— En effet. Et alors ?

— Oh alors, monsieur le directeur, ça ne traîne pas, comme vous pensez. À peine le D. 33 est tombé devant moi, tombé du ciel pour ainsi dire, que je me précipite sur lui, que je l’empoigne, que je le couche par terre. « Bouge pas que je lui crie, ou je te casse la figure ». Et je l’aurais fait, monsieur le Directeur, je ne m’en cache pas.

— Le D. 33 s’est débattu ?

— Non, pas du tout, monsieur le directeur. C’est même ça qui m’a le plus surpris. Il s’est laissé coucher sur le sol comme un enfant. Il n’a rien dit du tout. Alors, j’ai appelé le gardien, mais comme il vous l’a dit lui-même, à ce moment-là, le gardien était occupé à donner l’alarme au poste. Ne comprenant rien à ce qui se passait, j’ai pris le D. 33, je l’ai ramené dans sa cellule. J’étais en train de faire une rapide enquête quand vous m’avez demandé.

— Et vous ne savez rien de plus ?

— Rien de plus.

— C’est incompréhensible, murmura le directeur, c’est ahurissant ! Si le D. 33 avait voulu s’évader, une fois parvenu sur le mur de clôture, rien ne lui était plus facile que de sauter hors de la prison. Donc il n’a pas voulu s’évader, mais alors, pourquoi ce commencement de tentative d’évasion ? Pourquoi est-il monté sur ces murs ? Qu’est-ce qu’il dit maintenant ?

— Il dit, répondait le major, qu’il a horriblement mal à la tête et qu’il ne se rappelle rien.

— C’est peut-être bien que le D. 33 a eu une attaque de fièvre chaude ?

— Et la corde lisse, la corde lisse qui était là à point donné, vous l’oubliez ?

— Oh la corde, protestait le major, cela ne prouve pas grand-chose. Justement on répare le chemin de ronde, c’est peut-être bien les ouvriers qui, sans penser à mal l’ont laissée traîner là.

Et le major, qui peut-être ne voulait pas s’attarder à parler de la corde qu’une surveillance plus active aurait permis de déceler, se dépêcha de demander :

— En tout cas, monsieur le directeur, qu’est-ce qu’on va faire au D. 33 ? Va-t-on le punir ? Va-t-on le mettre au cachot ?

M. Van den Goossen, précisément, réfléchissait sur la conduite à tenir.

Il interrogea de nouveau le soldat :

— Voyons, d’après vous, sentinelle, est-ce que cet individu aurait pu fuir s’il l’avait voulu ?

— Oh ça, faisait-il, c’est sûr et certain. Il a eu le temps voulu pour sauter au bas du mur. S’il est revenu à l’intérieur de la prison, c’est qu’il l’a bien voulu.

— C’est bien, pour le moment, on ne punira pas le D. 33, car il n’est pas certain qu’il ait voulu s’évader. Vous pouvez vous retirer gardien, et vous soldat. Restez major.

M. Van den Goossen, demeuré seul avec le major, deux minutes plus tard, s’approcha de lui pour lui souffler à l’oreille :

— Écoutez-moi bien, major, je vais obtenir d’ici peu de temps de l’avancement, donc je ne veux pas de scandale, pas d’histoire à aucun prix dans la maison. Ceci dit, je vous avoue que je ne suis pas tranquille quand je songe à la mystérieuse conduite que vient d’avoir le D. 33. Il faut veiller à ce que rien de pareil ne se reproduise. Je vous recommande en conséquence la plus grande vigilance. Tenez à l’œil ce gaillard-là. Faites tous les jours changer ses gardiens. On ne sait jamais.

— Oui, monsieur le directeur, c’est juste, on ne sait jamais.

Or, tandis que les gardiens et la sentinelle étaient interrogés par M. Van den Goossen, Fantômas, le D. 33 songeait, prostré, dans la cellule solitaire.

« Ai-je eu tort ? Ai-je eu raison ? J’avais reçu cet avis : « cavale-toi, on sera là ». Pourquoi n’était-on pas là ? Pourquoi ceux qui me facilitaient mon évasion et qui m’avaient jeté cette corde lisse, manquaient-ils au rendez-vous ? Ai-je été bien inspiré en redoutant un piège, en refusant de m’évader, en revenant à l’intérieur de cette maudite prison ? Ou bien ce bagne sera-t-il mon tombeau ? Mes complices vont-ils à tout jamais renoncer à me sortir d’ici ? Suis-je condamné maintenant, par mes amis comme par mes ennemis, à la détention perpétuelle ?

12 – L’INQUIÉTANT TRIO

Bébé n’était pas content. Bébé, même, était furieux.

L’apache, tout bonnement, se trouvait couché à plat ventre dans l’étroit espace boueux ménagé entre deux tombes. Bébé était dans un cimetière. Quand il levait la tête, il apercevait au-dessus des deux dalles funéraires qui l’entouraient une perspective étendue de croix blanches, de petites chapelles, de cyprès et de saules.

— Avec ça, continuait Bébé, de moins en moins de bonne humeur, avec ça que je suis en train d’arranger mon complet. C’est tout de même dommage, un habit neuf qui m’a coûté des prix exorbitants. Ah sapristi, en voilà que je ne manquerai pas quand ils se trouveront sur mon chemin, les gens du trio. J’en ai marre.

Bébé qui depuis près d’une demi-heure, en dépit du froid, demeurait accroupi, dissimulé derrière les tombes, se releva prudemment.

— Personne, se répéta l’apache, allons tant mieux.

De tombe en tombe, faisant de grands détours, se courbant quand il traversait des avenues, des espaces découverts, Bébé avança encore, traversant le cimetière entier.

— Total, se dit-il encore, le front soucieux et l’air ennuyé, ils ont beau promettre mais j’ai trois puces dans le dos, et le Fantômas ne s’est pas cavalé.

Bébé, après dix minutes de marche prudente, de manœuvres savantes pendant lesquelles il déploya des ruses de Sioux, avait atteint le mur d’enceinte du cimetière.

— Pas de bonshommes dans le paysage, murmurait la crapule, pas de spectateurs pour applaudir l’acrobate. Allons, c’est décidément de mieux en mieux, comme je n’ai pas envie de faire la quête, je me contrefiche du public. Bonne idée tout de même que j’ai eue en venant faire un tour dans le jardin des mangés-aux-vers.

Au lointain, dans la nuit froide, on distinguait les lumières clignotantes de Louvain. À droite, dressée à une hauteur qui semblait prodigieuse dans la nuit, une lumière vacillait.

— Ça, pensait Bébé, qui cherchait à s’orienter, c’est un disque de chemin de fer, j’ai pas besoin d’en tenir compte. Voyons un peu plus sur la gauche.

Une masse noire indécise se découpait à demi sur le fond sombre du ciel.

— Très peu d’aller à cette villégiature-là, songea encore Bébé, c’est la prison. Merci, j’en viens et j’en ai largement ma claque. Voyons plutôt vers la droite.

Sur la droite, il y avait de hautes maisons lointaines déjà groupées près du mur d’enceinte qui entoure la ville de Louvain. Il y avait surtout une sorte d’amas de masures dont la silhouette parut familière à l’apache.

— Allons toujours prendre un verre de vin chaud à Tivoli-Cabaret, ça n’a jamais fait de mal à personne et trois sous de cordial, ça pourrait me faire du bien pour me remonter le moral.

Un quart d’heure plus tard. Bébé était accoudé à une petite table du Tivoli-Cabaretsur laquelle fumait un bol de punch bouillant.

L’apache but à petites gorgées, heureux de sentir la chaleur brûlante du liquide lui pénétrer le corps.

Or, tandis qu’il buvait, Bébé réfléchissait. Mais ses réflexions n’avaient rien de joyeux.

— Ma foi, s’avouait-il, ce que je comprends de plus clair à ce qui s’est passé, c’est que je n’y comprends rien du tout. En somme voilà mon bilan, le bilan de mes opérations. Je peux me le déposer à moi-même, histoire de tâcher d’y mettre un peu de lumière. Donc, depuis trois jours, pour une fois, sais-tu, comme ils disent en ce patelin-ci, y a trois individus qui m’emboîtent le pas, sans me lâcher d’une semelle, sans me permettre de flâner une seconde. Qui est-ce ces trois individus ? Je n’en ai pas la moindre idée. Mais ce dont je me doute, c’est que tout à l’heure, au moment même où après avoir jeté ma corde lisse, j’attendais que Fantômas s’aboule en douce, si je ne m’étais pas retourné j’allais bel et bien être fait par les trois bonshommes. Ah, les salauds.

Et, de rage, à la pensée du danger qu’il avait couru, ou qu’il pensait avoir couru, Bébé tapait à grands coups sur la table.


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