Le père et la mère Zizi, au lendemain de l’accident, avaient été hébergés par des biffins, leurs voisins.
Ils demeuraient, à présent, dans une simple cabane. C’était là qu’Hélène avait trouvé la mère Zizi et qu’elle prit congé d’elle :
— Eh bien, ma brave maman, tant pis, il faut s’en faire une raison. N’empêche, ça me fait de la peine de songer que Papillon est chez un équarrisseur.
Cela devait évidemment faire un gros chagrin à la fille de Fantômas d’apprendre que le cheval de la roulotte, les jambes broyées, les flancs déchirés, à moitié mort, avait été mené chez l’équarrisseur.
Qui eût rencontré à ce moment cette jeune fille s’en allant à grands pas vers la barrière de Saint-Ouen, se fût douté que de graves préoccupations rendaient songeur ce front de vingt ans.
La fille de Fantômas, à pied, traversa tout Paris.
Elle sortit de la capitale par la porte de Châtillon, se dirigeant vers le cimetière de Bagneux, puis, avant d’atteindre la vaste nécropole, alors qu’elle se trouvait dans les terrains vagues semés de champignonnières abandonnées, elle prit sur la droite, coupa à travers champs, parvint bientôt à une sorte d’enclos ceinturé de hauts murs dont elle fit le tour, lentement.
— Pourvu, se disait la jeune fille de plus en plus inquiète, pourvu que je réussisse. Pourvu qu’il n’y ait personne.
Autour d’elle, à perte d’horizon, s’étendaient les champs de détritus innombrables, incultes, dont n’avaient pas voulu les maraîchers.
Devant la jeune fille se dressaient les murs élevés de l’enclos dont elle venait de faire le tour à deux reprises.
La jeune fille, après un dernier coup d’œil à la campagne déserte, n’hésita pas davantage. De dessous sa cape de chiffonnière, elle tira un rouleau de cordage.
— Au travail, murmura-t-elle, les voleurs de chevaux n’opéraient pas autrement au Natal. Pourquoi ne réussirais-je pas ?
Déroulant sa corde avec un soin extrême, Hélène attacha à l’un des bouts une énorme pierre trouvée le long du mur. Puis, faisant tourner l’extrémité de la corde, comme si elle eût voulu s’en servir ainsi que d’une fronde, elle jeta la pierre de l’autre côté du mur.
Le caillou tomba dans un jardin, probablement. On entendit le bruit sourd qu’il faisait en roulant sur le sol, et la fille de Fantômas tressaillit, prêtant l’oreille. Mais les craintes de la jeune fille décidément étaient vaines. Elle pouvait faire tout le bruit possible. Nul ne s’inquiétait d’elle, ne faisait attention à ses gestes.
Après quelques minutes d’une attente anxieuse, la fille de Fantômas s’étant convaincue qu’elle pouvait agir en toute sécurité, commençait à haler sur sa corde. Bien qu’elle eût de petites mains, bien qu’elle parût frêle et délicate, la jolie Hélène était robuste en réalité. Bientôt, elle raidit les bras, elle fit effort et la pierre qu’elle avait jetée à l’intérieur des murs apparut au sommet de ceux-ci, roula à nouveau de son côté. Que voulait donc la jeune fille ? Hélène sembla désappointée d’avoir réussi à ramener la pierre.
Elle tenta un peu plus loin la même manœuvre. Quatre fois de suite la jeune fille envoya la pierre à l’intérieur des murs, hala sur la corde, la ramena. À la cinquième reprise pourtant, comme elle s’était sensiblement écartée de l’endroit où elle avait commencé ses mystérieuses opérations, il se trouva que la corde se raidit durement entre ses mains. Hélène avait beau haler, elle ne parvenait plus, cette fois, à ramener la pierre. Victoire. Souriante, souple, leste, immédiatement, la jeune fille se mit en mesure de se hisser le long de la corde enroulée au pied d’un arbre voisin et qui, retenue à son autre extrémité par la pierre, vraisemblablement accrochée à une branche, lui faisait une sorte de chemin aérien permettant d’atteindre la crête du mur. La fille de Fantômas acheva son escalade en s’asseyant purement et simplement au haut de la muraille qu’elle venait de franchir.
Et, penchée sur le vide noir de la cour qu’elle dominait, elle prêta longuement l’oreille, s’assurant qu’elle n’entendait aucun bruit, que rien ne décelait aux environs une présence d’être humain.
Le silence partout.
Fermant les yeux, mais raidissant ses muscles, elle s’accroupit sur les talons, puis, légère, en vraie acrobate insoucieuse du danger, elle se jeta dans le vide, sauta du haut du mur dans le jardin qu’elle ne voyait même pas, dans le trou noir plein de silence et de mystère, qu’encerclait un mur de quatre mètres.
Elle se reçut habilement sur la pointe des pieds, garda son équilibre, et, bien que la secousse eût été rude, réussit à ne point se blesser.
La fille de Fantômas avança de quelques pas dans l’ombre, puis tira une petite lampe de sûreté, une de ces lampes électriques que tous les coureurs d’aventures emploient pour le plus grand profit de leurs entreprises.
Elle déclencha le mécanisme de la lampe. Un pinceau lumineux éclaira la cour où Hélène venait de pénétrer de façon si mystérieuse.
Or, à peine la jeune fille avait-elle jeté les yeux autour d’elle que, bien qu’elle s’attendît au spectacle qu’elle allait voir, elle ne put s’empêcher de pousser une exclamation d’horreur.
Autour d’elle, près d’elle, contre elle, ce n’étaient que des cadavres de chevaux, des cadavres d’animaux de toutes sortes, dont les uns, écorchés, étaient rouges de sang, dont les autres, pattes raidies, ventres ballonnés, yeux vitreux, corps à demi décomposés, répandaient d’horribles odeurs de putréfaction.
Le sol détrempé de sang, le sol gluant et visqueux, collait aux talons, infecte boue grasse qui vous faisait glisser et trébucher.
Le premier moment de terreur et de dégoût passé, Hélène rappelait à elle toute son énergie.
— Il faut que je trouve Papillon. Il faut que je le voie, se dit-elle.
À la lueur de sa petite lampe, la jeune fille partit de cadavre en cadavre.
Soudain, elle manqua crier de joie. Dans un coin de la cour, au milieu d’un lot de bœufs déclarés impropres à la consommation, le corps gris pommelé du regretté Papillon.
— Dieu soit loué.
Misère, il ne portait plus ses harnais.
Mais au bout de la courette s’élevait une remise. Porte fermée, dont il suffit de soulever le battant pour faire sauter la serrure branlante.
Là, dans ce hangar, dont le toit mal clos laissait par moments pénétrer quelques souffles de l’air pur de la nuit, les chauves-souris en grand nombre voletaient, faisant des rondes inlassables et s’enfuyaient, soudain mises en fuite par la lumière de la petite lampe électrique que tenait toujours la fille de Fantômas.
Enfin, elle put décrocher de la muraille de nombreux harnachements achetés sans doute avec les cadavres des chevaux et pendus là en attendant le revendeur.
La fille de Fantômas fouilla dans cette sellerie mortuaire pendant près d’une demi-heure.
Puis soudain, un cri de victoire :
— Ah, cette fois, ça y est.
La fille de Fantômas à ce moment, tenait un harnais assez coquet, fait de cuir marron liséré de blanc. Vieux harnais, acheté sans doute à quelque cirque riche, c’était le harnachement du malheureux Papillon.
Mais pourquoi Hélène avait-elle voulu à toute force retrouver ces objets de sellerie ?
Repoussant les colliers, délaissant les brides, elle saisit les œillères qui, jadis, empêchait le pauvre Papillon de se laisser distraire par l’horizon des routes.
C’est d’une main tremblante qu’elle palpa l’une de ces œillères, et avec une hâte fébrile, elle en arracha le cuir, elle en enleva la doublure.
— Dieu soit loué, s’écria aussitôt la fille du bandit.
C’est qu’entre les deux épaisseurs de cuir, dissimulé dans une cachette que nul, bien sûr, n’aurait seulement songé à soupçonner, venait d’apparaître le maroquin rouge d’un portefeuille. C’était le portefeuille rouge qu’Hélène tirait de cette cachette. Comment se trouvait-il là ? Comment la fille de Fantômas avait-elle pu venir reprendre dans la sellerie du malheureux Papillon l’important document ?