté.
La restauratrice désigna à sa cliente une table en bordure qui surplombait la salle principale.
– Je vous offre un apéritif ? Avec ce froid, ça vous dirait un verre de vin chaud ?
– Je vais attendre Matthew.
– Très bien, fit Connie en tendant un menu avant de s’éclipser.
Emma regarda autour d’elle. Le restaurant était chaleureux, cosy et intime, dégageant de bonnes ondes. Sur le menu, un petit texte expliquait que l’endroit s’appelait « Le Numéro 5 » en l’honneur de Joe DiMaggio. Lorsqu’il jouait pour les Yankees, le mythique joueur de base-ball portait en effet un maillot floqué de ce numéro. Sur le mur en brique, une photo du champion et de Marilyn Monroe laissait penser que le couple avait autrefois partagé un dîner dans ce restaurant. C’était difficile à croire, mais l’idée était belle.
Emma regarda sa montre : il était 20 h 04.
*
Restaurant Le Numéro 5
New York
20 h 04
– Matthew ! Ça alors, c’est une sacrée surprise ! s’exclama Vittorio en voyant son ami franchir la porte du restaurant.
– Vittorio, ça me fait plaisir !
Les deux hommes s’étreignirent.
– Pourquoi tu ne m’as pas prévenu que tu passais ?
– J’ai appelé Connie, ce matin. Elle n’est pas là ?
– Non, elle est restée à la maison. En ce moment, Paul nous fait des otites à répétition.
– Ça lui fait quel âge déjà ?
– Un an le mois prochain.
– Tu as une photo ?
– Oui, regarde comme il a grandi !
Vittorio sortit son portefeuille de sa poche pour en extraire la photo d’un beau bébé joufflu.
– C’est déjà un solide gaillard, sourit Matthew.
– Oui, c’est grâce à la pizza que je lui mets dans ses biberons ! plaisanta le restaurateur en jetant un coup d’œil sur sa liste des réservations.
– Ah, je vois que tu as demandé à Connie de te réserver notre « table des amoureux » ! Ça alors, j’espère qu’elle est jolie, ton invitée !
– Ne t’emballe pas, tempéra-t-il, gêné. Elle n’est pas encore arrivée ?
– Non, la table est vide. Viens, je t’installe. Je t’offre un apéritif ?
– Non, merci, je vais attendre Emma.
*
Restaurant Le Numéro 5
New York
20 h 16
Matthew Shapiro, vos parents ne vous ont visiblement pas appris que la ponctualité était la politesse des rois…reprocha Emma en regardant sa montre.
De la mezzanine, elle pouvait observer la porte du restaurant. Chaque fois qu’elle s’ouvrait, elle s’attendait à voir entrer Matthew et chaque fois elle était déçue. Elle tourna la tête pour regarder à travers la fenêtre. Il venait de commencer à neiger. Quelques flocons argentés et cotonneux tourbillonnaient dans la lumière des réverbères. Elle poussa un léger soupir puis sortit son téléphone de son sac pour voir si elle avait un message.
Rien.
Après une hésitation, elle se décida à envoyer un courrier depuis son smartphone. Quelques phrases légères qui masquaient son impatience :
Cher Matthew,
Je suis arrivée au Numéro 5.
Je vous attends à l’intérieur.
La pizza aux artichauts, au parmesan et à la roquette a l’air divine !
Venez vite, je meurs de faim !
Emma
*
Restaurant Le Numéro 5
New York
20 h 29
– Eh bien, elle se fait attendre, ta princesse ! remarqua Vittorio en rejoignant son ami sur la mezzanine.
– C’est vrai, admit Matthew.
– Tu ne veux pas l’appeler ?
– Nous n’avons pas échangé nos numéros.
– Allez, ne t’inquiète pas : on est à Manhattan. Tu sais bien que nous autres, New-Yorkais, avons une conception élastique de la ponctualité…
Matthew eut un sourire nerveux. À défaut de téléphoner à Emma, il rédigea un message pour lui signaler son arrivée :
Chère Emma,
Mon ami Vittorio tient absolument à vous faire goûter un vin de Toscane. Un sangiovese produit dans une petite propriété près de Sienne. Il est intarissable sur les vins italiens qu’il considère comme les meilleurs du monde. Venez vite lui rabattre son caquet !
Matt.
*
Restaurant Le Numéro 5
New York
20 h 46
Emma se sentait mortifiée. Ce type était un goujat ! Trois quarts d’heure de retard et pas un mail ou un appel au restaurant pour s’excuser !
– Désirez-vous que j’essaie d’appeler Matthew sur son portable ? proposa Connie.
La restauratrice avait perçu son trouble. Mal à l’aise, Emma bredouilla :
– Je… je veux bien, oui.
Connie composa le numéro de Matthew, mais tomba sur son répondeur.
– Ne vous en faites pas, il va arriver. C’est sans doute à cause de la neige.
Un léger « bip » signala l’arrivée d’un courrier électronique.
Emma baissa les yeux vers son écran. C’était un message d’erreur de type « utilisateur inconnu » qui lui signalait que le mail qu’elle avait envoyé à Matthew n’avait pas pu être délivré.
Étrange…