Les ateliers venaient de s’ouvrir depuis quelques instants seulement. Il n’était que huit heures et demie du matin. Fantômas attendit sous le porche de la maison cependant qu’il jetait un regard sournois et rapide sur l’enfilade des ateliers et des vastes hangars qui s’élevaient tout autour de l’immeuble.

Avec une audace inouïe, une témérité fantastique, le bandit revenait à la charge. Il n’hésitait pas à se présenter dans la famille Granjeard et il le faisait sans redouter, en apparence du moins, les conséquences de la conversation que la veuve et ses deux fils avaient eue, la veille, avec le véritable Juve, venu précisément les voir au moment où Fantômas se présentait, ce qui, d’ailleurs, avait déterminé le bandit à s’enfuir, non sans avoir glissé au préalable dans la poche du policier la chevelure de Blanche Perrier, qu’il avait assassinée.

Fantômas ignorait que Juve n’avait pas révélé sa personnalité et qu’il s’était présenté à M me Granjeard sous le nom du courtier en vins. C’est pourquoi le bandit était anxieux de connaître les déclarations éventuelles de Juve, c’est à quoi il songeait lorsqu’il sonna. Son visage avait une expression dure, tourmentée. Machinalement, Fantômas palpait sous l’épaisseur de son vêtement à l’intérieur de sa poche, la crosse de son revolver.

— Il est bien chargé, cette fois, se disait-il, on ne sait pas ce qui peut arriver.

Et, en pensant à « ce qui pouvait arriver », Fantômas eut un sourire sardonique.

La porte enfin s’ouvrit et Julie, la domestique, s’effaçant pour laisser passer le visiteur, l’invita respectueusement à pénétrer dans le petit salon :

— Je vais aller prévenir madame et ces messieurs, déclara la bonne. Si monsieur Juve veut prendre la peine d’attendre ici quelques instants.

Le faux policier répondit sur un ton protecteur qu’il n’était pas pressé, qu’il avait bien le temps, demeurant fort convaincu, d’ailleurs, que les personnes auxquelles il venait rendre visite ne le feraient pas languir, désireuses d’entendre Juve. Plus Fantômas pensait à la personnalité du policier qu’il s’était acquise, plus il songeait au rôle terrible et redoutable qu’il jouait sous ce nom qui était pour lui la meilleure des sauvegardes. Il éprouvait une indicible satisfaction à l’idée qu’il avait dupé tout le monde et qu’il avait merveilleusement profité des circonstances et des événements.

Pourquoi et comment Fantômas s’était-il fait connaître sous le nom de Juve ?

Les choses étaient venues pour ainsi dire malgré lui. Cela remontait à quelques semaines, à une certaine matinée où Fantômas, à la recherche du cadavre de son ancien associé, le cocher Prosper, sur les ruines de l’immeuble appartenant à Juve, avait été rencontré par un gavroche effronté et sympathique. Fantômas s’était amusé à se faire passer, auprès de ce gamin, pour le policier Juve. Il avait raconté cela par gaminerie, comme il eût voulu éblouir et intéresser un petit enfant à un conte fantastique. Seulement, il était arrivé qu’au cours de ses conversations avec le petit Riquet, il avait appris les dissensions intestines qui divisaient la famille Granjeard. Il avait connu toute l’histoire de Didier et il savait combien sa mère, ainsi que ses frères, gens âpres à l’argent, étaient opposés à la conduite qu’il avait, à l’existence qu’il menait, et Fantômas, très perspicace, s’était aussitôt dit que ces gens-là seraient capables de tout pour éviter une liquidation de leur maison. C’est alors que, dans son esprit fertile et cruel, une idée avait germé.

Fantômas avait décidé d’assassiner Didier et de faire croire que les auteurs de ce crime n’étaient autres que ses parents, puis, après avoir fait arrêter ces derniers, de les libérer par un artifice dont ils lui sauraient gré.

D’autres se seraient contentés d’avoir obtenu cinq cent mille francs de la mère, en lui disant que, moyennant cette somme, elle arrachait son fils aîné à l’échafaud et cinq cent mille francs de ce fils, en lui persuadant qu’à ce prix sa mère coupable ne serait pas inquiétée. Mais Fantômas n’était pas satisfait : il voulait mieux encore, le bandit savait que la fortune des Granjeard s’élevait à plusieurs millions, et l’appât du gain lui donnait le désir de se les approprier tous. Les Granjeard, libres et innocentés, ne voulaient pas payer, Fantômas avait imaginé autre chose. Il s’agissait de les compromettre encore et c’est pourquoi il avait assassiné, quelques jours auparavant, la malheureuse Blanche Perrier. Fantômas, en attendant l’arrivée des Granjeard, réfléchissait à tous ces événements :

— Mon coup est très avancé, se disait-il, il ne me reste plus qu’une passe à franchir et j’aurai gagné la partie.

Le visage de Fantômas, cependant, se rembrunit.

— Le tout, grommelait-il tout bas, est de savoir ce que Juve leur a dit hier. Suis-je brûlé à leurs yeux ? ou cet imbécile de policier, ne voulant pas se nommer encore, par prudence, a-t-il de la sorte, laissé le champ libre et la voie ouverte à mes désirs ?

C’était là, en effet, toute la question qui se posait pour Fantômas. Lorsque les Granjeard allaient entrer dans le salon, y pénétreraient-ils avec la conviction qu’ils se trouvaient en face d’un imposteur, doublé d’un maître chanteur, ou alors croiraient-ils encore au Juve qu’ils avaient déjà connu et par lequel ils se pensaient protégés ?

Mais il fallait s’attendre à tout, c’est pour cela que Fantômas avait dans sa poche un revolver chargé. Le bandit était optimiste et il se disait que sa bonne étoile lui permettrait certainement de mener à bien son entreprise. Dès lors, pensait-il, il faut agir carrément, nous n’avons plus une minute à perdre.

Fantômas s’arrêta de penser, car l’heure de l’action sonnait : la porte s’était ouverte, M me Granjeard, suivie de ses deux fils, entrait dans le petit salon.

Dès le premier coup d’œil, dès l’échange du premier regard, Fantômas poussait un imperceptible soupir de satisfaction. En voyant ses interlocuteurs, il se rendait compte que rien n’était changé, il comprenait que Juve n’avait point révélé sa propre personnalité et que, par conséquent, le policier ne l’avait point brûlé, lui, Fantômas, dans l’esprit des Granjeard.

Rassuré de ce côté, Fantômas, dès lors, se révéla d’une audace et d’un cynisme qui n’avaient plus de bornes. Il n’avait rien à craindre, il n’allait pas se faire faute de terrifier les Granjeard pour en obtenir le plus d’argent possible d’eux.

Et, tout d’abord, prenant une physionomie hypocritement triste et sévère, Fantômas salua les nouveaux venus de ces mots :

— Blanche Perrier est morte, morte assassinée.

— Oui, dit M me Granjeard, nous avons appris cet épouvantable drame. Nous sommes désolés. Nous regrettons. Pauvre femme.

Paul Granjeard intervint à son tour :

— C’est désolant, mais nous n’y pouvons rien.

— Croyez-vous ? fit Fantômas.

Les Granjeard le regardèrent, surpris. Le faux Juve poursuivit :

— Vous aurez peut-être à vous expliquer très prochainement sur le décès de cette malheureuse.

— Nous ? s’écrièrent ensemble la mère et les deux fils.

Imperturbable, Fantômas poursuivit :

— Le juge d’instruction Mourier a décidé de procéder à nouveau à votre arrestation. C’est une question d’heures.

— Mais pourquoi ? que signifie ?

— Oh, le raisonnement du magistrat est fort clair, il vous sera bien difficile de le détruire. Voilà : vous êtes suspects d’avoir fait disparaître la seule personne qui pouvait constituer pour vous un témoin gênant. Blanche était, en effet, l’unique femme susceptible d’innocenter celui sur qui vous cherchez à faire retomber les soupçons, c’est-à-dire sur le journaliste Jérôme Fandor, que vous avez accusé formellement d’être l’auteur de l’assassinat de Didier. Saisissez-vous ?

— Pardon, dit Robert Granjeard, mais nous n’avons jamais accusé ce monsieur d’avoir tué notre frère.

Avec une audace inouïe, le faux Juve affirmait :


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