— Sacrée sale môme, hurlait-il. Ah, je t’étranglerai ce soir, saloperie que tu fais. Au moment où j’allais aplatir cette vermine, faut qu’t’arrive et qu’il foute le camp. Ah, nom de Dieu ! Et le coffret qui est vide et le pèze qu’il emporte. Ah, si jamais Fantômas venait.
Fleur-de-Rogue, encore suffoquée d’émotion haleta :
— Mais justement, le Bedeau, je venais te prévenir, Fantômas monte. Il est derrière moi. Sur mes talons. Tiens.
Fleur-de-Rogue n’acheva pas. D’un vigoureux coup d’épaule, quelqu’un du dehors, arrachait la porte de ses gonds, apparaissait à l’entrée de la chambre, riant, se croisant les bras, hautain et dédaigneux. C’était Fantômas. Alors le Bedeau vit rouge. Il ne s’était pas aperçu qu’au cabaret du Drapeau, en lui confiant le coffret à garder, Fantômas s’était joué de lui, subtilisant adroitement les billets de banque et ne laissant à sa garde qu’un coffret vide. Le Bedeau découvrant le coffret ouvert par Fandor, était donc persuadé que Fandor venait d’emporter les billets de banque. Et juste à ce moment Fantômas apparaissait. Qu’allait dire Fantômas ? Le Bedeau ne se faisait pas d’illusion. Il devinait la colère du chef, il devinait qu’il allait être condamné à mort et, peut-être, exécuté sur l’heure.
— Mort pour mort, pensa le Bedeau, il ne sera pas dit que je ne ferai pas tout au monde pour sauver ma peau.
Et, tandis que Fantômas le contemplait sans mot dire, l’apache, d’un mouvement plus vif que la pensée, abandonna son eustache pour se saisir d’un revolver qui gonflait la poche de sa veste. Le Bedeau ajusta Fantômas, appuya sur la détente, fit feu en pleine poitrine :
— Crève donc Fantômas, gueula le Bedeau.
Un éclat de rire lui répondit. Fantômas avait-il été atteint par la balle ? Mais oui, Le Bedeau avait tiré de trop près pour pouvoir le manquer. Pourtant, Fantômas n’était pas tombé. D’une voix calme, il disait à son adversaire :
— Mais mon pauvre Bedeau, tu deviens fou, est-ce que tu ne sais pas que l’on ne me tue pas, moi.
Or, Fantômas, recevant en pleine poitrine un coup de feu et n’étant même pas blessé, c’était, aux yeux du Bedeau, quelque chose de si étrange, que l’apache, une fois encore, perdait la tête. Il avait d’abord été certain d’atteindre Fantômas. Se rendant compte qu’il l’avait manqué, il n’avait pas douté que Fantômas allait immédiatement se jeter sur lui, le punir immédiatement de sa tentative d’assassinat. Et voilà que Fantômas demeurait calme. Mieux, il riait. Le Bedeau, d’un mouvement fou, repoussa Fleur-de-Rogue qui, terrifiée se serrait contre lui. En deux enjambées, l’apache traversa la chambre, d’un coup de poing, il fit voler en éclats la vitre où la balle de revolver, en ricochant sans doute, avait marqué une étoile, il enjambait la barre d’appui, il sauta. Fantômas eut juste le temps de courir à la fenêtre et d’apercevoir le Bedeau qui, tombé sur un toit s’enfuyait en dégringolant par la lucarne entr’ouverte. Et Fantômas, voyant cette fuite, haussait les épaules et murmurait :
— Quel imbécile.
24 – LA SILHOUETTE MYSTÉRIEUSE
— D’abord, avec vos billets de troisième, mes petites demoiselles, vous n’avez pas le droit de rester dans l’express. Et puis, d’ailleurs, vous seriez rudement embêtées de vous y trouver. Car il ne s’arrête pas à la station où vous descendez. Pensez donc, Rion-des-Landes, c’est une gare de rien du tout, si les grands trains s’y arrêtaient, ils n’arriveraient jamais à destination. Descendez de voiture et prenez patience, vous monterez dans l’omnibus, tout à l’heure, il part du quai n° 6, à dix heures quarante et une.
Ces renseignements étaient fournis, dans la gare de Saint-Jean, à Bordeaux, par un employé complaisant et jovial, à deux jeunes femmes qu’accompagnait un petit enfant, et que l’employé venait de faire descendre du rapide de Paris quelques instants auparavant.
Les deux femmes descendirent, avec le petit enfant et les nombreux paquets qu’elles possédaient, sur le trottoir.
Il n’était que huit heures du matin : elles avaient près de trois heures à attendre, et le séjour dans le vaste hall de la gare où retentissaient de perpétuels coups de sifflets, le halètement des machines ou le sourd grondement des trains en marche, cependant que le vent soulevait des nuages de poussière, n’avait rien de bien réjouissant.
— Débinons-nous d’ici, veux-tu ? dit l’une d’elle, avec un fort accent parisien. On attraperait la crève, dans cette gare. On va aller manger quelque chose dans un bistro voisin.
Sa compagne lui répondit :
— Oui, allons-y. Bien volontiers. Je meurs de froid. D’ailleurs, le petit Jacques doit avoir besoin, lui aussi, de prendre quelque chose.
L’enfant sourit, en hochant la tête, à la jeune femme qui le tenait par la main. Le trio s’achemina par les passages souterrains jusqu’à la sortie de la gare. Elles montrèrent leur billet, obtinrent l’assurance qu’elles pourraient rentrer dans la gare au moment voulu pour prendre l’omnibus de Bayonne qui s’arrêtait à Rion, puis, avisant un restaurant de modeste apparence, sur le boulevard de la Station, elles y entrèrent et commandèrent quelque chose de chaud.
Ces deux jeunes femmes et ce petit enfant n’étaient autre que la pierreuse Fleur-de-Rogue et Hélène, la fille de Fantômas. Comment ces deux femmes, si différentes de condition et de caractère, si opposées l’une à l’autre par leurs existences et leurs sentiments, se trouvaient-elles réunies ?
Au moment de l’évasion, Hélène, ayant pris le petit Jacques dans ses bras, comptait le rendre à sa mère sitôt que celle-ci aurait quitté, elle aussi, la prison où elles avaient été enfermées toutes deux. Les circonstances, et surtout Fantômas en avaient décidé autrement. Blanche n’était pas sortie du couvent. Hélène atterrée par la mort de sa camarade, s’était d’abord juré qu’elle vouerait son existence au fils que celle-ci laissait seul sur terre. Mais, au bout de quelques jours, la jeune fille s’était rendu compte qu’elle avait elle-même une existence trop compliquée pour pouvoir s’occuper normalement de l’enfant. Elle s’était dit que, dans l’intérêt de ce dernier, il importait de le confier le plus rapidement possible à quelqu’un qui serait capable de lui prodiguer des soins aussi attentifs que réguliers. Hélène avait réfléchi et examiné dans sa mémoire, recherché si elle ne connaissait pas quelqu’un qui serait susceptible de remplir toutes ces conditions. Le lendemain du jour de sa rencontre avec Fandor, au cabaret du Drapeau, Hélène partait pour le quartier de Belleville et s’engageait dans la rue de la liberté. Arrivée devant une grande maison ouvrière, elle s’arrêtait à la loge et demandait à la concierge :
— M me Bernard est-elle chez elle ?
— Hélas, non, dit la concierge.
Depuis longtemps, Marie Bernard avait déménagé, elle et sa marmaille, on ne savait pas ce qu’elle était devenue.
À qui confier le petit Jacques ? Hélène remontait les larges trottoirs de la rue de Mouzaïa, lorsque soudain, elle avait été arrêtée par Fleur-de-Rogue.
— La Guêpe, s’était écriée celle-ci, saluant la fille de Fantômas du surnom sous lequel elle avait été un moment fort connue à Belleville.
Hélène, un peu surprise par cette rencontre, ne savait trop quelle attitude observer envers la pierreuse. La dernière fois qu’elles s’étaient trouvées ensemble, c’était dans des circonstances tragiques, au chevet du Bedeau, grièvement blessé dans une affaire de cambriolage, et Hélène avait été embarquée dans cette affaire de si malheureuse façon que si son père n’était pas intervenu pour la sauver, elle aurait été mise à mort par les apaches que Fleur-de-Rogue était la première à exciter contre elle. Mais, de ces événements, vieux déjà de quelques mois, Fleur-de-Rogue ne semblait pas se souvenir. Elle aborda cordialement la jeune fille, s’inquiéta d’elle, remarqua avec étonnement l’enfant qui l’accompagnait.