Hélène dormit longtemps sans doute, car le crépuscule tombait déjà lorsque la jeune fille avait ouvert les yeux. Elle avait regardé autour d’elle stupéfaite, sans même avoir bien conscience de ce qui se passait.
À ses côtés, la considérant avec douceur, s’était penché un visage tout souriant. Or, la fille de Fantômas, stupéfaite de cette apparition, ne songeait qu’à la regarder sans mot dire, lorsqu’elle entendit qu’on lui disait :
— Hélène, reconnais-moi donc ?
— Blanche Perrier, est-ce possible ? c’est toi ?
— Oui Hélène. Oui c’est bien moi. Comme je suis heureuse de te revoir !
Et instinctivement, sans en demander davantage, les deux femmes dans un besoin spontané de tendresse et d’affection, se jetèrent dans les bras l’une de l’autre et s’étreignirent tendrement.
Naguère, Hélène et Blanche s’étaient rencontrées, connues, aimées.
La fille de Fantômas, en effet, au cours de son aventureuse existence avait connu la modeste ouvrière dont elle avait apprécié les grandes qualités de courage et de cœur, elle s’était intéressée à elle, l’aidant de ses conseils. Hélène avait assisté à l’amour naissant de Didier Granjeard pour la jeune ouvrière. Puis, brusquement, les hasards de la dramatique existence que vivait la fille de Fantômas l’avaient séparée de son amie dont elle conservait cependant un agréable souvenir, alors que, de son côté, Blanche Perrier gardait à Hélène, au fond de son cœur, une affection très sincère.
Les premières effusions passées, Hélène retrouva toute sa présence d’esprit, sa netteté de raisonnement quasi masculine pour interroger cette amie qu’elle retrouvait dans des conditions si extraordinaires :
— Où sommes-nous ? demanda-t-elle.
— Je ne sais pas. Nous sommes ici dans une maison, grande, déserte, abandonnée, aux fins fonds d’une campagne, c’est tout ce que je puis te dire, c’est tout ce que je sais.
— Tu plaisantes, Blanche ?
— Je te dis la vérité.
— Où est Jérôme Fandor ? qu’est-il devenu ?
— Jérôme Fandor ? devait-il donc venir ici ?
La jeune femme avait bien entendu parler, longtemps auparavant, du célèbre journaliste, aussi populaire que Juve, aussi notoire que Fantômas. Mais elle ignorait totalement les relations qu’il pouvait y avoir entre Hélène, son amie, et Jérôme Fandor.
— Que lui veux-tu donc ?
— Ce que je veux ? s’écria Hélène, mais Blanche, c’est mon sauveur. Songe donc qu’hier encore, j’étais captive, enfermée dans une affreuse et sinistre prison, c’est lui qui m’en a fait échapper ! M’a-t-il conduite ici ou ai-je été arrachée à sa sollicitude ?
Mais Blanche ne suivait pas. Soudain, Hélène changea de sujet. Elle demanda :
— Es-tu seule dans cette maison ?
— Il me semble que je suis seule, avec mon enfant, mon petit Jacques.
— Alors, continua Hélène, c’est toi qui m’as parlé cette nuit, de l’autre côté de la porte fermée, au premier étage ?
— Non, déclara Blanche, je ne t’ai pas parlé.
— Tu ne m’as pas entendue appeler ?
— Je n’ai rien entendu, j’ai même dormi d’un sommeil lourd, profond.
— Je t’assure, que… À moins qu’il n’y ait une autre femme ici, ce qui, d’ailleurs, est fort possible… Blanche, viens avec moi, mais auparavant, explique-moi ce que tu veux faire ? De mon côté, c’est clair : je m’en vais, je pars, je quitte cette maison.
— Non, ne me quitte pas.
— Mais, je t’emmène.
— C’est impossible. Nous ne devons sortir ni l’une, ni l’autre, c’est défendu.
— Alors, je partirai seule.
— Je t’en prie Hélène, ne fais pas cela, je serais obligée de t’en empêcher.
— De m’en empêcher ?
— De t’en empêcher. Tu es ici, enfermée prisonnière…
— Moi ? ah, par exemple, mais pourquoi veux-tu que je reste ?
— Parce que j’ai peur.
— Serais-tu devenue mon ennemie, Blanche ?
— Oh, Hélène, tu as pu croire un seul instant ? Non, mais si j’agis de la sorte, si je te supplie de rester, si je t’y oblige, c’est pour ton bien, assurément, car, en agissant de la sorte, je ne fais qu’exécuter les ordres de Juve.
— De Juve ? s’écria Hélène, au comble de la stupéfaction, tu connais Juve ? Il t’a parlé de moi ?
Blanche s’expliqua :
— C’est Juve qui m’a conduite ici, lui-même, pour me soustraire aux maléfices des terribles adversaires que j’avais à redouter, m’a-t-il assuré. Il m’a annoncé depuis quelques jours ta venue, sans te nommer, d’ailleurs, mais en précisant que j’aurais une compagne sur laquelle je devrais veiller, dont je serais responsable. Cette compagne, c’est toi. Je l’ai compris tout de suite en te voyant.
Blanche fournissait encore quelques explications. Hélène n’insistait pas, singulièrement troublée ; elle réfléchissait, se demandant ce que tout cela pouvait bien signifier.
— Il faut aviser, pensa-t-elle, il est bon de ne pas prendre une décision à la légère.
Hélène, en effet, avait trop souvent vécu de tragiques aventures pour ne pas s’être accoutumée à la prudence et à la circonspection. Et elle renonça provisoirement à son projet primitif de s’enfuir. Elle décida d’attendre, d’étudier au préalable la situation, la topographie de l’endroit bizarre et mystérieux dans lequel elle se trouvait.
Blanche s’ingéniait à satisfaire les désirs d’Hélène, à prévenir ses besoins. Elle lui préparait un repas avec des provisions trouvées dans une cuisine merveilleusement aménagée, sans que Blanche pût savoir l’origine des approvisionnements que l’on y renouvelait sans cesse.
Blanche avait fait connaître à Hélène le petit Jacques, puis, avant que la nuit ne fût entièrement tombée, les deux femmes étaient allées faire à pied le tour de la maison.
Hélène, aventureuse, audacieuse, sans cesse, voulait s’écarter de la maison, pénétrer sous les bois pour en interroger le mystère, Blanche, craintive la retenait, la suppliait de n’en rien faire, de ne pas s’éloigner.
Puis, elles étaient rentrées et, après une longue conversation au cours de laquelle elles envisagèrent les plus extraordinaires hypothèses au sujet de leur captivité respective, les deux femmes avaient décidé de se coucher.
Blanche avait dressé un lit pour Hélène dans sa chambre.
Et la fille de Fantômas, un peu ironique, avait plaisanté son amie à ce sujet :
— Tu me surveilles ? avait-elle dit. Je vois que tu te méfies encore de mon humeur indépendante et que tu tiens à toujours avoir l’œil sur moi.
Blanche n’avait pas dit non.
***
— Hélène.
— Blanche.
— As-tu entendu ?
— Non, rien.
— Écoute, ça recommence.
Au milieu de la nuit les deux femmes avaient été réveillées en sursaut, elles ne savaient pas pourquoi. Hélène avait nié avoir entendu quelque chose, par simple bonté d’âme vis-à-vis de sa craintive amie. Mais, en réalité, elle avait perçu un bruit, un bruit auquel elle ne se trompait pas, bruit net et catégorique, aisément identifiable, bruit que fait un homme en courant, le bruit de pas lourds et précipités.
Elles prêtèrent l’oreille toutes deux. Après un silence momentané, le bruit des pas recommença. Il provenait du rez-de-chaussée, on reconnaissait fort bien le choc des chaussures, heurtant le dallage en pierre du grand hall.
— Cette fois, murmura Blanche, d’une voix qui tremblait, il n’y a plus de doute.
Hélène, d’une voix nette, répliqua :
— Il n’y a plus de doute en effet, quelqu’un marche au rez-de-chaussée.
— Il monte précisa Blanche. Je reconnais le bruit de ses pas dans l’escalier.
Hélène intriguée, mais courageuse, serrait les poings. Quelques secondes passèrent, angoissantes, les pas se rapprochèrent. Les deux femmes haletaient.
La porte lentement s’ouvrit avec un bruit sec et net, la serrure qui ne tenait que par une ou deux vis tomba sur le plancher, puis, sortant de l’ombre pour se préciser en pleine lumière, la silhouette d’un homme apparut :
Mais à peine l’individu était-il entré dans la pièce que la fille de Fantômas poussa une exclamation :