Fantômas, suivant les instructions de l’apache, leva la tête, vit l’étroite tour de pierre s’élevant du sommet de la voûte, un peu en avant de l’autel, et qui, ainsi qu’il arrive souvent dans les modestes églises de campagne, débouchait à même l’église, laissait entrevoir derrière un enchevêtrement de poutres et de planchers volants, la forme rebondie d’une énorme cloche.
— Qu’est-ce que vous voyez ? questionnait Ribonard.
Fantômas haussa les épaules :
— Presse-toi faisait-il, je te dis que j’ai hâte d’être sorti d’ici. Inutile d’essayer de me faire du boniment. Ce que je vois est fort simple. C’est le clocher, la cloche. Les planchers servent je suppose au sonneur et…
— Et rien de plus ? interrogeait, narquois, Ribonard… Eh bien patron, si vous voulez les bijoux, faut pourtant que nous allions nous balader dans ce panorama. Allons venez. Montons. Les bijoux, c’est comme les étoiles, quand on les veut, faut aller les décrocher. Passez par ici, conseillait-il.
L’apache conduisit Fantômas vers une petite porte de bois donnant dans la nef, qu’un simple loquet fermait, qui terminait un escalier étroit, tortueux, enroulé sur lui-même.
— Montez, commanda Ribonard.
— Où me mènes-tu ?
— Dans le clocher. Montez donc, patron.
Mais, sans doute, Fantômas était impressionné par l’idée qu’il se trouvait dans une église.
— Passe devant, ordonna-t-il, tu connais le chemin, j’aime autant marcher derrière toi.
— À votre goût.
Ribonard s’engagea donc dans le petit escalier en colimaçon, le gravit en hâte. L’escalier à son sommet débouchait sur une sorte de plancher, divisant dans sa hauteur le clocher de l’église. Parvenu sur les poutres branlantes, Ribonard, plein d’attentions, avertit Fantômas :
— Eh là, prenez garde. Nom de Dieu, vous m’avez fait peur, patron. Faut pas vous agiter comme ça. Ces poutres-là c’est solide, mais c’est mal fixé et sans que vous vous en doutiez, nous sommes bien à sept ou huit mètres du sol maintenant. Tiens, si vous aviez dégringolé, vous auriez fait un joli saut.
Fantômas, de plus en plus énervé, n’écoutait plus le bavard :
— Presse-toi Ribonard, répéta-t-il. Presse-toi donc. Où sont les bijoux ?
Ribonard, lui, était de plus en plus calme.
Il trouvait farce infiniment, rigolo en diable, de se promener ainsi dans le clocher d’une église, en compagnie de qui ? en compagnie de Fantômas.
— Eh là, répondit-il, on a le temps. Ce n’est pas encore que la sociale va foutre par terre toutes les niches à bon Dieu. On n’est pas aux pièces.
— Si, fit sourdement Fantômas.
— Alors j’vas me dépêcher. Mais c’est bien pour vous faire plaisir.
Ribonard, joyeusement, sifflotait un air de valse, tout en allant prendre, accroché à la muraille, pendant dans le vide le long du clocher, une échelle énorme.
— Eh, patron, demanda l’apache, voyez voir à me donner un coup de main, s. v. p. Faut que je hisse cet instrument sur le plancher où nous sommes, pour que je puisse monter jusqu’au battant de la cloche.
— Tu veux aller au battant de la cloche ?
Fantômas paraissait surpris, contemplait son complice, avec une sorte de crainte mystérieuse.
— Ah çà, que prétends-tu faire à la cloche de cette église.
Et en même temps, Fantômas, levant la tête, considéra l’intérieur de la tour dont l’extrémité était encore à huit ou neuf mètres au-dessus de leur tête.
Le bandit voyait ainsi d’en dessous la cloche géante, cadeau d’un châtelain des environs, et dont s’enorgueillissait la petite église de Bouloire. Il regarda le battant de fonte et demanda :
— Enfin, Ribonard, m’expliqueras-tu ?
De plus en plus joyeux, Ribonard se tapait, sur les cuisses, deux larges claques, en signe de profonde satisfaction :
— Bien sûr que je vous expliquerai, patron, tout ce qui peut vous intéresser. Et même plus encore. Vous voulez savoir où j’ai mis les bijoux ? c’est toujours ça qui vous taquine ? Bon. Ne vous faites pas de mauvais sang. La boîte dans laquelle les trésors sont enfermés, eh bien, ma foi, j’ai eu l’idée de la ficeler sur la charnière du battant de cette cloche. Hein ? pour une idée, c’était une fameuse idée ? Personne ne pouvait imaginer cette cachette-là ? Et j’avais-t-y raison, cet après-midi, au Mans, quand je vous disais qu’on me devait une fière chandelle, une grande part en la réussite du vol ?
— Presse-toi donc.
Mais le bandit, cette fois, venait de parler sur un tel ton, d’une voix si basse, avec une rage telle, que Ribonard interloqué, cessa d’éveiller les échos de l’église, de sa gaieté intempestive.
— C’est bon, dit-il, on y va.
Aidé de Fantômas, l’apache tira l’échelle, la hissa sur le plancher formé par les poutres que lui et le Maître foulaient depuis quelques instants. L’échelle atteignit le haut du clocher, frôla le battant.
— Va falloir que vous la teniez toute droite, pendant que je vais grimper, expliquait Ribonard. Si j’appuyais l’échelle contre la muraille, je ne pourrais pas atteindre le battant. Or, l’essentiel pour moi et pour vous, patron, soit dit sauf vot’ respect, c’est précisément que je puisse atteindre le battant. Vous comprenez le coup, je suppose ? Une fois en haut de l’échelle, je m’agrippe au battant, je prends mon couteau dans ma poche, je coupe les ficelles qui tiennent le coffret aux bijoux, je vous le jette, je descends, on remet l’échelle en place et on se débine. Allons, patron, à vous de travailler. Tâchez voir de me tenir l’escalier et solide, hein ? si jamais vous manquiez vot’ coup, je me casserais la gueule et ça ne vous avancerait pas. Seul, vous ne pourriez pas atteindre les bijoux.
Cette dernière phrase tendait, évidemment, à indiquer la confiance très relative que Ribonard pouvait accorder à son excellent « patron ».
Le bandit, toutefois, entendant parler son lieutenant, s’entendant soupçonner d’une véritable trahison, ne marqua nul étonnement.
— Je tiendrai l’échelle, répondait-il simplement, je la tiendrai solidement, va chercher les bijoux, Ribonard.
Ribonard, sans plus attendre, s’exécuta.
— Une, deux, trois. En route pour le Paradis. Oh, à la réflexion, c’est plutôt au poulailler que je m’en vais. C’est un perchoir que cette échelle. Pour le Paradis, il doit y avoir des ascenseurs.
Ribonard, tout en plaisantant, gravissait lentement l’échelle que Fantômas tenait maintenant en équilibre au milieu du clocher.
L’apache atteignit le battant de la cloche, il s’y agrippa, il embrassa entre ses jambes la partie renflée du bourdon, il tendit le bras, il atteignit le coffre aux bijoux.
— Posez l’échelle, patron, sans vous commander ! ordonna Ribonard. Je me tiens très bien après le bourdon et vaut mieux que vous ayez les mains libres, pour recevoir le trésor. S’agirait pas que cette boîte dégringole jusqu’en bas, elle s’ouvrirait, on aurait toutes les peines du monde à retrouver les bijoux dans l’église.
Entré sous la cloche, toujours cramponné au battant, dans une position à coup sûr peu confortable, mais somme toute peu dangereuse car le renflement du bourdon offrait une prise facile. Ribonard vit Fantômas reposer l’échelle contre le mur.
— Vous y êtes ? demanda-t-il.
— Envoie l’objet, répondit Fantômas.
Ribonard, d’une main, lança le coffret que Fantômas reçut dans ses bras, qu’il serra soigneusement.
— Maintenant, recommença Ribonard, ayez donc l’obligeance de me ramener la grimpante, tenez toujours bon l’échelle, hein ? Eh ben, quoi ? qu’est-ce qui vous prend ?
Ribonard pouvait à bon droit s’étonner. Brusquement, Fantômas demeuré sur les poutres du clocher, avait éclaté de rire.
Fantômas riait, oui, il riait à gorge déployée.
— Eh, protesta Ribonard, toujours cramponné au battant de la cloche, qu’il ne pouvait évidemment abandonner sans l’aide de son complice, eh, patron, vous vous dilaterez la rate après, si ça ne vous fait rien. C’est pas le moment de moisir ici, et je vous assure qu’il ne fait rien pas chaud sous ma cloche. Mince de brise, ce soir.