Il résultait de ces bruits qu’une certaine dame Garrick, épouse de M. Garrick, médecin-dentiste, avait subitement disparu de chez elle, sans en avoir informé qui que ce fût. Cette disparition causait de la surprise dans le quartier et aussi une certaine émotion, car M meGarrick était fort sympathique à son entourage. Il n’en était pas de même de M. Garrick, homme aux apparences rudes, mystérieuses et brutales.

L’enquête effectuée par les détectives établissait rapidement que M. Garrick entretenait, dans le centre de Londres, des relations adultérines avec une artiste du music-hall, une Française, épouse séparée d’un Canadien.

Lorsque l’interrogatoire du docteur Garrick fut décidé et que le détective chargé de l’effectuer se rendit à son domicile, il découvrit que le docteur Garrick était absent.

Ce départ coïncidait avec celui de sa maîtresse.

Il était d’autant plus suspect qu’il avait toutes les apparences d’une fuite précipitée, ayant pour but de se soustraire aux recherches de la police et aux questions des magistrats.

Les détectives parvenaient néanmoins à savoir quel était le lieu de refuge qu’avait provisoirement choisi le docteur Garrick.

Celui-ci s’était embarqué le même jour que sa maîtresse, à bord du steamerVictoria qui se rendait au Canada.

Si le docteur avait pu débarquer en Amérique en dépit des bonnes relations qui unissent le Royaume-Uni de Grande-Bretagne avec la République Canadienne, l’arrestation du présumé coupable aurait donné lieu à de nombreuses complications. Mais, grâce à la télégraphie sans fil, on put savoir que le docteur Garrick était à bord duVictoria et grâce à la rapidité du TransatlantiqueMajestic , le prévenu put être rejoint en mer par un inspecteur de police chargé de l’appréhender.

Entre temps, au cours des investigations faites au domicile du docteur Garrick, des vestiges humains étaient découverts dans sa cave.

Ceci tendait à prouver de la façon la plus formelle que le docteur inculpé du meurtre de sa femme, M meGarrick, avait ensuite fait disparaître le corps de sa victime par des procédés chimique connus de lui, et dont les experts ont déterminé la nature.

Le docteur Garrick, arrêté à bord duVictoria, a déclaré au détective chargé de son arrestation, ne rien comprendre aux faits qui lui étaient reprochés.

Cet acte d’accusation, tel qu’il vient d’être lu, a été déclaré valable par le grand jury, siégeant à huis clos.

En foi de quoi Garrick a été renvoyé devant laCentral Criminal Court pour y être jugé.

On avait écouté la lecture de cet acte qui en réalité ne faisait que résumer des choses connues de tout le monde, et dont l’énumération sèche contrastait étrangement avec les récits circonstanciés et dramatiques que les journaux, à l’époque, avaient consacré à ces épisodes.

Au milieu du silence, lord Pilgrim s’adressant à Garrick lui demanda, conformément à la loi :

— Que plaidez-vous, Garrick, coupable ou non coupable ?

Si l’accusé avait répondu coupable, l’audience aurait été aussitôt levée, on n’aurait même pas constitué un jury et le juge aurait sur-le-champ, ne consultant que lui-même, prononcé la peine qu’il aurait estimé devoir être appliquée.

Mais Garrick répondait :

— Je plaide non coupable.

On s’y attendait d’ailleurs. Nul n’éprouva de surprise.

Brouhaha dans la salle : on s’occupa aussitôt d’introduire les douze jurés qui devaient se prononcer à l’issue des débats sur le sort de l’accusé.

Un à un, ceux-ci gagnèrent leur place, non sans avoir, au préalable, prêté le serment que leur soufflait le Clerk of the Court.

L’installation de ces magistrats uniquement chargés d’apprécier le fait était à peine achevée que M eKidney se leva et prit la parole :

Développant l’acte d’accusation et l’étayant d’arguments probants, il présenta les faits sous un jour éminemment défavorable à l’accusé.

M eKidney n’était-il pas l’avocat chargé de soutenir l’accusation ?

Dans une argumentation serrée, il s’évertua à démontrer l’invraisemblance de la justification de son départ, invoquée par Garrick.

— Le docteur, déclarait-il, a prétendu que s’il se trouvait à bord du Victoria, ce n’était point pour échapper à la justice, mais uniquement pour courir après sa maîtresse qui, précisément, s’en allait au Canada afin d’y retrouver, croyait-elle, l’enfant qu’elle disait lui avoir été volé…

Garrick a prétendu ignorer complètement la disparition de sa femme légitime, qu’il dit avoir trouvée toute naturelle. M meGarrick, estime-t-il, est libre d’aller se promener comme bon lui semble… Tout cela est bien étrange et d’ailleurs, je ferai remarquer au jury que Garrick a été dans l’impossibilité absolue d’indiquer à la justice l’endroit où M meGarrick aurait pu se rendre.

Ce réquisitoire était présenté sans exagération, sans emphase. Il semblait que l’avocat de l’accusation discutait là de petites questions sans importance.

Sans gestes, il ne recherchait pas de formules élégantes. Non seulement ce n’était pas un orateur, mais on l’aurait vexé même en lui attribuant cette qualité, que se défendent d’avoir la plupart des hommes de loi britanniques.

Pressé d’en terminer, il déclara enfin :

— Nous allons d’ailleurs entendre les témoins.

Et l’huissier appela :

— Shepard.

Quelques instants après, le sympathique détective gravissait les gradins qui conduisaient à l’estrade.

Et dès lors, une conversation simple, presque cordiale s’engagea entre lui et les deux avocats : maître Kidney d’une part et maître Islingford, le défenseur, de l’autre.

Le détective, de façon brutale et précise, raconta exactement ce qui s’était passé, depuis le jour où il s’était occupé de l’affaire jusqu’au moment où il avait ramené Garrick à Old Bailey.

Toutefois, sur une question du défenseur, Shepard ajouta :

— Un de nos collègues, le détective French est parti depuis plusieurs jours pour la France, où se trouve, croit-on, M meGarrick. Nous n’avons pas eu de nouvelles de French pendant près d’une semaine, mais il a adressé une dépêche hier à M. le juge-président, dépêche dont il nous a envoyé le double à Scotland Yard…

— Je vous demande la permission de donner connaissance de cette dépêche au Jury, demanda maître Islingford, en se penchant vers son confrère.

Celui-ci n’y voyait aucun inconvénient. Maître Islingford lut :

«  Viens de faire découverte importante, rentrerai à temps Londres pour assister à audience de la cour… »

Signé : French.

Avec une parfaite impartialité, l’avocat de l’accusation suggéra en regardant maître Islingford :

— Voulez-vous que nous entendions immédiatement la déposition du détective French ?

Les deux avocats étaient d’accord.

Le Clerk of the Courts’en fut, de sa voix nasillarde, appeler dans la salle voisine, ce témoin dont la déclaration aurait certainement une grande importance.

Le greffier, toutefois, revenait seul et s’adressant aux avocats :

— M. French, fit-il, n’est pas encore là…

Dans l’assistance jusqu’alors silencieuse, courut un frisson d’incrédulité.

Il semblait, autant que l’on pouvait en juger – car nul ne manifestait ouvertement ses opinions – que pour une fois le public n’était pas favorable à la police et que, contrairement à ce qui se passe d’ordinaire, il était fort disposé à croire à la culpabilité de l’accusé.

Le docteur Garrick pâlit en apprenant l’absence de French. Il comptait beaucoup, lui aussi, sur la venue du détective.

Mieux que personne, Tom Bob savait combien son collègue avait dû mettre d’acharnement à retrouver la femme de son camarade. Si French avait télégraphié dans le sens que l’on savait, c’est qu’il avait une bonne nouvelle à apporter…


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