Fantômas, d’un geste brusque, arracha sa moustache postiche, sa chevelure fausse, sa barbe d’emprunt. Il lui fallut une minute pour passer son mouchoir sur son visage, enlever le fard qui y traçait des rides imaginaires. Et ce n’était plus la tête grave, digne, qu’il connaissait pour être celle du juge Pradier que contempla, hagard, M. Anselme Roche, c’était la face rasée, énergique, énigmatique de Fantômas, du Maître de l’Effroi, du Roi de l’Épouvante.

La transformation que Fantômas opérait ainsi était extraordinaire. Les yeux tout à l’heure voilés par les sourcils épais, les yeux doux et tranquilles prenaient un regard cruel. La bouche retrouvait le rictus amer, le pli désabusé qui tant de fois avait fait frémir les victimes de l’homme à la cagoule.

Et c’était encore un sourire spécial, quelque chose comme la grimace d’un fauve, le rire d’un félin, qui passa sur le visage de Fantômas, tandis que, debout, les bras croisés, toisant avec un indicible mépris M. Anselme Roche, Fantômas reprenait :

— Voyez-vous, monsieur Anselme Roche, voyez-vous Fantômas ?

Puis le bandit se tourna vers Juve :

— Avouez, disait-il, que si vous avez la victoire aujourd’hui, Juve, j’avais parfaitement joué mon rôle et merveilleusement dupé tous ces ridicules porteurs d’hermine.

Rudement, Juve interrompit le bandit :

— Assez, dit-il, vos insultes ne prouvent rien, Fantômas. Vous devriez vous souvenir que ceux que vous traitez d’imbéciles auront quelque jour l’intelligence de signer votre arrêt de mort.

Mais Juve peut-être s’avançait trop.

— Oh, fit Fantômas, ma tête n’est pas encore près de tomber dans le panier de Deibler. Quels procès nous avons devant nous, Juve. Avant d’arriver au jour béni de mon exécution, j’ai encore de rudes parties à vous livrer, sans doute. Vous n’ignorez pas, j’imagine, qu’il faut plus d’un an peut-être pour éclairer mon dossier.

Juve interrompit encore :

— Assez, répéta-t-il avec une fermeté qui imposait jusqu’à Fantômas. Une fois vous arrêté, je n’ai plus à m’occuper de cette affaire. Vous n’appartenez plus qu’à la vindicte sociale. Vous reconnaissez que vous avez tué le magistrat Pradier, pris sa place et qu’enfin…

Fantômas se laissa tomber dans un fauteuil.

— Je reconnais tout, fit-il tranquillement. Croyez-vous que je vais avoir la mesquinerie de nier quoi que ce soit. Quand je vous ai vu, Juve, au bout de ce couloir où j’étais pris dans un piège sans issue, je me suis senti perdu : perdu pour perdu, je suis de ceux qui se défendent par le défi. Je reconnais tout, vous dis-je. J’ai tué Pradier, je l’ai jeté dans la chaux, j’ai pris sa place, usurpé sa qualité. Je reconnais même que si vous étiez arrivé cinq minutes plus tard, je partais avec l’argent déposé au greffe sur mon ordre, avec les bijoux déposés au greffe sur mon ordre. Avec cinq cent mille francs que m’apportait Antoinette de Tergall qui me croit son frère, et qui obéissait à mes ordres. Je reconnais tout, Juve, vous dis-je, je suis prêt à répondre à toutes vos questions.

Juve, d’un ton sec et dur, interrogeait le bandit :

— Vous aviez des complices ?

— Peut-être, mais j’étais juge d’instruction. Juve, vous arrivez trop tard. Si j’avais des complices, ces complices sont libres.

La voix de Fantômas claironnait tandis qu’il prononçait ces dernières paroles de défi. Juve, pour toute réponse, se borna à hausser les épaules.

— Je n’arrive pas trop tard puisque j’ai pu vous arrêter, puisque vous êtes pris. Soyez tranquille, Fantômas, quand votre tête tombera, et elle tombera bientôt, plus vite que vous ne le pensez, les bras que vous faisiez agir seront paralysés.

Juve recula jusqu’à la porte du cabinet d’instruction.

— Gendarmes, appela-t-il,

Les deux gendarmes se précipitaient.

— Arrêtez-moi cet individu, poursuivait Juve, le bras tendu vers Fantômas que les gendarmes considéraient avec stupéfaction, car ils ne pouvaient le reconnaître après son extraordinaire transformation. Passez-lui les menottes, empoignez-le l’un et l’autre, et immédiatement faites-le mettre au cachot, au secret. M. le procureur va vous signer l’ordre.

Juve répéta, dévisageant une dernière fois Fantômas :

— Vous êtes pris, vous êtes pris, Fantômas.

Fantômas lui aussi répéta :

— Je suis pris, oui, mais pas encore condamné.

Et tandis que docilement il tendait les mains aux menottes, tandis que de lui-même, comprenant bien que toute lutte était inutile, il se plaçait entre les deux gendarmes, Fantômas narguait encore et toujours.

— Nous avons encore au bas mot trois cent soixante-cinq jours, un an, douze mois, Juve, à nous rencontrer dans les cabinets d’instruction.

Juve n’écoutait plus.

— Emmenez-moi cet homme, répéta-t-il.

Les gendarmes emmenèrent Fantômas.

Le bandit riait, riait d’un air étrange, presque d’un rire de victoire.

31 – LIBRE

Le procureur général arpentait son cabinet d’un air tout réjoui, il se frottait les mains, un sourire s’épanouissait sur ses lèvres et son visage exprimait une profonde satisfaction.

— Cette fois, déclara-t-il à quelqu’un qui demeurait assis aussi immobile que lui était agité, cette fois, nous le tenons bien, bravo, monsieur Juve, l’arrestation de Fantômas que vous venez de faire est un véritable coup de maître.

— J’ai eu de la chance, voilà tout, déclara le policier.

Les deux hommes étaient réunis depuis déjà quelques instants dans le cabinet du procureur au Palais de Justice et pourtant il était à peine huit heures du matin, mais, après les événements de la veille, l’un comme l’autre avaient peu dormi, et bien que s’étant donné rendez-vous à une heure fixe, ils étaient arrivés tous deux avec au moins vingt-cinq minutes d’avance.

Le procureur, incapable de dissimuler sa satisfaction, poursuivit à haute voix, cependant que Juve l’écoutait, silencieux.

— Quelle audace a eu ce monstre. Avoir assassiné ce pauvre Pradier. Et avoir osé prendre sa place. C’est inimaginable, cela dépasse en horreur…

— Fantômas, interrompit Juve, ne s’est jamais préoccupé de faire mourir ses victimes doucement.

Le procureur, malgré lui, réprima un frisson :

— Et dire, fit-il, que pendant trois semaines nous avons vécu, mes collègues et moi, dans son voisinage, dans son intimité, sans soupçonner seulement une seconde l’identité exacte de celui que nous prenions pour notre infortuné collègue, savez-vous, monsieur Juve, que nous aurions fort bien pu être assassinés par lui ?

— En effet, monsieur le procureur, en effet.

— Enfin, soupira le haut magistrat dont la satisfaction était évidente, enfin l’essentiel c’est qu’il soit arrêté.

Le procureur, brusquement, courut à un coffre-fort qui se trouvait au fond de son cabinet. Il l’ouvrit avec une impatience fébrile, considéra son contenu :

— Heureusement, murmura-t-il, que nous avons pu sauvegarder cet argent, ces bijoux, et qu’avant d’être pris Fantômas n’a pas eu le temps de les faire passer à l’un quelconque de ses complices, car vous savez, monsieur Juve qu’il s’agit d’une véritable fortune, un million au bas mot.

— Je sais, monsieur le procureur, je sais.

Le magistrat se rapprocha du policier, car celui-ci interrogeait à son tour d’une voix qu’il assourdissait autant que possible :

— On ignore, n’est-ce pas, monsieur le procureur général, ce qui s’est passé hier et la substitution que j’ai faite de ma personnalité contre celle de Fantômas, et enfin l’arrestation du faux juge d’instruction ?

— On l’ignore en effet monsieur Juve, mais la vérité ne tardera pas à être connue. Toutefois, reprit le procureur en se grattant le nez, je me demande ce que nous allons faire. La situation est délicate. Évidemment, il faut télégraphier à Paris, prévenir la Sûreté en même temps que l’on fera connaître l’assassinat du véritable Pradier. Et puis, il y a l’instruction : le ministre de la Justice va évidemment désigner un nouveau juge, tout cela est fort compliqué.


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