Cinq minutes après son départ de la cave du calorifère, Fantômas était dans la rue, libre, exultant.

14 – LA TRAQUE

Le train sifflait. Traversant à toute vitesse la campagne habituelle des pays belges, simple mais proprette, l’express, de toute sa puissance, se précipitait en avant.

C’était, aussi bien, un express de luxe, l’express qui assure le service de Bruxelles à Ostende, l’express qui unit la capitale de la Belgique aux bateaux qui partent de la côte belge à destination de l’Angleterre.

Il y avait peu de monde dans le train, le commencement de l’hiver n’étant guère la saison où l’on voyage de préférence, mais, cependant, en seconde classe, une certaine quantité de voyageurs s’était installée, dans les wagons à couloir, et tant et si bien que depuis le départ de la gare de Bruxelles, longeant tout le train, visitant tous les compartiments, deux inconnus ne pouvaient en découvrir un pour causer tranquillement.

Ces deux hommes, vêtus fort simplement, mais cependant avec un certain confort, coiffés de chapeaux melons, sanglés de longs pardessus noirs, chaussés de lourdes bottines, poussèrent un soupir de soulagement en découvrant enfin un compartiment vide.

— Ma foi, chef murmurait l’un d’eux, je désespérais de trouver une retraite où pouvoir prendre tranquillement vos instructions.

Celui des deux voyageurs que son compagnon venait d’appeler « chef », haussa les épaules, disposa sur les banquettes deux petits sacs de cuir jaune qui constituaient tout son bagage.

— Bah, il ne faut jamais désespérer de rien, mon vieux Léon. Au fait, pendant que j’y songe, ne m’appelez donc pas chef, nommez-moi Michel, tout bonnement. Les formalités ici ne sont pas du tout de mise.

Michel ?

Léon ?

Les deux inconnus qui se trouvaient dans le train de Bruxelles, qui venaient avec tant de soin de chercher un endroit où causer seuls n’étaient autres en effet que les deux agents de la Sûreté française, Léon et Michel, le simple inspecteur Léon, le brigadier Michel.

Léon et Michel avaient été, quelques jours auparavant, convoqués par Juve. Ils s’étaient naturellement rendus à son appel, avaient sur ses conseils, sollicité et obtenu un congé de l’administration de la Sûreté générale et en vertu des ordres de Juve se trouvaient dans le rapide d’Ostende.

Que s’était-il donc passé ?

En réalité, Juve, subtil comme il l’était, avait merveilleusement combiné le plan infernal qu’il ourdissait contre Fantômas.

Fantômas n’avait pas franchi le seuil de la prison de Louvain, que discrètement, Léon et Michel avaient emboîté le pas au formidable bandit, bien résolus à se saisir de lui dès que Fantômas aurait mis le pied sur le sol français.

Il n’était pas apparu, malheureusement, que Fantômas commît rapidement l’imprudence de retourner en France. Léon et Michel avaient vu, à Louvain, le bandit se diriger très tranquillement vers la gare du chemin de fer, il avait pris un billet pour Bruxelles, où, naturellement, Léon et Michel s’étaient rendus derrière lui, trouvant moyen de ne pas le perdre des yeux.

À peine descendu à la gare de Bruxelles, Fantômas se rendait dans les magasins voisins, il faisait quelques emplettes, celle notamment d’un solide revolver, puis il revenait à la gare pour sauter dans le train d’Ostende.

— Parbleu, avait juré Michel, pas de doute, il part pour Ostende. C’est évidemment dans l’intention de s’embarquer là-bas pour l’Angleterre. Ah, nous n’avons pas de chance. En Angleterre, Fantômas est tout aussi hors d’atteinte pour nous qu’en Belgique.

***

À présent, en queue du train d’Ostende, ils faisaient le tour de la situation.

— Bougre de nom d’un chien, demandait Léon, s’il file en Angleterre, chef, qu’allons-nous faire ?

Michel hésitait. Léon poursuivit :

— Vous ne croyez pas qu’ici un coup de force pourrait être tenté ?

— Ce serait dangereux, ce serait inutile.

— Alors, chef, qu’est-ce que vous proposez ?

— Ceci tout simplement : nous allons être à Ostende dans une heure à peu près. Là, de deux choses l’une : ou Fantômas ne va pas s’embarquer pour l’Angleterre, et dans ce cas nous le pistons l’un et l’autre, ou au contraire, il saute sur le bateau, et dans ce cas nous nous séparons.

— Nous nous séparons, chef ? Ah sapristi, je n’aime pas ça.

— Il le faut, Léon, c’est la prudence qui le commande.

Et après avoir un peu réfléchi, fermant les yeux à la façon de Juve, car Michel ne dédaignait pas, de temps à autre, d’imiter le Roi des policiers qu’il avait pris depuis longtemps pour modèle, Michel reprit.

— Nous nous séparons, Léon, comme je vous le dis. Vous, vous restez à Ostende, au Bureau des Télégraphes, vous n’en bougez pas. Moi, je m’embarque avec Fantômas et je pars avec lui, je le piste, je l’accompagne.

— Mais vous ne savez pas où il va, chef.

— D’accord, Léon, d’accord. Mais cela n’a pas d’importance. Je l’accompagne, vous dis-je, où qu’il aille. Parbleu, j’imagine bien que si Fantômas passe en Angleterre en ce moment, c’est uniquement pour compliquer les choses, de rompre, s’il le peut, la filature que nous faisons et dont il s’est peut-être aperçu.

— Vous croyez, chef ?

— Je le crains.

Michel réfléchit encore avant de conclure :

— Donc, Léon, voici comment les choses se passeront : tandis que vous, vous attendez mes instructions à Ostende, je piste mon Fantômas, je m’efforce de lui donner l’impression qu’il n’a plus personne sur ses traces et, naturellement, à ce moment, Fantômas s’embarque à destination de la France. Léon, je vous téléphone ou je vous télégraphie ce départ en vous indiquant l’endroit où le débarquement de Fantômas doit avoir lieu. Un jour ou l’autre il faudra bien que vous soyez sur le quai où Fantômas va débarquer, alors que je serai, moi, derrière Fantômas, sur la passerelle qui servira à ce débarquement. Si à ce moment-là ni l’un ni l’autre nous n’arrivons à empoigner le bandit, c’est que nous sommes ensorcelés.

***

Huit jours plus tard, à Nantes, l’inspecteur Léon, nerveux, rageur, se promenait sur le quai, attendant le bateau de Weymouth.

Léon se faisait un mauvais sang de tous les diables.

Il tirait de sa poche, de minute en minute, la petite formule télégraphique, reçue la veille même à Ostende, et qui ne portait que ces mots :

«  À bord duGeorge-VII, à destination de Nantes, nous arriverons, le colis et moi, mercredi à midi. Soyez sur le quai. Tout va bien. »

Et cette dépêche était signée : «  Michel. »

De plus en plus énervé, ne pouvant tenir en place, l’inspecteur Léon arpentait les quais de Nantes, demandant aux douaniers, aux matelots qui flânaient sur le port, inlassablement, avec une angoisse qu’il ne cherchait même pas à dissimuler :

— C’est bien ici qu’accostera le bateau de Weymouth ? Le George-VII ?

Il n’était pourtant que onze heures et demie.

***

— Maintenant il va falloir jouer serré. Cet imbécile qui m’accompagne a certainement mobilisé toute la force armée du pays pour arriver à s’emparer de moi. Ah non. Fantômas arrêté par Juve, soit, c’est dans l’ordre des choses possibles, mais Fantômas arrêté par Michel, non.

Lentement, avec des cris de sirène qui déchiraient les oreilles, avec les halètements de machine à vapeur, battant à toute puissance, puis, soudain, stoppant pour repartir quelques minutes plus tard avec une majesté incomparable, une lenteur imposante, le George-VIIpénétrait dans le port de Nantes.

Or, appuyé au bastingage, sur le pont réservé des premières classes, la tête dans les mains, fumant un gros cigare, Fantômas songeait.

Depuis une semaine, le bandit, l’Insaisissable, le Maître de l’Effroi, le Roi de l’Épouvante, n’avait pas eu un instant de repos.

À l’encontre de ce qu’avait cru Léon, Fantômas s’était parfaitement aperçu dès sa sortie de prison que deux inspecteurs de la Sûreté lui avaient emboîté le pas.


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