— Si un employé passe, songeait Fantômas, s’il tourne la tête dans la direction du fourgon, je suis perdu.

Il ne pouvait pas en effet sans risquer de faire du bruit, traîner sa victime plus loin. Une de ses mains maintenait l’homme à la gorge, de l’autre, il lui bâillonnait la bouche sous peine de laisser à son prisonnier la possibilité de crier ou de se débattre. Fantômas devait attendre, pour achever son crime que le train eût repris sa marche.

La halte ne dura que quelques instants.

Lentement, le train repartit, Fantômas, respira, soulagé.

— Nul ne m’a vu pensa-t-il. Cette fois, je puis opérer en toute tranquillité.

L’affreux bandit desserra un peu l’étreinte dont il entourait le cou du malheureux qu’il allait tuer. Il prit un secret plaisir à torturer sa victime. Il lui laissa le temps de se remettre. Il lui laissa happer tranquillement une large bouffée d’air, et c’était seulement quand l’homme paraissait reprendre conscience de lui-même, que Fantômas, qui venait de ramasser son revolver, l’appuya sur la tempe de l’adversaire.

— Allons, as-tu entendu ? Je suis Fantômas, et c’est Fantômas qui va te tuer.

Ah, certes, le malheureux avait compris. Sur sa face décomposée, sur sa face, où l’épouvante poussée à son paroxysme posait son masque, un rictus douloureux passa :

— Fantômas ? Vous êtes Fantômas ?

C’était un râle indistinct qui s’échappait des lèvres exsangues de l’homme qui allait mourir.

— Parfaitement, je suis Fantômas. Fantômas échappé de prison, Fantômas sauvé.

Brusquement, le bandit s’interrompit :

— Et puis, en voilà assez, fit-il, avec une intonation volontairement faubourienne, je te donne une seconde pour te repentir, pour te repentir de tes péchés d’abord, pour te repentir, aussi de cette sottise que tu as faite en t’occupant de ce qui ne te regardait pas. Allons, mon camarade, c’est fait ? Oui ? Adieu.

Dominant une seconde le fracas produit par le roulement du train, la détonation sèche du revolver.

La tempe trouée, la cervelle jaillissant, l’homme, la victime de Fantômas, mourut, sans un cri.

Alors, Fantômas se releva.

Cyniquement, il se frotta les mains.

— C’est une bonne chose de faite, songeait le bandit. Cet individu était bavard, curieux. C’était un gêneur. Il était de trop. J’ai eu raison de le supprimer.

Fantômas, toutefois, avait trop l’habitude du meurtre, il était trop accoutumé à joncher sa route de cadavres pour perdre son temps à se réjouir du crime qu’il venait de commettre.

Déjà, il envisageait les conséquences de son acte, il songeait à en tirer tout le parti possible.

— Maintenant, murmurait le bandit, se parlant à lui-même, presque sans s’en apercevoir, comme il arrive souvent à ceux qui réfléchissent profondément, maintenant, il faut aviser. J’ai tué cet individu, c’est bien. Mais ce n’est pas suffisant, il faut que je me débarrasse de son cadavre. Il serait mauvais, j’imagine, de jalonner ma route.

Or, soudain, Fantômas éclata de rire.

— Mais je suis un enfant, songeait-il, je suis un étourdi. Je suis un imbécile. Ce cadavre, au contraire, va m’être de la plus grande utilité pour éviter que l’on me piste. Parbleu, je m’en vais troquer ma personnalité, plutôt gênante, contre la sienne, qui, je l’espère, est honorable.

Dans le fourgon chargé de ballots, de caisses et de tonneaux, alors ce fut une horrible scène.

Il faisait juste clair, car maintenant il était près de sept heures du soir, et sur le ciel chargé de nuages, la nuit tombait.

Fantômas, pourtant, paraissait agir avec méthode et sans se presser.

Ayant constaté en effet que la plupart des colis disposés dans le fourgon étaient étiquetés à destination de Chartres, le bandit s’était dit qu’il n’avait aucune chance d’être découvert avant l’arrivée.

C’était donc sans se presser, en toute tranquillité, qu’il pouvait agir. Fantômas dépouilla le mort de son pardessus, sa veste, son gilet.

— Parbleu, c’est une chance extraordinaire, répéta-t-il, tandis que, sans la moindre horreur, il s’habillait des vêtements du mort. Tout cela me va comme un gant. Hé, hé, j’améliore mes procédés, je tue les gens qui sont à ma pointure.

Il rit, boutonna ses vêtements, puis, fit la toilette de sa victime, à laquelle il passa les habits qu’il venait de quitter.

— Là, voilà qui est fait. Si ce voyageur a été vu en gare de Saumur, si l’on a enquêté, quand on me verra sortir de la gare tout à l’heure, car je n’irai naturellement pas jusqu’à Chartres, on me prendra pour lui. Surtout dans l’obscurité et si j’ai le temps d’aller chercher dans le compartiment de première classe où je l’ai vu monter en gare de Saumur, les bagages qu’il a dû y déposer.

Fantômas, tout en parlant, se félicitant du résultat de la macabre opération à laquelle il venait de se livrer, continuait à contempler le corps de sa victime, maintenant revêtu des habits qu’il portait il y a quelques minutes.

— Sapristi, c’est tout de même ennuyeux de laisser derrière moi ce cadavre. Si je le lance sur la voie, il sera retrouvé rapidement. Si je le laisse dans ce fourgon, on le découvrira à Chartres. Qu’en faire ? Décidément, il y a un voyageur de trop dans ce train.

Or, pour résister aux cahots amenés par la vitesse du train, Fantômas venait de s’appuyer à un énorme tonneau posé de champ, au milieu du fourgon. Ce fut pour lui la source d’une inspiration soudaine que d’en lire l’étiquette : « Chaux éteinte ».

— Miséricorde, s’exclama le bandit, je ne pouvais pas rêver mieux. De la chaux. Je n’ai qu’à enfoncer ce cadavre dans cette chaux, l’anéantissement sera complet. Chair, os, habits, tout sera mangé, détruit, brûlé.

Fantômas était prompt à décider, plus prompt encore à exécuter. Bien qu’il n’eût pour outil qu’une mauvaise tige de fer ramassée dans un coin du fourgon, il défonça le robuste tonneau en moins d’une heure. Prendre alors à pleine poignée la chaux qui le remplissait, l’éparpiller par la portière ouverte du wagon, un jeu d’enfant. Bientôt, Fantômas disposa d’une place suffisante pour enfouir le corps à même ce qui restait de chaux. Ce ne fut pas long. Fantômas saisit le corps, le hissa, le bascula dans le tonneau. Alors riant d’un rire sarcastique, cependant qu’il renfonçait à grands coups de poing le couvercle que l’élasticité naturelle du bois maintenait suffisamment, le bandit s’écria :

— Ma foi, il y avait tout à l’heure un voyageur en trop, je puis bien dire maintenant qu’il y a un voyageur en moins, car j’imagine que dans la chaux, c’est l’affaire de trois ou quatre jours au plus pour que le corps soit entièrement brûlé.

De plus en plus joyeux, de plus en plus rassuré par la tournure que prenaient les événements, il se félicitait lui-même lorsque soudain, pour la dixième fois peut-être depuis son crime, le train s’arrêta dans une petite gare.

— Morbleu, il me semble que voilà un endroit tout indiqué pour regagner le compartiment de première classe, où je devrais être, normalement, si toutefois je trouve moyen d’échapper aux regards soupçonneux des employés ?

Or, après avoir marqué l’arrêt, le train avant même d’entrer en gare manœuvrait sur des voies de garage.

— À coup sûr, estima le bandit, nous devons longer quelque quai où il doit y avoir des marchandises pesantes à embarquer. Bon, sachons attendre.

Le bandit avait deviné juste.

Le train dans lequel il se trouvait, manœuvra sur une voie de garage puis s’immobilisa enfin au long d’un quai surélevé où, dans le lointain, Fantômas venait d’apercevoir des hommes d’équipe s’affairant.

Le bandit se frappa le front d’un geste furieux :

— Mais c’est absolument idiot ce que je viens de faire. J’imagine que le corps de cet imbécile va être mangé par la chaux, je me trompe. Il n’en est rien. La chaux qui était dans ce tonneau qui y est encore, qui recouvre ma victime, c’est de la chaux éteinte. Ce qu’il faudrait c’est de la chaux vive. Ah diable de diable.


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