— Lève-toi, Ribonard.

Ribonard avait déjà sauté sur ses pieds.

Il était furieux de la manière dont Fantômas l’abordait :

— Hé là, cria l’apache, je vous retiens patron. Vous en avez des façons de dire bonjour aux camarades.

— Je t’avais dit de m’attendre, non de t’asseoir.

— Ah non, fallait prévenir. Si c’est que monsieur a l’intention de traiter les copains comme les larbins, il n’a qu’à pas se gêner. Moi, personnellement, je m’en fous, mais j’aime autant être averti.

Or, tout le temps que Ribonard parlait, Fantômas, avec une expression de figure indéfinissable, le regardait, moitié souriant, moitié sérieux :

— Vraiment, reprit enfin le bandit, il faut que je t’avertisse de mes intentions, maintenant ? Dommage, Ribonard. Tu oublies sans doute que je suis le maître ?

Ribonard avec un regard mauvais, avec des yeux où flambaient une haine qu’il n’osait pas avouer tout de même répondit :

— Tu es le maître. C’est possible. Mais ça n’est pas une raison.

Il allait grommeler quelque chose, Fantômas ne lui en laissa pas le temps :

— Assez, interrompit rudement le bandit, foudroyant d’un éclat de ses yeux soudainement contractés, devenus froids et durs, son complice involontaire. Assez. Ribonard, je ne suis pas ici pour causer avec toi.

— Je le sais bien, tu es ici, Fantômas, pour réclamer une part des bijoux que Bébé et moi nous avons faits.

— Est-ce que ça te semble extraordinaire ?

— Des fois. Vois-tu, Fantômas, tu n’empêcheras pas qu’on songe de temps à autre que tu as de drôles de procédés. Après tout, pendant que tu te baladais, pendant que tu étais à Louvain ou ailleurs, – personne ne le sait – Bébé et moi nous avons turbiné. Maintenant tu rappliques et tu dis : « Partageons ». Hum, je trouve ça un peu fort de café. C’est à ceusses qui font le travail que doit revenir le jonc.

— Vraiment ? Telle est ton opinion maître Ribonard ? Je suis enchanté de l’apprendre. Mais alors, pourrais-tu me dire pourquoi l’autre jour tu refusais de partager avec Bébé… Qui a « travaillé » avec toi, lui ?

Ribonard, décidément, était de mauvaise humeur. Il se rendait compte qu’il allait être injustement dépouillé du produit de ses rapines, il n’hésita pas à répondre :

— Pourquoi je voulais pas partager avec Bébé ? Ah malheur. Fantômas, si il ne faut pas que tu te foutes de moi, tout de même, pour me poser de pareilles questions. Eh bien, je ne voulais pas partager, parce que je trouve que le partage est fait. C’est Bébé qu’a chopé les bijoux. Bon, et c’est moi qui les ai emportés de Saint-Calais, qui ai trouvé moyen de les cacher, de les soustraire aux recherches de la police et cela au risque de me faire prendre. Après, c’est nous deux, Bébé et moi, qu’avons volé le marquis de Tergall, et lui avons raflé les fafiots. Tout de même tu avoueras bien, Fantômas, que, pour tout cela j’ai droit à quelque chose ? Or, Bébé a l’argent, il l’a donné à sa maîtresse. Est-ce que ce ne serait pas juste que moi, je garde les bijoux ? Encore les bijoux c’est moins avantageux que les billets, car, des bijoux, tu le sais aussi bien que moi, il faut les laver. Ça perd toujours à passer par les mains d’un revendeur, hein ?

— Continue, tu m’intéresses.

Ribonard mis en confiance, poursuivit :

— À la fin, vois-tu, Fantômas, j’en ai marre de toujours travailler pour enrichir les autres. Quand je fais un coup maintenant, c’est Bébé qui s’applique en guise de cataplasme le plus clair du profit. Et maintenant que te voilà, j’ai encore plus peur.

Mais cette fois, Fantômas en avait assez entendu. Il était franchement odieux, le bandit, à cette minute où, toisant son complice, il lui répondait nettement d’un ton sans réplique.

— Ribonard, tu oublies quelque chose. C’est que Bébé est plus fort que toi. C’est que moi je suis plus fort que Bébé. Bébé te volait ? C’était justice. Si je voulais voler Bébé ce serait justice encore.

Puis, interrompant cette apologie de la force brutale, Fantômas ajouta changeant de ton, se faisant aimable et bienveillant, ayant l’air de compatir aux ennuis de son interlocuteur, le tout en usant de cet art subtil de comédien qu’il possédait à la perfection :

— Mon pauvre Ribonard, tu n’arriveras jamais à rien, parce que tu es trop franc Tu t’imagines que tu obtiendrais gain de cause en réclamant ? C’est une erreur. Il faut agir avec plus de duplicité. Cependant, je t’assure que je tiendrai compte de tes paroles. Tu as raison quand tu dis, que, peut-être, Bébé t’exploitait. Tu as tort quand tu supposes que moi, Fantômas, je ne ferai pas respecter tes droits. Donne-moi les bijoux, je te promets de faire rendre l’argent à Bébé. Tu auras moitié de l’un et moitié de l’autre.

« Donne-moi les bijoux, » avait dit Fantômas. Ribonard, d’enthousiasme, à la promesse d’un partage équitable, ne s’y refusait plus.

Après tout c’était possible. Fantômas, s’il le voulait, pouvait parfaitement obliger Bébé à effectuer le partage des billets enlevés au marquis de Tergall. Fantômas l’avait promis, il fallait lui faire confiance.

— Alors, venez, patron, reprit Ribonard, l’air joyeux, la mine satisfaite. Si vous voulez les bijoux, faut qu’on se cavale des ribouis et rapidement, encore. On s’en va chez les ratichons.

De surprise, Fantômas parut hésiter.

— Chez les ratichons ? demanda-t-il, ce sont des curés qui gardent les bijoux de la marquise de Tergall ?

— Pas tout à fait.

— Alors ?

— Alors, je vous l’ai dit, patron, faut cavaler des ribouis, faut que nous soyons à Bouloire avant six heures du soir. Et ça serait dangereux de prendre le grand frère ou même une carriole. Cavalons des ribouis, que je vous dis : le train onze, voilà ce que je vous offre.

***

La petite église de Bouloire, engageante avec ses murs blancs, crépis à la chaux, son chemin de la croix aux tableaux naïfs, peints aux couleurs claires, ses statues de plâtre représentant saint Antoine-de-Padoue, la Sainte Vierge, saint Joseph surchargé d’un Enfant Jésus ridiculement petit, se trouve à l’extrémité du village, un peu à l’écart, entourée de tous côtés par un cimetière à peu près vide, semble-t-il.

Or, à six heures du soir, église, cimetière, village, étaient plongés dans la nuit noire, d’autant que, par économie, les jours où il « devait » y avoir clair de lune d’après les indications des calendriers, la municipalité se dispensait de faire allumer les becs de gaz.

C’était à cette heure tranquille, que deux hommes, qui n’étaient autres que Fantômas et Ribonard, arrivèrent à travers champs jusqu’au mur du cimetière, le franchirent sans bruit, puis gagnèrent une petite porte accédant au chœur de l’église.

— Où me mènes-tu ? Ribonard, demanda Fantômas. Où diable as-tu caché les diamants ?

— Quelque part, patron, où personne ne serait venu les chercher. C’est une idée à moi, une idée réellement épatante. Ah, mince alors. Vous allez bougrement rigoler.

Ribonard poussa la porte conduisant au chœur, entra dans la nef, suivi de Fantômas. Le pas des deux hommes résonnait étrangement dans la tranquillité de l’église, maintenant déserte jusqu’au lendemain car l’angélus du soir venait d’être sonné.

— Ça n’est pas gai, remarqua Ribonard, à voix basse.

Et pour se remonter le moral, pour lutter contre l’atmosphère de mystère qu’il devinait à l’intérieur de l’église, l’apache esquissa un pas de polka. Fantômas, lui, demeurait grave.

— Presse-toi, dit-il en poussant Ribonard par les épaules, je ne crois pas à grand-chose, à Dieu et au Diable, moins qu’à rien, mais tout de même je n’aime pas opérer dans les églises. Où as-tu mis les diamants ?

Ribonard éclata de rire :

— Eh patron, vous v’là quasiment tout retourné. Allons, vous bilez pas. Les diamants, vous les aurez dans dix minutes. Avancez.

À son tour, il poussa Fantômas. Il le poussa jusqu’au centre de l’église :

— Et maintenant levez la tête, zyeutez-moi l’intérieur du clocher. Qu’est-ce que vous voyez là-haut ?


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