— Jouons serré, s’était dit Fantômas, qui, sans en avoir l’air, surveillait du coin de l’œil l’agent Michel, lequel de son côté, sans prendre la peine de le dissimuler, fixait le bandit avec des yeux flamboyant de haine. Jouons serré, se répétait Fantômas, serrant dans sa poche un revolver chargé, prêt à se forcer un chemin.

Les dispositions des lieux malheureusement ne devaient pas aider Fantômas à prendre la fuite.

Le George-VIIen effet, accostait à Nantes dans un petit port nouvellement construit pour l’accostage du bateau d’Angleterre, et le navire pénétrait entre deux quais si rapprochés l’un de l’autre qu’il les frôlait presque de ses bastingages.

Sur l’un des quais, les matelots jetaient les passerelles destinées au débarquement des voyageurs, sur l’autre quai, une grue haletait, sifflait, faisait un grand bruit de vapeur, prête à laisser filer sa benne dans les cales du George-VII, et à en remonter les bagages et les marchandises que le steamer apportait.

Or, tandis qu’à bout de bras, les matelots jetaient les passerelles, Fantômas ne put s’empêcher de blêmir affreusement.

Sur le pont du navire où il était encore, le bandit venait d’apercevoir Michel se rapprochant de lui.

Sur le quai où, fatalement, il devait débarquer, à l’extrémité même de la passerelle qu’il allait bien falloir qu’il prît, se tenait, il le reconnut parfaitement, l’agent Léon.

Du bateau, Michel criait à Léon, sans prendre le moins du monde la peine de cacher ses intentions, ses projets, un simple mot, un mot lourd de menaces :

— Attention.

Sur le quai, Léon haussa les épaules :

— Tout est paré, chef.

Et déjà, les voyageurs qui entouraient Fantômas et débarquaient en même temps que lui, échangeaient des regards étonnés, se demandant à quel « chef » s’adressaient les affirmations de l’homme posté au bout de la passerelle, et pourquoi il convenait de faire attention.

Or, à la seconde même, à cette seconde où sa capture ne pouvait faire aucun doute, à cette seconde où il était pris, irrémédiablement pris entre Léon et Michel, Fantômas tentait une manœuvre désespérée.

Haletante, la grue venait de laisser filer à l’intérieur des cales du George-VII, la longue chaîne d’acier au bout de laquelle, dans le nœud coulant de deux gros cordages, les matelots arrimaient les malles.

Un coup de sifflet strident déchira l’atmosphère, la grue dans un grand bruit de ferraille hissa les ballots.

C’est à ce moment précis, qu’avec une audace inconcevable, une souplesse qui tenait du prodige et une agilité de clown, Fantômas s’élança.

La passerelle de planches qui joignait le pont du George-VIIaux quais fléchissait sous le poids des voyageurs. Fantômas s’en servit comme d’un tremplin.

Le bandit s’accroupit une seconde, prit son élan, puis, d’un bond incroyable, alla s’accrocher, s’agripper aux malles que la grue, à toute vapeur, portait jusqu’au quai.

Un « ah » de stupeur s’échappa de toutes les poitrines des personnes présentes.

Léon et Michel sacraient l’un à côté de l’autre.

Mais il était déjà trop tard pour intervenir. La grue, pivotant sur elle-même, dominait le second quai de l’autre côté du George-VII. Fantômas n’attendit pas que les bagages fussent descendus, il lâcha prise, il se laissait tomber sur le môle, se reçut sur la pointe des pieds, puis reprenant son équilibre, riant, narguant de son éclat de rire Michel et Léon consternés, il s’enfuit, disparut, en courant le long du port dans la direction de la ville, cependant que les deux policiers, séparés de lui par un bassin, ayant un long détour à faire pour arriver à le rejoindre, s’épuisaient en une poursuite nécessairement vaine.

***

L’express de Paris entrait en gare de Saumur.

— Dix minutes d’arrêt. Buffet. Oreillers. Couvertures. Demandez les journaux illustrés, les journaux de Paris.

Au long du convoi qui s’immobilisait avec peine, dans le grand bruit des freins grinçants, des wagons s’entrechoquant, les employés de la gare, s’empressèrent.

— Dix minutes d’arrêt. Fichtre, c’est désagréable. Ils auraient tout le temps. Hum, parbleu, voilà ce que je craignais. Je ne suis pas encore tiré d’affaire.

Lorsque Fantômas, s’agrippant aux malles hissées par la grue, avait trouvé moyen d’échapper à la poursuite de Léon et de Michel, il s’était immédiatement rendu à la gare de Nantes et là, apprenant qu’un train était en partance, il s’était fait délivrer deux billets, l’un à destination de Saumur, qu’il prit ostensiblement au guichet, l’autre, un billet pour Paris, qu’il envoya chercher par un commissionnaire.

— Parbleu, se disait alors Fantômas, Léon et Michel, sans aucun doute, vont se précipiter à la gare. Ils apprendront qu’un commissionnaire est venu chercher un billet pour Paris et ils ne douteront pas que le voyageur qui n’a pas voulu se présenter au guichet, doit être moi, alors qu’en réalité, muni d’un second billet pour Saumur, je pourrai descendre à cette ville, et me moquer des recherches qu’ils peuvent ordonner par télégraphe à Paris.

Malheureusement, Fantômas n’avait pas pensé à tout.

Dans la précipitation qu’il avait mise à sauter dans le train en partance, il n’avait guère eu le temps d’étudier l’horaire du convoi, et maintenant, il était fort surpris d’apprendre qu’à Saumur, à Saumur où il avait compté descendre pour changer de train et rompre encore une fois la filature, il y avait dix minutes d’arrêt.

— Si Léon et Michel ne sont pas des maladroits, songeait Fantômas, ils ont dû télégraphier de toute urgence à la brigade de la Sûreté générale qui se trouve justement à Saumur, d’avoir à venir épier le train dans lequel je suis monté. Dix minutes d’arrêt, c’est plus qu’il n’en faut aux policiers pour surveiller les voyageurs qui vont débarquer du convoi, pour visiter aussi le convoi et m’arrêter dans mon compartiment, si je commets l’imprudence d’y rester.

Partagé entre deux craintes : celle d’être arrêté dans le train même, celle d’être appréhendé à sa descente de wagon s’il tentait de quitter la gare, Fantômas hésitait.

Il n’hésita pas longtemps, car, sur le quai, son œil averti nota la présence d’une dizaine d’hommes alignés qui étaient certainement des agents de la Sûreté et qui, le train à peine arrêté, s’empressèrent de monter à bord, de fouiller minutieusement les différents compartiments.

— Nom de Dieu, jura Fantômas, je n’arriverai donc jamais à me débarrasser de ces maudits argousins.

Le bandit sauta sur le quai, néanmoins, car, pris pour pris, il estimait avoir encore plus de chances d’échapper aux recherches des agents en se mêlant à la foule des voyageurs qui encombraient les quais qu’en restant dans le rapide.

— Ma parole, pensait le bandit, avant tout, il faut éviter d’être reconnu. Léon et Michel ont dû télégraphier un signalement succinct de ma personne. Si je puis me modifier tant soit peu, j’aurai au moins une chance sur dix d’échapper.

Fantômas, affectant l’allure tranquille d’un voyageur à cent lieues de se douter que des recherches policières sont menées avec la dernière activité contre lui, traversa les quais, avisa un employé :

— À quelle heure le premier train pour Chartres ? demanda-t-il ?

— À cinquante-quatre, répondait l’homme, qui, d’un regard venait de consulter la pendule. D’ailleurs vous n’avez pas à vous presser, monsieur, le train de Chartres part immédiatement derrière le rapide de Paris.

— Merci.

Et, moins inquiet, le bandit se dirigea vers les lavabos.

— Voici ma première chance, songea-t-il, depuis ma sortie de Louvain. Évidemment, ce serait de la dernière imprudence pour moi de vouloir sortir de cette gare dont les issues doivent être gardées. Ce serait folie aussi de remonter à bord du train qui vient de m’amener ici. Ou je me trompe fort, ou les agents de la Sûreté vont partir avec lui, et en cours de route, recommenceront à vérifier l’identité des voyageurs. En revanche, qu’est-ce qui m’empêche de sauter dans le train de Chartres ? À quelque petite station j’appellerai le conducteur du train, je lui déclarerai que je n’ai pas de billet, cela arrive journellement, cet homme ne s’en étonnera pas et, ma foi, j’en serai quitte pour descendre à une halte, à un village de petite importance où, j’imagine, nul ne sera avisé du passage de Fantômas, puisqu’en somme je ne serai plus sur la ligne où Léon et Michel doivent normalement me croire en ce moment.


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