Le policier soudain, éclata de rire :

— Ma foi, Fandor, continua Juve, – mais maintenant le policier parlait à voix basse, – je crois que nous avons merveilleusement joué notre comédie. Tu entends ce ronflement de moteur ? Il y a gros à parier que c’est la voiture de Sonia et d’Ellis Marshall qui démarre. Quand j’ai dit : « Nous coucherons à Morlaix », j’ai parfaitement vu le couple tressaillir de joie. Ces imbéciles vont aller nous attendre sur la route. Ces imbéciles vont nous arracher ce fameux maroquin.

— Qu’ils ne nous enlèveront pas.

— Et pour cause.

Puis Juve, amicalement, pressa Fandor :

— Et maintenant, mon petit, allons acheter quelques vêtements de rechange, une valise et filons tout droit sur Morlaix, comme je te le disais tout à l’heure.

8 – DEUX MONSTRES

Un bruit de pas, un froissement d’herbe, quelques grognements sourds, le bruit d’une lutte rapide dans l’ombre, puis soudain la lueur blafarde d’un rayon de lune perçant la dentelure des ruines de la cathédrale gothique édifiée jadis sur la pointe Saint-Mathieu.

Deux hommes se trouvaient en présence, ils haletaient l’un et l’autre. Ils venaient de se battre.

Ces deux hommes étaient seuls dans la nuit et celle-ci se poursuivait, froide, sombre, silencieuse ; au large, la mer s’était calmée. On n’entendait plus que le bruit discret et monotone des vagues longues et nonchalantes déferlant au loin.

Les deux hommes s’examinaient sans songer à reculer ou à avancer d’un pas. Farouches, mais autant l’un d’eux paraissait lourd, vulgaire, robuste, massif, autant l’autre avait une apparence fine, distinguée, élégante et majestueuse.

Le premier de ces hommes était Jean-Marie.

Jean-Marie, soudain, s’était senti empoigné à l’épaule, il n’avait pas autrement résisté. Depuis vingt-quatre heures qu’avait eu lieu le naufrage du Skobeleff, il vivait dans la crainte, redoutant à chaque instant que sa complicité avec les naufrageurs n’eût été soupçonnée, qu’on ne vînt l’arrêter.

Mais peu à peu, après la résistance machinale qu’il avait opposée à l’homme surgi de l’ombre pour se précipiter sur lui, Jean-Marie l’étudiait avec une certaine curiosité.

Il était enveloppé dans un grand manteau noir. Sur son front s’abaissait un chapeau mou noir, à grands bords souples.

— Que fais-tu par ici, Jean-Marie ?

— Vous regarde pas.

— Parle, je veux savoir.

— On m’interrogera plus tard si l’on veut, pour le moment je ne dirai rien, j’aurai bien le temps de causer au poste, fit Jean-Marie.

— Me prends-tu donc pour un gendarme ?

— Non, mais pour un flic en civil.

— Tu te trompes, Jean-Marie. Je suis mieux que cela, tu ne m’as donc pas reconnu ?

— Non.

L’homme se pencha plus près encore de l’oreille du Breton, et, lentement :

— Je suis Fantômas, dit-il.

— Ah, répondit Jean-Marie, tant mieux, ou tant pis pour vous.

— Jean-Marie, poursuivit le bandit, sais-tu qu’il me suffirait d’une seconde de volonté pour t’abattre immédiatement à mes pieds. Tu n’as pas d’arme.

Jean-Marie haussa les épaules :

— À quoi cela vous servirait ? Vous êtes donc fou ? ou alors est-ce que vous avez l’intention de tuer pour le plaisir ?

— Je ne tue jamais sans raison. J’ai simplement voulu, Jean-Marie, te faire remarquer que tu étais en mon pouvoir.

Le Breton secoua lentement la tête :

— Je ne dépends de personne, on ne peut s’assurer les services de Jean-Marie qu’en lui donnant un peu d’or, le reste me laisse froid, je n’ai qu’un amour au monde, je n’ai qu’une passion.

Fantômas glissa dans la main velue du Breton quelques louis.

— Quel est donc ton métier ?

— Pourquoi me demandez-vous cela ?

— Pour savoir. On pourrait t’employer.

— Je sais tuer comme personne : je suis équarrisseur. Voilà longtemps, très longtemps déjà que je n’ai rien fait. Il faut que je reprenne le métier, je regrette Paris, voyez-vous, et j’y retournerai bientôt.

— C’est là, sans doute, Jean-Marie, que tu retrouveras tes amours. J’ai entendu dire qu’une certaine Fleur-de-Rogue…

— Je me moque des femmes, et ne ferais pas un pas pour elles. Je n’ai qu’un amour, vous ai-je dit, qu’une passion.

— Laquelle ?

— Le sang, je veux voir couler du sang.

Fantômas, qui avait maintes fois entendu parler, dans les milieux d’apaches auxquels il commandait mystérieusement, de Jean-Marie l’équarrisseur et de sa cruauté proverbiale, se disait qu’il y avait évidemment là un serviteur précieux dont il convenait de s’assurer les bonnes grâces.

Fantômas, généreux, glissa encore dans la main du Breton quelques louis d’or que l’homme accepta avec une satisfaction visible, puis Jean-Marie, peu à peu, se familiarisa, raconta ses projets :

— Tenez, fit-il, soudain, Fantômas, vous me plaisez, comme j’ai besoin de vous pour une affaire, je vous propose d’y participer avec moi.

— De quoi s’agit-il ?

— De tuer et de tuer pour voler ensuite.

— Bonne idée, le projet ?

— Je suis embauché en qualité de domestique dans un manoir voisin d’ici, au manoir de Kergollen, chez une certaine dame Brigitte. Elle vit seule, isolée, elle est vieille, elle est riche. Je sais qu’elle a de l’or.

— Jean-Marie, dit Fantômas, il ne faut pas commettre ce crime, je ne le veux pas.

— Bien, fit-il, je le commettrai donc tout seul.

— Non, ordonna Fantômas, tu ne toucheras pas à un seul cheveu de la tête de cette femme, tu ne lui prendras pas un centime.

— J’agirai comme il me plaira.

— Jean-Marie, il ne faut pas songer un seul instant à enfreindre ma colère, sans quoi tu pourrais t’en repentir.

— Je ne me repens jamais et je n’ai peur de rien.

Jean-Marie était brutal et entêté, mais Fantômas était habile.

Dominant ses sentiments de colère, le génie du crime se fit soudain aimable et séduisant. Il tendit la main à l’équarrisseur :

— Jean-Marie, tu me plais, car tu es brave, j’ai voulu t’éprouver. Oui j’accepte de m’associer avec toi pour l’affaire dont tu parles et je sais que tu ne la commettras pas sans moi, car nous n’avons l’un et l’autre qu’une parole. Si j’ai voulu t’empêcher d’agir, c’est pour te protéger. Crois-moi, le coup ne peut pas réussir en ce moment, mais il sera bon dans trois jours.

— Dans trois jours ?

— Oui. J’ai des raisons que je t’expliquerai.

Fantômas finit par convaincre Jean-Marie. D’accord, ils allaient se séparer, ils se retrouveraient dans trois jours, dix heures et quart précises du soir, à l’entrée des offices du manoir de Kergollen. Jean-Marie guiderait le génie du crime à travers les couloirs du vieux manoir, et Fantômas agirait, tuerait la vieille dame, pendant que Jean-Marie s’emparerait des trésors.

Ils allaient se séparer. Jean-Marie rappela Fantômas :

— Écoutez, j’ai quelque chose à vous dire. Une amabilité en vaut une autre.

— Parle.

— Tout ce qui concerne le naufrage du Skobeleffvous intéresse je suppose.

— Exact.

— Eh bien, fit Jean-Marie, j’ai vu…

Le bandit raconta la scène dont il avait été témoin à la fin de la nuit précédente. Il avait vu un officier aller se dissimuler dans une masure, après avoir troqué son uniforme contre des vêtements de femme :

— Cet homme habillé en femme est allé ensuite à deux kilomètres d’ici et a découvert dans la falaise une anfractuosité dans laquelle avec mille précautions, il a enfermé quelque chose, d’évidemment précieux.

— Alors ?

— Alors, fit Jean-Marie, voilà tout. C’est intéressant ?

— Non. Toutefois une chose m’intéresse cependant, cet homme déguisé en femme, cette femme qu’est-elle devenue ?

Jean-Marie n’en savait rien. Fantômas le lui apprit :

— Cette femme, car c’est une femme, en effet, a eu d’impérieuses raisons pour se dissimuler, pour fuir. Il faut absolument la retrouver et rien ne nous sera plus facile, car tu connais son signalement, et je vais te mettre sur sa piste.


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