Dans ces bagages, Fantômas avait découvert plusieurs chapeaux. Ces chapeaux étaient trop grands pour lui mais il avait pu s’en servir néanmoins, en garnissant leurs coiffes de bandes de papier journal.

Si maintenant le melon qu’il prenait au portemanteau lui entrait si avant sur le crâne c’est que le journal qui rétrécissait la coiffe, en avait été enlevé. Or, qui donc avait retiré le journal ? Fantômas se le demandait avec inquiétude. Il se le demandait même avec d’autant plus d’effroi que l’hôtelier lui avait annoncé quelques minutes avant :

— Vous savez, monsieur Pradier, je vous annonce la visite à Saint-Calais d’un journaliste parisien, M. Jérôme Fandor.

Et Fantômas maintenant, rentré dans sa chambre, songeait avec effroi :

Ne serait-ce pas Jérôme Fandor qui a touché a mon chapeau ?

26 – ÉVASION COMBINÉE

Avec un grand bruit de sabres, d’éperons heurtés, de bissacs jetés à la volée sur les banquettes, au milieu d’un concours de population rassemblée dans un élan de commune admiration, les gendarmes qui amenaient Juve de Louvain à Saint-Calais, le considérant toujours comme étant le redoutable Fantômas, venaient de s’installer dans le wagon de deuxième classe réservé. C’étaient de braves gendarmes, respectueux des consignes qu’on leur confiait. Ils se montraient, à l’égard de leur prisonnier, d’une scrupuleuse et savante méfiance.

— Mettez-vous là, ordonna l’un des pandores, désignant à Juve le coin du wagon. Mettez-vous là, prisonnier, et ne vous avisez pas de vouloir faire le malin.

Juve sourit, s’assit avec une docilité parfaite à la place qu’on lui indiquait.

Depuis le temps qu’il croupissait en prison, Juve avait pris l’habitude de ne jamais se révolter, de ne jamais récriminer. Il acceptait tout avec une parfaite quiétude d’âme. Aussi bien, à quoi aurait-il donc servi à l’excellent policier de se plaindre ? S’il était prisonnier, si c’était lui que ramenait en France l’ordonnance d’extradition enfin signée, c’était parce qu’il l’avait voulu et rien n’arrivait jusqu’ici qui n’eût été combiné, machiné par Juve. L’inspecteur de la Sûreté pouvait bien pour mieux jouer son personnage, feindre une âme de résignation, prendre une attitude apitoyante. En réalité, au fond de lui-même il était radieux.

— Dans quelques heures, pensait le policier, je serai à Saint-Calais et une fois à Saint-Calais, bien malin sera celui qui m’empêchera de débrouiller toutes les affaires qui m’intriguent en ce moment. Bien malin si Fantômas ne finit pas en me retombant entre les mains.

Or, tandis que Juve se plongeait dans des réflexions que la certitude d’une victoire proche faisait joyeuses, tandis que les gendarmes qui l’accompagnaient, s’étendaient à leur tour sur les banquettes, en des poses nonchalantes, tandis que les voyageurs commençaient à monter dans les compartiments voisins, car le train allait bientôt partir, un employé essoufflé sautait sur le marchepied du wagon, appelait :

— Hé, messieurs les gendarmes.

— Présents, qu’est-ce qu’il y a ?

— Il y a, continuait l’employé, que je ne comprends rien du tout à ce qui arrive. C’est bien vous qui ramenez un prisonnier de Belgique ? C’est bien pour vous que l’on a retenu ce wagon ?

Le gendarme, chef de convoi chargé du transfert de Juve, exhiba un papier crasseux, jaunâtre, déchiré, et le tendit au fonctionnaire :

— Voilà notre réquisition, commençait-il, il y a tous les cachets voulus et vous pouvez lire qu’il y est dit qu’à la gare Montparnasse, on nous réservera un wagon, ainsi…

— C’est exact, bizarre tout de même cette aventure. Figurez-vous qu’il y a deux autres gendarmes et un prisonnier qui vont comme vous jusqu’à Connerré et qui réclament le wagon réservé.

— Alors ? interrogèrent les deux gendarmes, très inquiets et s’attendant à ce qu’on les fit descendre. Alors qu’est-ce que vous allez faire ?

— Dame, je ne sais pas. Je ne peux pas réserver un wagon de mon autorité pour l’administration pénitentiaire. D’ailleurs, au service du mouvement, on n’a indiqué qu’un seul wagon réservé.

L’employé souleva sa casquette, se gratta le front, mâchonna un porte-plume qu’il finit par poser sous son couvre-chef en un équilibre instable, puis il proposa :

— Des fois, messieurs les gendarmes, vous verriez un inconvénient, à ce que je fasse monter vos collègues avec vous ? Ça arrangerait tout, vous comprenez.

Déjà les deux pandores s’étaient consultés du regard.

Il ne leur déplaisait pas, à vrai dire, d’avoir des compagnons de route appartenant comme eux à la maréchaussée. Et puis, ils étaient imbus de cette timidité spéciale qui est la timidité des gendarmes. Comme tous ces braves militaires, ils avaient un respect infini pour les lois et règlements et aussi une crainte superstitieuse d’être, malgré eux, en contravention.

D’autres gendarmes réclamaient le wagon qu’ils occupaient, avaient-ils raison d’exiger un compartiment réservé ou étaient-ils dans leur tort ? Les gendarmes de Juve flairant une erreur du service de la place songeaient que peut-être bien tout cela pourrait finir par leur causer des ennuis. Dans le doute, mieux valait assurément accepter la compagnie des collègues.

— Qu’ils viennent, qu’ils viennent, nous serons tout simplement six en route. Et pas plus malheureux pour ça.

L’employé se gratta encore le front, geste qui, chez lui, témoignait d’une indécision profonde, aussi bien que d’une résolution subitement arrêtée :

— Je vais les chercher, dit-il.

Trois minutes plus tard, au moment précis où le train commençait à siffler discrètement pour inviter le mécanicien au départ, au moment où les portières claquaient, où les adieux s’échangeaient, deux nouveaux pandores, encadrant un prisonnier, se présentaient à l’entrée du compartiment où Juve, toujours absorbé par ses réflexions, rêvait à Fantômas.

— Bien le bonjour, messieurs, dit le chef des deux nouveaux gendarmes.

Puis il se retourna vers le prisonnier qu’il amenait :

— Allons, monte, toi.

Et comme l’individu s’était exécuté, il ordonna encore :

— Mets-toi dans le fond. Et ne bouge pas, nom de Dieu.

Les deux prisonniers, dès lors, étaient l’un en face de l’autre, les quatre gendarmes se faisaient des grâces, en s’aidant à caser leur sabre dans le filet, en se débarrassant de leur képi, en débouclant leur ceinturon.

Le train démarrait qu’ils avaient déjà fait connaissance, qu’ils échangeaient des réflexions sur la sévérité relative des maréchaux des logis qui étaient leurs chefs respectifs. Or, tandis que les quatre gendarmes en confiance, heureux d’échanger des potins de métier, nouaient entre eux des relations empreintes de la plus grande cordialité, Juve, bien qu’il eût l’air d’avoir les yeux fermés, examinait à la dérobée le prisonnier qui venait de s’asseoir en face de lui, et son naturel reprenant le dessus, il sentait en ce moment tous ses instincts de policier s’éveiller en lui.

Tandis que le train, petit à petit, prenait de la vitesse, tandis qu’il forçait son allure, ayant fini de traverser les voies resserrées qui sont les voies d’accès à la gare Montparnasse, Juve songeait :

— Quel âge peut-il avoir ? Peuh, de vingt-cinq à trente ans, c’est de la graine de prison, du bétail de bagne, de la chair à guillotine.

Et de fait, il semblait bien à première vue que l’apache qui venait de s’asseoir dans le coin opposé à celui qu’occupait Juve fût l’un de ces jeunes voyous qui n’attendent pas le nombre des années pour tenter de réussir quelque gros coup qui classe les maîtres dans l’esprit du milieu. Vêtu d’un complet à carreaux effiloché, graisseux, dont le col remonté ne laissait apparaître aucun linge, chaussé de bottines à boutons, dont la plupart manquaient, dont le cuir comportait de multiples crevasses, coiffé d’une casquette de jockey rabattue sur le visage, il offrait le spectacle lamentable du vice crapuleux et misérable.


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