La physionomie de M me Granjeard était si terrible que l’auxiliaire la calma d’une promesse et courut chercher la gardienne aussitôt.

Les deux pierreuses, auxquelles cette attitude énergique et farouche imposait malgré tout, cessèrent de plaisanter leur compagne. Elles murmuraient :

— C’est qu’elle ferait comme elle l’a dit, ma chère ! elle nous sauterait à la gorge, c’est qu’il faut se méfier avec une femme pareille, paraît qu’elle a déjà zigouillé son fils.

La gardienne en chef revint et tança d’importance les deux pierreuses :

— Vous, déclara-t-elle, je vais d’abord vous’ séparer et puisque vous ne savez pas vous conduire, on va vous dresser. Quant à la femme Granjeard, qu’elle vienne avec moi.

La veuve du marchand de fer obéit, précéda la gardienne qui, quelques instants après, l’introduisait dans une autre cellule :

— Vous serez tranquille, ici, dit-elle, vous aurez pour compagne une prévenue comme vous. Elle est accusée de meurtre et de crime, mais elle se tient tranquille et puis d’ailleurs, comme elle n’est pas bien portante, on la garde toute la journée à l’infirmerie.

— Quel monde, quel milieu, soupira M me Granjeard, qui cependant poussa un soupir de satisfaction à l’idée d’être débarrassée de ses effroyables voisines. Mais cette solitude ne fut que de courte durée. Quelques instants après, la femme qui devait partager avec elle la cellule y était introduite : son séjour à l’infirmerie était terminé et, de la conversation s’achevant entre la nouvelle venue et la gardienne qui l’avait amenée, il semblait résulter que quelque chose d’extraordinaire s’était passé dans cette infirmerie d’où on la ramenait.

Les deux femmes, quelques instants, se regardèrent en silence et M me Granjeard, ne pouvait s’imaginer qu’elle avait affaire à une criminelle, tant l’apparence de la prisonnière démentait l’accusation portée contre elle. C’était une jeune fille à l’air énergique, mais honnête, doux et convenable, elle était jolie et d’une fraîcheur exquise qui faisait contraste avec la pâleur de toutes les femmes que l’on voyait aller et venir dans la prison. Cette prisonnière n’était autre qu’Hélène, que les incidents de la nuit précédente avaient fait ramener dans la cellule. La jeune fille se rendait compte que désormais elle allait être l’objet d’une surveillance renforcée. Mais elle n’en avait cure. Fandor ne lui avait-il pas donné l’espérance la plus belle qu’elle pût imaginer dans la situation où elle se trouvait : l’espérance de la liberté. Hélène avait éprouvé une certaine surprise à la vue de sa nouvelle compagne. Elle n’avait pas l’aspect, ni l’allure des habituelles clientes de Saint-Lazare. Les deux femmes, instinctivement attirées l’une vers l’autre, s’étaient mises à causer, mais, brusquement, Hélène avait eu un geste de recul, un mouvement d’horreur instinctif, lorsque M me Granjeard lui avait annoncé l’inculpation terrible qui pesait sur elle :

— Je suis innocente, avait déclaré la veuve du marchand de fer.

Mais ce récit et ce nom avaient éveillé dans l’esprit d’Hélène toute une série de souvenirs.

— Granjeard, répéta-t-elle machinalement, comme si elle pensait tout haut, Didier Granjeard. Votre fils, avait, m’avez-vous dit, une maîtresse, celle-ci ne s’appelait-elle pas Blanche Perrier ?

— Si.

Mais, à ce moment, la porte de la cellule s’ouvrit et la conversation fut interrompue. On venait prendre M me Granjeard, demandée au greffe :

— Le juge d’instruction vous demande. Vous allez vous rendre au palais. Attendez ici, la voiture vous conduira, à moins que vous ne sollicitiez l’autorisation d’être conduite, avec deux agents, dans un fiacre.

— Peu m’importe, répliqua M me Granjeard, dont le cœur battait à rompre, car désormais, elle le sentait, les minutes étaient comptées jusqu’à sa comparution devant le magistrat qui allait décider de son sort.

***

M. Mourier, juge d’instruction, venait d’achever un premier interrogatoire relatif à l’affaire mystérieuse dont le procureur général l’avait chargé.

M. Mourier était l’homme qui passait son temps à courir après les coups de théâtre et qui n’était jamais si content que lorsque de beaux aveux ou de belles accusations spontanées se produisaient dans son cabinet, au moment où l’on s’y attendait le moins.

Le magistrat, pour éviter aux prévenus la présence d’un défenseur pendant l’instruction, se gardait donc bien d’inculper d’avance les gens qu’il avait formellement l’intention d’arrêter à un moment donné. Il leur laissait croire, le plus longtemps possible, qu’il les considérait simplement comme des témoins et c’était lorsqu’il n’y avait plus moyen de faire autrement qu’il transformait son mandat de comparution en mandat d’arrêt.

M. Mourier interrogeait au hasard et à sa fantaisie les témoins ou les prévenus et c’est ainsi que la première personne qui avait été entendue par le magistrat n’était autre que Blanche Perrier, la maîtresse de l’infortuné Didier.

La malheureuse femme, depuis quarante-huit heures qu’elle avait appris la mort de son amant, avait traversé les émotions les plus diverses. Si d’obligeants voisins ne l’avaient retenue, lorsqu’elle avait reçu la fatale nouvelle, elle se serait certainement jetée par la fenêtre. Mais, empêchée de donner suite à son projet désespéré, elle s’était ressaisie. Elle avait compris qu’elle se devait à son fils, qu’il y avait son devoir de mère à remplir. Elle avait repris courage. Dès lors, Blanche Perrier était transformée et si dans son cœur elle nourrissait un extrême chagrin, elle n’en avait pas moins un but dans la vie : venger son amant et découvrir les assassins de celui-ci. Aussi, était-ce avec joie que Blanche Perrier s’était rendue à l’appel du juge d’instruction. Et, bien qu’elle ne sût rien des circonstances dans lesquelles l’infortuné Didier avait trouvé la mort, elle avait raconté au magistrat les deux années d’amour qu’elle avait vécues avec lui, les projets qu’ils avaient formés l’un et l’autre et le brusque désespoir dans lequel ils avaient été plongés lorsque le père Granjeard était mort et que, dès le lendemain, Didier avait eu à discuter de ses intérêts pécuniaires avec sa famille. Longuement, le juge l’avait fait parler, lui avait demandé de préciser, autant qu’elle le pouvait, la nature des relations qui existaient entre Didier et les autres membres de la famille. Puis, au bout d’un heure, enfin, le magistrat avait renvoyé Blanche, en lui disant de se tenir à sa disposition et de s’attendre à être un jour prochain à nouveau convoquée.

— Ah, Monsieur, s’était écriée la jeune femme, je vous en conjure, faites l’impossible pour retrouver les meurtriers de mon pauvre Didier.

Blanche descendait lentement l’escalier qui, du cabinet du juge d’instruction mène à la sortie du palais de Justice, lorsqu’un homme s’approcha d’elle et murmura :

— Blanche Perrier, vous êtes bien Madame Blanche Perrier ?

— Oui, Monsieur.

C’était un homme d’une quarantaine d’années, entièrement rasé, vêtu de noir, à chapeau mou, dont le bord assez large, dissimulait sous une ligne d’ombre, l’éclat perçant du regard.

— Je suis inspecteur de la Sûreté, Madame, dit-il, et j’ai un renseignement à vous donner. Êtes-vous au courant d’un certain testament rédigé par M. Didier Granjeard et qui vous concernait ?

— Ma foi non.

— Ce testament vous rendra riche, très riche.

— Je ne comprends pas.

— C’est pourtant clair. D’ailleurs, je vous en ai assez dit pour le moment.

L’homme disparut. Blanche essaya de le rejoindre. En vain.

Ne fallait-il pas mettre le juge au courant ?

— Non, se dit Blanche, ce n’est pas la peine d’embrouiller les choses.

Puis, elle poussa un soupir en se disant :

— D’ailleurs, tous ces gens-là me font peur.

Pendant ce temps-là, une scène dramatique se déroulait dans le cabinet de M. Mourier. Le magistrat avait reçu en même temps les deux fils Granjeard et leur mère. Tout de suite, il était entré dans le vif du sujet, en disant aux prévenus :


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