Le procureur général, à ce nom, bondit littéralement sur son fauteuil.
— Vous êtes sur la piste de Fantômas ?
Juve, de la main, calma l’agitation du magistrat…
— Oh, dit-il, n’allons pas si vite, nous nous occuperons de Fantômas tout à l’heure et je sais où il est, ce n’est pas loin d’ici.
Juve, dès lors, reprit son récit.
— Monsieur le procureur, quand je suis arrivé hier à Bessé, je savais par mon ami Jérôme Fandor qu’il y avait à Saint-Calais un homme qui n’était pas celui qu’il était. Hum, c’est assez compliqué. Suivez-moi bien, monsieur le procureur. Je savais qu’il y avait un personnage qui passait pour quelqu’un qu’en réalité il n’était nullement. J’hésitais sur la conduite à tenir à son égard, car, à la vérité, je n’avais pas de preuves de l’imposture qu’il tentait, qu’il réussissait depuis plusieurs mois. Hier je n’avais pas de preuves. J’avais une simple présomption : un chapeau trop large. Aujourd’hui, j’ai une preuve, une preuve matérielle, une preuve irréfutable que je vous apporte, que voici.
Dans les doigts de Juve, une seconde, le procureur général vit briller une médaille d’argent corrodée, brûlée, dont il n’avait pas le temps de reconnaître la nature.
— Parlez. Vous me faites mourir.
Juve sourit en comprenant que l’énervement de M. Anselme Roche grandissait de minute en minute et que jamais le magistrat n’eût été si anxieux s’il n’avait pas ajouté foi aux paroles du policier.
Alors, usant toujours de son extraordinaire netteté d’élocution, retrouvant une éloquence simple et persuasive, ayant l’air d’énoncer de simples faits, mais en réalité les commentant si habilement qu’il était impossible de s’y tromper, Juve fit au procureur le récit de l’enquête à laquelle il s’était livré à Bessé-sur-Braye.
Il dit comment il avait été amené à découvrir une médaille, une médaille personnelle, affirma-t-il, dans la tuyauterie de la locomotive. Comment cette tuyauterie de locomotive encrassée de chaux l’avait conduit à l’examen du réservoir d’eau servant à l’alimentation des chaudières. Comment, dans ce réservoir, enfin, on avait découvert des vestiges humains, un squelette, des ossements, un cadavre pour tout dire.
Et d’une voix qui malgré lui tonnait, d’une voix qui s’enflait, car il se prenait à la passionnante aventure dont il contait les péripéties, Juve conclut :
— Monsieur le procureur, je ne suis qu’un policier désarmé quand je n’agis point en vertu d’un mandat. Pour tout homme de bonne foi, il est évident que Fantômas est l’auteur présumé du crime dont j’ai retrouvé les traces à Bessé-sur-Braye. Monsieur le procureur, vous pouvez, vous, procéder à l’arrestation d’un coupable dès lors que vous le surprenez en flagrant délit. Monsieur le procureur, Fantômas est actuellement en état de crime, arrêtez-le.
Juve, toutefois, se hâta trop de conclure.
Si lumineusement, indiscutablement, il avait convaincu M. Anselme Roche de son identité, M. Anselme Roche n’avait encore rien compris à ce que Juve lui disait être la personnalité de Fantômas.
— Mais enfin, interrogeait d’une voix blanche, bégayante, le procureur général, mais enfin, qui donc accusez-vous d’être Fantômas ? Où est le bandit ?
Juve, pour toute réponse, se leva :
— Venez, monsieur le procureur. Fantômas est ici. Dans ce Palais de Justice.
— Vous êtes fou.
— Dans le cabinet du juge d’instruction.
M. Anselme Roche, qui d’abord s’était machinalement levé pour suivre Juve, s’immobilisa brusquement :
— Dans le cabinet du juge d’instruction, Juve, Juve, c’est impossible. Vous vous trompez. J’ai vu de mes yeux vu M. Pradier renvoyer tout à l’heure les prévenus qu’il interrogeait. Il est maintenant seul. Fantômas n’est pas avec lui.
— Je vous en prie, monsieur le procureur, venez. Je vous ai dit que Fantômas est dans le cabinet du juge d’instruction, je ne m’en dédis pas. Je ne parle pas au hasard. Je sais.
Juve avait l’accent d’une conviction si assurée que M. Anselme Roche ne répondit plus rien.
— M. Pradier est seul, murmurait-il, M. Pradier est seul.
Il répétait cela, le pauvre procureur, d’un ton halluciné, comme une litanie, sans avoir même conscience de ce qu’il disait. Juve l’entraîna. Dans le couloir, les deux gendarmes qui avaient amené le Roi des Policiers stationnaient encore. Juve demanda au magistrat, qui marchait sur ses talons :
— Le couloir n’a pas d’issue, n’est-ce pas ? Les fenêtres sont grillées ? Il est impossible que l’on s’évade ?
— Impossible, impossible, répéta comme un écho M. Anselme Roche.
— Très bien.
Juve se tourna vers les gendarmes :
— Vous allez demeurer là où vous êtes et ne laisser sortir personne. Vous m’entendez, gendarmes, personne, avant que M. le procureur ou moi nous vous ayons donné d’autres ordres.
Juve ne s’occupa point de la stupéfaction des gendarmes devant cet inconnu qui leur parlait ainsi, tandis que, quelques minutes auparavant, ils le considéraient comme un malfaiteur dangereux.
— Venez, répéta le policier.
Et, tenant le procureur par le bras, le tenant d’une étreinte nerveuse, il le poussa vers le cabinet du juge d’instruction. Devant la porte, Juve s’arrêtait. C’était tout bas qu’il soufflait au magistrat :
— Fantômas est là, rappelez-vous qu’il est capable de tout. Ne vous laissez prendre à aucune de ses ruses. Fantômas est là. Nous allons l’arrêter. Attention.
Juve frappa. De l’intérieur du cabinet, une voix répondit, très calme :
— Entrez.
Juve avait à peine ouvert la porte, que déjà M. Anselme Roche bégayait à mi-voix :
— Vous voyez bien que M. Pradier est seul.
Juve ne parut même pas l’avoir entendu.
À sa main droite brillait quelque chose qui était un revolver, il le braquait sur le juge d’instruction, cependant que, d’une voix haineuse, il criait :
— Fantômas, rendez-vous. Au nom de la loi je vous arrête. Je vous arrête en France. Voilà la revanche du drame de Feignies.
Juve s’attendait à quelque résistance.
Il devait être surpris par l’attitude du bandit.
À son arrivée, purement et simplement, il s’était levé. Il n’était pas armé. Il ne témoigna d’aucune colère. C’est d’un ton abattu presque qu’il répondit :
— Vous avez raison, Juve. Vous prenez aujourd’hui votre revanche. Soit, je me rends. Arrêtez-moi.
Docilement, l’Insaisissable fit un pas en avant.
Mais toute cette scène était incompréhensible pour le malheureux procureur général. D’abord il s’était tu, maintenant cet honnête homme eut un grand cri d’indignation :
— Ah çà, hurla-t-il, mais enfin, monsieur Pradier… monsieur le juge. Vous êtes donc Fantômas ?
C’était une phrase bien naturelle, bien simple, que celle du malheureux procureur, elle déchaîna pourtant l’ironie et l’amusement des deux principaux acteurs du drame tragique qui se jouait. Juve haussa les épaules. Pour Fantômas, en dépit de la gravité de sa situation, il éclata de rire. Affectant de traiter Juve d’égal à égal, en ami presque, Fantômas répondit :
— Monsieur le procureur, vous êtes un imbécile. Il n’y a plus de Pradier ici. Aussi bien, j’en ai assez de porter la robe. J’étouffais dans le cadre étroit des lois et du Code. Allons, comprenez donc. Au moment où on l’arrête, où une main l’empoigne au collet, Fantômas reprend sa liberté, redevient le bandit qu’il est réellement et qu’il est fier d’être. M. le juge, dites-vous, M. Pradier ? Pauvre magistrat d’intelligence étroite. Mais comprenez donc la façon dont je me suis joué de vous, la pitié même que ressent à votre égard Juve, qui vous fait marcher comme une marionnette, comme un polichinelle que vous êtes. Allons, monsieur le procureur, puisque vous ne voyez que Pradier, que juge d’instruction, puisque encore maintenant votre timidité s’affole, je vais vous ouvrir les yeux et, perdu pour perdu, abattre mes cartes et finir en beauté. Vraiment, vous ne voyez que Pradier ? Pradier tout seul ? Vous voulez voir Fantômas ? Regardez-le :