Que s’était-il donc passé ?

Depuis qu’il entretenait une correspondance mystérieuse avec Fantômas, devenu le D. 33, Bébé vivait dans la crainte perpétuelle d’être surpris, arrêté par quelque policier belge ayant découvert son manège.

Or, au moment précis où Bébé venait d’envoyer la corde par-dessus le mur, il avait distinctement aperçu, à quelques centaines de mètres de lui, trois personnes semblant s’avancer de son côté avec des intentions qui n’étaient que trop faciles à deviner.

Bébé n’avait pas demandé son reste.

— Acre, s’était dit l’apache, v’là la rousse. Paraît qu’y a de l’eau dans le gaz.

Et sans se tenir de plus long discours, abandonnant sa corde, abandonnant même Fantômas, il s’était enfui.

On ne l’avait pas retrouvé, il avait pu sortir sans encombre de la nécropole, maintenant il consommait du vin chaud au Tivoli-Cabaret, tout cela c’était très bien, mais ce n’était pas assez.

À demi rassuré, Bébé se leva :

— Et Fantômas ? Et le trio ? Ah nom de Dieu, il n’y a pas de justice. Je parie bien que Fantômas est encore bouclé et que le trio continue à vouloir me mettre la main sur l’épaule. Demain, pensait l’apache, je tâcherai voir à trouver moyen de télégraphier à Fantômas. Bon, je l’avertirai de la présence du trio, et que ledit trio, ça ne m’encourage pas à continuer mes manigances. Au revoir, monsieur. Fantômas s’arrangera comme il pourra, moi je me tire des pattes. Quitte à revenir dans un mois ou deux pour recommencer à m’occuper du Costaud.

***

À quelque distance de la prison de Louvain, dans une rue montueuse et mal pavée du faubourg, se dressent d’énormes magasins généraux perpétuellement traversés du va-et-vient des charrettes, camions, fardiers, haquets, et ainsi de suite.

Bébé habitait ces magasins généraux. L’apache n’avait pas été long, en effet, à deviner tout l’intérêt que présentait pour lui un semblable emplacement.

— On ne pêche pas une aiguille dans une botte de foin, s’était dit Bébé, c’est bien le diable si l’on me pince dans la multitude de pauvres diables qui turbinent là dedans.

Au-dessus des salles de l’entrepôt proprement dit s’étendaient de vastes greniers. En théorie nul ne devait y coucher, mais en fait l’administration fermait les yeux lorsqu’en hiver quelque pauvre bougre y était découvert, tapi dans la paille tombée d’un emballage. À l’abri du froid, à l’abri du mauvais temps, misérable et peu dangereux.

Bébé installé là le premier jour, ayant apprécié le local, y revenait régulièrement.

Or, cette nuit-là, Bébé ne s’était pas introduit dans le grenier (il était près de quatre heures du matin et les entrepôts à cette heure dormaient presque, désertés par la plupart de ceux qui y avaient à faire) qu’il demeurait figé sur place et claquant des dents.

— Ah nom de Dieu, murmurait l’apache, pirouettant sur lui-même et dégringolant à toute rapidité l’escalier. Nom de Dieu, je ne rêve pas. Les trois bonshommes qui ronflent à ma propre place, c’est les trois types du trio. Ah zut alors, décidément j’en ai marre, je me cavale. Le Fantômas il attendra encore un peu, avant de jouer la fille de l’air.

***

— Nous avons très bien dormi, c’est incontestable, mes chers amis, mais ce n’est pas suffisant. Il faut aviser à faire de la besogne utile, de la bonne besogne et pour cela rédiger une dépêche.

Juve tranquillement, parlant avec l’autorité qui lui était particulière, semblant d’excellente humeur et persuadé que les événements prenaient une tournure excellente, s’entretenait avec Léon et Michel.

— Une dépêche pour qui ? interrompait Léon.

— Vous ne devinez pas ?

— Ma foi non.

— Et vous, Michel ?

— Moi non plus, Juve.

— Eh bien tant pis pour vous. Une dépêche pour Fantômas.

Et comme une stupéfaction passait visiblement dans l’esprit de Léon et de Michel, Juve expliqua :

— Voyons, j’imagine que vous avez bien compris tous les deux ce qui s’est passé hier soir. Bébé, que nous poursuivions depuis quelques jours, s’occupait évidemment, quand nous sommes arrivés, à préparer l’évasion de Fantômas. Bien. À notre venue intempestive, Bébé a pris la fuite, s’est perdu dans les champs et, par conséquent, il n’est pas osé de supposer que Fantômas, en ce moment, doit être malheureux et inquiet, car il est assurément dans la plus complète ignorance au sujet du motif qui a pu amener la non-réussite de son évasion.

Et Juve achevait avec un sourire :

— Tout ceci, mes chers amis, fait qu’il serait de la dernière imprudence et surtout du dernier manque de tact de ne point rassurer Fantômas, c’est pour cela que je veux lui envoyer une dépêche.

Juve riait en achevant ces mots. Léon et Michel, eux, avaient beau faire bonne figure et approuver de la tête, il n’en reste pas moins que les deux agents de la Sûreté ne comprenaient rien aux paroles de leur chef.

— Rédigeons notre dépêche, poursuivait cependant le maître policier.

Juve tira de sa poche une feuille de papier sur laquelle il écrivit quelques mots qu’aussitôt il lut à haute voix.

— Voici ce que je vais télégraphier :

«  Profite demain de tout ce que tu trouveras d’anormal autour de toi, rien à craindre. »

Juve, ayant lu, demandait encore :

— J’espère que vous comprenez ?

Puis, devant la mine surprise de Léon et de Michel, il consentit à s’expliquer, cependant qu’il tirait de sa poche une petite glace dont il frotta soigneusement le verre.

— Mon bon Léon, mon excellent Michel, il est exactement dix heures cinq. Fantômas se trouve dans le préau que nous avons sous cette fenêtre. Bien, je lui passe ma dépêche.

Répétant la manœuvre que Bébé avait employée quelques jours avant, Juve, avec une rapidité qui prouvait qu’il n’en était pas à son premier essai de correspondance lumineuse, envoya sur le mur de la prison, formant écran, les reflets de soleil qui devaient permettre à Fantômas de lire la dépêche. Sa besogne achevée, il avait peut-être mis vingt minutes en tout à transmettre son télégramme, Juve se frotta les mains :

— Et maintenant, disait-il, tirant encore de sa poche une extraordinaire barbe grise, et maintenant, Léon et Michel, écoutez-moi bien. Désormais, nous tenons Fantômas. Demain soir, vous n’aurez qu’à vous trouver près de la prison et à surveiller la sortie des gardiens relevés par l’équipe de nuit. Fantômas sera parmi ces gardiens. Vous le reconnaîtrez à cette barbe grise, vous le suivrez et…

— Ah çà, Juve, demandait Léon, mais c’est donc décidé, Fantômas s’évade ? vous le laissez s’évader ?

Juve eut un sourire énigmatique :

— Si je le laisse s’évader ? mais comment donc, je l’y aide.

Et tandis que Léon et Michel, demeuraient muets de stupéfaction, Juve ajouta d’une voix triomphante :

— Écoutez-moi bien, mes bons amis, écoutez bien mon plan. C’est mon tour d’avoir la victoire, c’est au tour de Fantômas d’expier ses forfaits.

Juve conta par le menu à Léon et à Michel l’extraordinaire plan qu’il avait conçu pour arriver à rendre Fantômas à la justice française, et cela en dépit de toutes les conventions diplomatiques réglant les conditions d’extradition.

Tandis que Juve parlait, dans son grenier des Entrepôts Généraux, Fantômas, sa promenade terminée, avait réintégré sa cellule.

Mais, si le prisonnier était sorti tristement sous la conduite de ses gardiens, c’est avec un visage radieux que le D. 33 avait repris son travail.

13 – FANTÔMAS SORT PAR LA PORTE

M. Von den Goossen, directeur général du bagne de Louvain, avait quelques connaissances des charges incombant à son poste de directeur, et des principes bien arrêtés sur la façon dont il devait se conduire en qualité de fonctionnaire.

Ses principes différaient essentiellement de ses connaissances.

En tant que directeur de prison, M. Van den Goossen était presque un brave homme. Il n’en voulait aucunement aux détenus placés sous ses ordres, et même leur vouait une certaine sympathie, car il songeait non sans une certaine logique que c’était aux détenus qu’on devait les prisons, et aux prisons qu’on devait les places de directeurs.


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