Fantômas ne répondit pas, il riait toujours. Alors, brusquement, une grande colère s’empara de Ribonard :
— Ah bien, vous en avez de vertes et de pas mûres, vous, nom de Dieu. Allez-vous me tendre l’échelle oui ou non ?
Fantômas cessa de rire, tranquillement il répondit d’une voix distincte, qui monta jusqu’à Ribonard :
— Non.
— Comment, non ? Vous ne me rapporterez pas l’échelle ?
Fantômas répéta simplement :
— Non.
Puis, comme Ribonard, demeurait muet de stupeur, se demandant quelle folie subite s’était emparée du patron, Fantômas ajouta :
— Mon pauvre Ribonard, tu devenais trop socialiste pour moi, trop partageur. Tu sauras une bonne fois que, quand Fantômas fait travailler ses amis, il entend que ses amis lui laissent la majeure partie de leur travail. Ceux qui ne s’inclinent pas devant ma volonté – et tu allais être de ceux-là – je les brise. Je ne te rapporterai pas l’échelle, Ribonard. J’avais besoin de toi pour avoir les bijoux, je les ai, tu ne pourras plus m’être utile à rien. Au revoir. Reste où tu es.
Et cette dernière raillerie lancée, posément, sans se presser, sans s’occuper des vociférations que poussait maintenant un Ribonard fou de rage, Fantômas descendit du clocher, traversa l’église, franchit le cimetière, se perdit dans la nuit.
Dans la soirée, M. Charles Pradier, regagnait Saint-Calais un gros paquet sous le bras « un bibelot précieux » disait le juge d’instruction, qu’il avait pu acheter à très bon compte.
Deux heures plus tard, pourtant, comme le bandit, seul dans sa chambre, se hasardait à ouvrir le coffret pour examiner les bijoux si subtilement repris à Ribonard, Fantômas blêmit, pris de fureur.
Le coffret était vide.
— Ribonard m’a joué. J’aurais dû me douter qu’il se moquait de moi. Parbleu, tandis qu’il était sous la cloche, il a mis les bijoux dans ses poches. C’est un coffret vide qu’il m’a lancé. Parbleu, il s’est douté que j’avais l’intention d’éviter un partage. Et maintenant il est trop tard pour réparer mon erreur, hurla le terrible bandit.
Puis, soudain, Fantômas éclata de rire :
— Peuh, dit-il, est-il réellement trop tard ? Il ne faut pas que j’oublie que je suis juge d’instruction et qu’un juge d’instruction a le bras long.
23 – DES DIAMANTS ET DES RUBIS
— Revenez donc, bon Dieu, Fantômas ! Eh patron, ne foutez pas le camp. Pas de blague. Passez-moi l’échelle. Fantômas, Fantômas. Mais nom de Dieu de nom de Dieu, écoutez-moi, à la fin. Et remontez. Sapristi, bon Dieu de salaud, bougre de cochon. Fantômas ! Fantômas, mais ouvrez donc le coffret, sapristi. C’est de la monnaie de singe, que vous emportez. Venez. Revenez. Je vous donnerai les diamants. Ah la crapule. Ah le salaud. Sacré nom d’un chien.
La voix de Ribonard sombra brusquement. L’apache articula d’une voix que la peur faisait trembler :
— Ah nom de Dieu, il est parti.
Fantômas, en effet, à l’instant même, venait de déboucher du petit escalier dans la nef, Ribonard avait entendu son pas résonner sous les voûtes de l’église. Une porte avait claqué. C’était définitif, irrémédiable. Fantômas venait de partir.
Ribonard, à cet instant, se vit perdu.
Il ne courait à vrai dire aucun danger immédiat, car si sa situation était peu confortable, elle était relativement tranquille. Bien cramponné au battant de la cloche, il ne risquait pas de se laisser choir. Mais l’avenir se présentait à lui sous les plus sinistres aspects. Ribonard songeait qu’il était pris à son propre piège.
Il avait pensé faire preuve d’une extraordinaire habileté en n’envoyant à Fantômas, demeuré dans la tour, au pied de l’échelle, qu’un coffret vide. Ribonard s’était dit : « Si jamais il prenait fantaisie à Fantômas de vouloir ficher le camp avec les bijoux, je pourrais toujours calmer ses envies de fuite en lui indiquant que j’ai gardé les bijoux dans ma poche, et qu’en réalité il ne tient qu’un coffret vide ». Mais Ribonard avait été surpris par la marche des événements. Fantômas s’était enfui si vite. Il avait si bien fait la sourde oreille à ses clameurs désespérées qu’il n’avait même pas entendu l’avertissement qu’on lui criait, qu’il n’avait même pas ouvert le coffret, qu’il s’était enfui dans la nuit, volé sans doute, satisfait néanmoins.
Ribonard, d’abord, ne s’inquiéta pas exagérément. Le premier moment de stupeur passé, l’apache éclata même de rire :
— Ah bien, on peut dire qu’elle est roide celle-là. Fantômas qui se cavale à toute allure, avec un coffret rempli de peaux de balle et moi qui me marre à l’intérieur d’une cloche, avec des poches remplies de bijoux, sûr que ça n’est pas ordinaire.
La gaieté du voleur, toutefois, disparut bientôt.
— C’est pas ordinaire, songeait Ribonard, mais c’est pas distractif non plus. Faudrait voir, à voir à se tirer des pattes et presto, encore. Pour ce qui est des bijoux, ah çà, dame, le Fantômas, il peut être sûr qu’il se mettra la ceinture. J’en ai mon compte des mecs à la redresse comme lui. Ça pose un et ça retient tout. Seulement, comment que je m’en vais sortir de là-dessous ?
Ribonard, qui serrait toujours entre ses genoux le renflement du bourdon, qui pressait entre ses bras la tige du battant, leva la tête. S’évader de la cloche par en haut, impossible. Il était pris là dedans de façon irrémédiable. Il ne pouvait même songer au moindre tour d’acrobatie, à la moindre tentative d’évasion, la cloche l’enserrait dans sa cavité, l’emprisonnait plus sûrement que n’importe quelle muraille, car il n’avait rien qui lui permît d’attaquer le bronze épais dont elle était faite.
— Bouclé par en haut, bouclé sur les côtés, conclut philosophiquement Ribonard, va falloir se tirer par en dessous.
Ribonard, bientôt fit la grimace…
— C’est très joli à dire, pensa-t-il, mais c’est pas commode à faire. Comment diable m’y prendre ? Sauter sur le plancher ? D’abord il y a quatre ou cinq mètres ce qui représente déjà un bond peu agréable, et ensuite le plancher est bien trop étroit pour que j’aie la chance de pouvoir m’y rattraper. Si je saute, il y a gros à parier que je vais manquer mon coup et me casser la gueule sur les chaises de l’église, c’est-à-dire, qu’à moins de chances imprévues, je me tue net.
L’apache se prit à réfléchir.
— Ce qu’il faudrait, pensa-t-il, c’est trouver le moyen de fabriquer une corde avec mes habits. Je pourrais l’attacher au battant et me laisser filer jusqu’au sol. Oui, mais voilà. Exécuter ce petit travail, ici, en équilibre comme je suis, c’est exactement comme d’essayer de transformer un violon en bateau à vapeur. Impossible. Ah, ça se complique.
Ça se compliquait, en effet.
De se tenir au battant de la cloche, serrant de toutes ses forces le renflement du bourdon, Ribonard commençait à ressentir une crampe terrible dans le mollet.
— Bon Dieu de bon Dieu, fit-il, si ça continue à aller comme ça, tout à l’heure je m’en vas lâcher prise et faire le saut périlleux. Quel salaud que Fantômas.
Ribonard, qui d’ordinaire avait peur de son ombre, montrait à présent un certain courage, tandis qu’il raisonnait assez froidement sur les chances qu’il avait de se tirer de sa situation élevée.
— Je ne peux pourtant pas rester là, finit-il par songer. D’abord, sûr de sûr, à la longue, je me laisserais tomber, et puis y a encore autre chose. Si demain matin les ratichons me dénichent, je peux bien faire mon deuil de ma qualité d’homme libre. On trouvera sur moi les diamants volés. Depuis l’autre jour, y a l’histoire de Chambérieux clamecé et depuis hier, depuis avant-hier, celle du marquis de Tergall qui embrouillent encore les affaires de Saint-Calais. Il ne ferait pas bon pour moi de me laisser coffrer. Mais c’est qu’avec tout cela, j’oublie encore que je vais pas pouvoir rester longtemps ainsi cramponné. V’là qu’c’est dans le bras maintenant que j’ai une crampe.
Ribonard fit mine de lâcher le battant de fer auquel il s’agrippait de la main droite, mais il dut vite se rendre compte qu’une telle manœuvre était d’une extrême imprudence.