Il se trouvait toujours dans le tunnel où l’évasion s’était produite, mais il s’y trouvait seul. Hélène n’était plus là. Hélène, en quelque sorte, avait mystérieusement disparu sous ses yeux, sans qu’il pût rien faire pour la rejoindre.
Ayant repris leur marche, en effet, le journaliste et la jeune fille avaient rapidement atteint la prise d’air sur laquelle Fandor comptait pour sortir du tunnel sans être obligé de passer par l’une de ses extrémités, qui était dangereusement gardée, l’une par la gare, l’autre par les ouvriers chargés d’avertir les trains. Malheureusement, la prise d’air qui devait permettre au journaliste et à sa fiancée, de s’évader définitivement, était constituée par une sorte de cheminée débouchant probablement en pleine montagne, et creusée dans la voûte du tunnel qu’elle perçait presque à son sommet.
Fandor n’avait pas pensé à cela !
Trompé par des renseignements inexacts, il avait cru que la prise d’air descendait jusqu’au sol, il n’en était rien, et dès lors, il se demandait comment lui et Hélène allaient pouvoir se hisser dans ce conduit dont l’orifice était ironiquement dressé à plus de cinq mètres au-dessus de leur tête.
Le jeune homme et la jeune fille, perplexes, réfléchissaient encore, lorsqu’ils eurent une surprise absolument extraordinaire. Devant eux, en effet, quelque chose descendait lentement qui raclait les parois de la fameuse prise d’air. Et Jérôme Fandor et Hélène qui, d’abord, avaient cru à quelque éboulement de terrain, à une pierre dégringolant à la suite d’une pluie quelconque, demeuraient muets d’effroi et de joie à la fois en reconnaissant qu’il s’agissait d’une échelle, d’une échelle qui, miraculeusement, semblait venir s’offrir à eux pour faciliter leur escalade.
Jérôme Fandor n’hésita pas.
— Mordieu, murmura-t-il, quand j’ai eu besoin d’une échelle pour sortir de Saint-Lazare, il s’est trouvé une vieille femme extraordinaire pour m’en apporter une juste à point. Tout à l’heure, quand, dans votre wagon, je faisais trop de bruit en sciant le plafond, une autre vieille femme ou la même, je n’en sais rien, s’est trouvée chanter juste au bon moment. Et voici que maintenant, comme nous ne savons de quelle façon nous en aller, une échelle nous arrive, c’est peut-être une troisième vieille femme qui nous l’envoie, car enfin, ce ne peut pas être la même que celle qui chantait dans le wagon ?
Ce n’était pas le moment d’épiloguer.
— Montez, conseillait Fandor à Hélène, cette échelle est fragile et pourrait se rompre sous notre poids. Montez seule, une fois hors de danger et au sommet du puits, vous m’appeliez et je vous rejoins.
Hélène s’empressa d’obéir au jeune homme et gravit quelques échelons. Mais, elle n’en gravit que trois ou quatre. À peine avait-elle commencé à monter, en effet, qu’elle poussait un cri terrible, un cri auquel répondait une exclamation de Jérôme Fandor.
L’échelle à laquelle se cramponnait la jeune fille, venait de bouger en effet. On la hissait. Elle remontait vers l’ouverture. Et, tandis qu’Hélène instinctivement, s’accrochait à l’échelle, sans penser à sauter en arrière, Fandor avait beau, lui, jurer, hurler, faire un vacarme de tous les diables, il ne parvenait pas à rattraper le dernier échelon. On lui enlevait Hélène sous les yeux.
***
Vingt minutes plus tard, n’entendant rien, perdu dans la nuit du tunnel, comprenant bien qu’Hélène, puisqu’elle ne lui donnait pas signe de vie, avait été victime de quelque aventure extraordinaire, Jérôme Fandor se décidait à abandonner l’orifice de la cheminée d’aération.
Un train de marchandises traversait à ce moment le tunnel. Jérôme Fandor, la mort dans l’âme, y monta. Il se faufila dans un wagon, un wagon qu’occupaient d’énormes vaches, qui, de leur mufle roux, le flairèrent mélancoliques, et là, à bout de forces, brisé de fatigue, accablé, il se laissa tomber sur leur litière, et s’endormit d’un sommeil de plomb.
14 – NUIT DE TERREUR
— Qui va là ?
— Qui est là ?
Deux voix retentissaient dans la nuit, troublaient le silence de cette maison déserte où les rares bruits résonnaient, se répétaient lugubrement.
Il semblait que ces deux cris avaient été poussés par deux voix de femmes, l’une atterrée, l’autre un peu plus grave mais gouailleuse. Les interrogations avec un peu plus de nervosité dans le ton reprirent :
— Qui va là ?
— Qui est là ?
Soudain, la lumière qui filtrait sous le pas d’une porte soigneusement close s’éteignit brusquement, puis ce fut le silence qui dura un instant. Enfin la première voix reprit :
— Répondez, c’est moi qui ai marché. N’ayez pas peur.
— Non, non je ne veux pas.
Puis, plus rien, le silence.
Vingt minutes environ passèrent sans que le moindre appel eût été formulé, sans qu’aucune des objurgations faites n’eût été reprise. Et cependant, quelqu’un de l’autre côté de la porte, non pas dans la pièce qui la fermait, mais dans l’antichambre, attendait anxieusement :
Cette personne n’était autre qu’Hélène. La jeune fille, abasourdie, semblait stupéfaite, affolée. Après être demeurée comme prostrée dans cette antichambre où il faisait froid, où l’on n’entendait plus rien, lasse évidemment, d’insister pour se faire ouvrir la porte à laquelle elle frappait, la jeune fille en poussant un profond soupir, recula lentement. Elle parvint au faîte d’un escalier, en prit la rampe, comme si elle eût craint d’être trahie par ses forces, puis elle descendit les marches une à une, en tapinois.
Arrivée au bas de l’escalier, dans le grand hall de la maison où elle se trouvait et qu’éclairait médiocrement une petite ampoule électrique, la jeune fille s’arrêta et avisant une bergère, s’y laissa tomber exténuée. Où se trouvait Hélène ? que lui était-il donc arrivé ?
La jeune fille, comme dans un rêve, revit les derniers événements.
À peine était-elle sortie du wagon pénitentiaire, qu’en arrivant au sommet de l’échelle, tirée par le haut, elle s’était trouvée soudain en présence d’hommes masqués, enveloppés de grands manteaux et qui s’étaient jetés sur elle, l’avaient ligotée, bâillonnée, puis installée de force dans une automobile qui avait roulé pendant la moitié de la nuit.
Le trajet avait duré trois heures environ, et il devait être deux heures du matin, lorsque le véhicule enfin s’était arrêté. On avait alors fait descendre Hélène, on lui avait ôté les liens qui la maintenaient prisonnière et, lorsqu’elle avait repris l’usage de ses membres, elle s’était rendu compte qu’elle se trouvait à l’intérieur d’une maison inconnue, au rez-de-chaussée d’une propriété déserte.
L’automobile qui l’avait amenée avait disparu. Hélène, rebroussant chemin, avait d’abord essayé de sortir du mystérieux immeuble, mais la porte du rez-de-chaussée, par laquelle on l’avait fait entrer était maintenant fermée à clé.
La jeune fille alors, surmontant son émotion et sa fatigue, avait eu l’audace de vouloir se rendre compte, d’une façon aussi nette que possible, de l’endroit où elle se trouvait. Elle avait ouvert une porte, puis une autre et successivement elle avait parcouru des pièces nombreuses, toutes désertes, misérablement meublées de quelques chaises, Hélène avait crié, appelé, nul ne lui avait répondu. La jeune fille cependant, ne s’était pas découragée. Voulant à toutes forces savoir, elle était montée au premier étage, et là, toute palpitante d’émotion, elle avait entendu de légères rumeurs qui déterminaient chez elle un cri de défiance et d’angoisse. Croyant que quelqu’un s’approchait d’elle, elle avait crié : Qui va là ? Puis, elle avait vu filtrer de la lumière sous une porte, elle s’était rapprochée, un bref dialogue s’était engagé alors avec une personne qu’elle imaginait être une femme. De nouveau la nuit et le silence.
Lasse d’attendre et terrassée par la fatigue, Hélène était alors descendue, revenue au hall du rez-de-chaussée dans lequel ses mystérieux ravisseurs l’avaient fait pénétrer tout d’abord, elle s’était endormie au fond d’une bergère.