Jérôme Fandor, sitôt Riquet parti, avait commencé par pousser avec une conviction profonde la longue série de tous les jurons de son répertoire. Il s’était mis dans une colère abominable. Il s’était révélé à lui-même qu’il en avait assez, qu’il en avait trop, qu’il fallait que ces aventures finissent, qu’elles le rendraient fou. Et puis, quand il avait assez tempêté, quand sa violence même avait eu calmé l’irritation de ses nerfs, il s’était convaincu qu’il importait de partir immédiatement à la recherche d’Hélène.
— J’ai trois choses, trois indices pour me guider, s’était dit Fandor, d’abord, la statue de l’Amour, ensuite, le temps qu’il faut pour aller ou revenir de cet endroit mystérieux. Enfin, je sais que ledit château est un ancien couvent.
Jérôme Fandor, réflexion faite, avait sauté sur son chapeau : de La Chapelle, il s’était rendu en toute hâte sur les boulevards où il avait fait l’acquisition de « l’Annuaire des châteaux de France ».
Rentré chez lui, une par une, Fandor avait feuilleté chaque page, examiné chaque gravure, lu ligne par ligne toutes les indications, tous les renseignements pouvant coïncider avec les déclarations de Riquet : malheureusement le journaliste s’était vite rendu compte qu’il existait une infinité de châteaux dont le parc était planté de marronniers et la façade plus ou moins ornée d’une statue. Comment donc choisir, trouver parmi tant de domaines, la demeure où gémissait Hélène ?
Or, tandis que ses recherches ne lui donnaient aucun résultat, tandis que ses yeux commençaient à pleurer de fatigue et de rage, tandis qu’il s’énervait de plus en plus, brusquement Fandor se redressa tout à coup pour exécuter une gigue effrénée qu’il dansa dans sa chambrette. Certes, les locataires voisins eussent été fort effrayés d’apercevoir les entrechats que réussissait à la perfection ce pauvre paralytique Taxi dont ils avaient si grand-pitié.
Jérôme Fandor venait d’avoir une idée :
— Mon petit Fandor, s’était dit le journaliste, se parlant à lui-même ainsi qu’il avait coutume de le faire dans ses moments d’expansion, mon petit Fandor, tu es le plus immonde des crétins de l’univers. Ta cervelle doit être en putréfaction. Ton idiotie ferait reculer d’horreur un académicien de l’Académie française. Enfin, je ne te reconnais plus. Parbleu, un endroit dont il faut trente-cinq minutes pour s’évader par la voie de l’eau en se trouvant amené à la Seine est un endroit qui est à trente-cinq minutes de la Seine. Il n’y a pas à aller contre. C’est un fait indiscutable. Maintenant il est très facile, en cas de besoin, de mettre trois heures pour y parvenir.
Fandor interrompit sa gigue, souffla, se frotta les mains, fit trois grimaces de plaisir dans la glace de sa cheminée, puis poursuivit son raisonnement :
— Admettons que Fantômas ait tourné en rond pour rallonger la route. La première conclusion à en tirer, c’est qu’Hélène et Blanche sont prisonnières dans l’enceinte de Paris. Cela explique parfaitement, dès lors, que Riquet, tombé dans la rivière souterraine, ait pu être amené à la Seine au pont de Grenelle en trente-cinq minutes. Il y a mieux, cela va peut-être me donner le moyen de retrouver en l’espace d une seconde la prison de mes deux amies.
Tout en parlant, Fandor choisissait dans une valise cachée sous son lit, la chemise toilée sur laquelle on lisait : Plan de Paris.
Fandor fouilla dans ce dossier. C’était la collection très complète de tous les plans qui ont été publiés : plans ordinaires, plans des tramways, du Métropolitain, des monuments, des théâtres, des curiosités, cartes géologiques.
Et soudain, Fandor poussa un cri de triomphe en retrouvant le seul plan qu’il cherchait : le plan de l’hydrographie du sous-sol parisien.
— Parbleu, chantonna le journaliste, en dépliant la feuille, c’est bien le diable si je ne trouve pas là-dessus la rivière souterraine qui a si proprement emporté mon pauvre Riquet, et c’est le diable encore, si, en vérifiant les immeubles sous lesquels passent les diverses rivières du sous-sol parisien, je n’arrive pas à découvrir le château que je cherche, soi disant un ancien couvent.
Une heure plus tard, Fandor était sûr de son fait. Il partait vers le château mystérieux.
Fandor, subitement, avait pensé au couvent de l’Assomption.
Désaffecté depuis peu, le couvent de l’Assomption se trouve dans le plus complet abandon, étant confié aux soins d’un liquidateur. Il y a là un vaste parc où l’on se croirait à cent lieues de Paris, d’énormes bâtiments, avec une infinité de murs d’enceinte, et il était très possible, en effet, que les deux prisonnières y eussent été conduites. Et elles pouvaient parfaitement ignorer qu’elles étaient dans Paris, et qu’elles se trouvaient dans ce couvent.
Une heure plus tard, parvenu rue de l’Assomption, à deux pas de la rue Mozart, où les tramways d’Auteuil-Madeleine passent majestueux et lents, il vérifiait combien l’endroit était merveilleusement propice à un emprisonnement semblable à celui dont il s’occupait. Les maisons voisines tournent le dos au couvent. De plus, le parc lui-même, énorme, complètement négligé, rempli de fourrés touffus, est bordé de tout un côté par un autre grand jardin qui dépend d’une villa voisine.
Les murs qui entourent le couvent sont hauts, et l’escalade eût assurément attiré l’attention des passants, provoqué un scandale, ce qu’il fallait éviter à tout prix, au cas d’une erreur possible. Par bonheur, le hasard, une fois encore, devait servir le journaliste. Le long du trottoir, en effet, stationnait une grande voiture d’épicier, dont les chevaux, à demi dételés, avalaient tranquillement une musette d’avoine, tandis que leurs conducteurs devaient déjeuner en un mastroquet voisin. Jérôme Fandor avisa cette voiture, sourit, et, leste comme un chat, escalada sa toiture. Il était nu tête, vêtu de pauvres habits, on dut le prendre pour un livreur, personne ne s’étonna.
« Très bien, pensa Fandor.
Parvenu sur ce toit de voiture Jérôme Fandor était à peu près de niveau avec le sommet de la muraille du couvent dont seule la largeur du trottoir le séparait.
Prendre son élan, sauter de la voiture sur le mur, rester une demi-seconde à peine en équilibre sur ce mur et se laisser dégringoler dans le parc, c’était un jeu pour le journaliste.
— De mieux en mieux, se déclara Fandor qui, tombé dans un buisson de ronces, se déchirait la peau aux pointes acérées.
Il traversa le parc dans son entier, puis se heurta à une nouvelle muraille qui devait clore le jardin proprement dit.
Mais, si Jérôme Fandor avait hésité à franchir par escalade le mur de la rue de l’Assomption, il n’avait plus à s’embarrasser de la crainte des passants pour vaincre ce nouvel obstacle.
Intrépide, il s’accrocha aux pierres branlantes, trouva prise dans les lézardes du pan de mur. Une seconde après il était au faîte, une seconde encore et il se trouvait à l’intérieur de la seconde enceinte.
Or, Jérôme Fandor n’était pas de l’autre côté de ce mur qu’il apercevait, gracieusement dressée devant le perron d’une immense bâtisse, la jolie statue de l’Amour apprivoisant les deux colombes.
Alors Fandor, oubliant toute prudence, allait s’élancer en courant, et de toutes ses forces, crier :
— Hélène, Hélène, me voilà, vous êtes sauvée !
Il s’arrêta, réfléchit.
— Non, se dit-il, attendons la nuit pour nous montrer.
Et jusqu’à neuf heures du soir, il demeura tapi dans un fourré.
***
En quelques mots entrecoupés, Jérôme Fandor, ayant enfin retrouvé Hélène et Blanche Perrier, décida d’un plan de fuite :
— Fuyez, avait dit le jeune homme, vous êtes au couvent de l’Assomption, prisonnières de Fantômas.
— Non, de Juve, avaient crié Blanche et Hélène.
Il ne les écoutait déjà plus.
— Je ne peux pas fuir… Mon enfant ! cria Blanche.
— Cette chaînette ne vous retiendra pas longtemps, dit Fandor.