— Tout le monde le revolver à la main, avait crié Fantômas, et qu’on s’occupe à tirer !
Il pilotait de main de maître la voiture, et s’arrangea pour couper habilement la piste de ses poursuivants éventuels. Droit devant lui, pour gagner un peu d’avance, Fantômas avait suivi le quai Henri IV, mais tourné par le boulevard Bourdon pour gagner la place de la Bastille, et résolument, il s’engageait dans la rue de Charenton.
À cet endroit, l’autobus évolua dans une série de petites rues, qu’il parcourut à toute allure, tournant sur lui-même, rompant vingt fois sa voie, repassant aux mêmes endroits, pour, en fin de compte, aboutir boulevard Voltaire, à hauteur de la rue Oberkampf, qu’il descendit en direction des grands boulevards.
Fantômas paraissait de plus en plus joyeux :
— Ici, murmurait-il en manœuvrant de telle façon que l’allure de l’autobus, redevenue normale, ne pût attirer l’attention, ici, je pense que nous ne courons aucun danger.
Le Maître de l’Effroi, après s’être rapidement retourné et s’être assuré que nul ne les suivait, poussa l’audace jusqu’à descendre de l’autobus arrêté et à se faire remplacer au volant par Mort-Subite.
— Suis l’itinéraire convenu, cria-t-il à l’apache.
Puis Fantômas monta à son tour à l’intérieur du véhicule et s’occupa, avec un admirable flegme, à présider aux opérations de dépouillement du butin.
Dans les sacs qu’ils venaient de voler, sacs de dépêches, d’objets recommandés, de valeurs, il y avait de tout. Rapidement, les hommes de Fantômas éventraient les enveloppes, vérifiaient leur contenu, jetaient au fond du véhicule les prises qu’ils jugeaient peu intéressantes et gardaient au contraire, les mandats, les lettres chargées, tout ce qui représentait une valeur certaine.
Ils étaient huit, sept sacs avaient été volés, la besogne ne traîna pas :
Moins d’une heure après la fuite de l’autobus le long des quais, et alors que le véhicule roulait aux environs de la gare du Nord, le tri était terminé. Fantômas en parut fort satisfait :
— Mes enfants, déclarait le bandit, l’opération n’est pas mauvaise. Nous avons fait exactement cent vingt mille francs.
Il rit d’un rire joyeux, puis ajouta :
— Nous ferons mieux d’ici quelques jours, mais patience.
Fantômas, avec la belle tranquillité qui était la sienne, alors cependant que d’une minute à l’autre le hasard d’une rencontre avec un des témoins de l’attentat pouvait amener les pires catastrophes, finit de donner des explications :
— Vous allez vous partager les mandats et vous occuper de l’autobus. D’ailleurs, je m’en vais vous conduire les uns et les autres, dans les quartiers les plus divers de Paris. À chaque arrêt, l’un de vous descendra.
Fantômas était revenu sur le siège et avait pris le volant, et tandis que la police s’occupait à faire fermer les portes de Paris, à surveiller les boulevards extérieurs, la voiture des criminels continuait à circuler en plein centre de la ville, avec une audace folle. Sur le siège, Fantômas semblait triomphant :
— Qui donc croirait, en apercevant notre voiture, que nous ne sommes pas d’honnêtes mécaniciens ? murmurait-il. Qui donc oserait supposer qu’une heure après l’attentat, nous nous promenons en plein Paris sans même avoir changé d’autobus ? Évidemment, c’est en se cachant le moins qu’on se cache le mieux.
Et, fort de cet axiome, dont il avait maintes fois éprouvé la profonde vérité, Fantômas pilota son véhicule de telle façon que, de la gare du Nord, il arrivait à la Madeleine où Mort-Subite et le Bedeau descendaient. Continuant son chemin, la voiture tournait devant les Invalides, où deux autres apaches la quittaient.
Vers six heures du soir, Fantômas arrivait derrière le jardin du Luxembourg, et du ton le plus ordinaire, il annonçait :
— J’ai grand faim, je vais rentrer.
Sur le siège, à ce moment, un seul homme était à côté de lui, qui n’était autre que Bouzille. L’inénarrable chemineau riait de plus en plus, et paraissait de moins en moins comprendre la gravité des événements auxquels il venait d’être mêlé. Bouzille n’était point sot, mais il avait une candeur véritable qui eût désarmé le plus rusé des juges d’instruction.
— Moi, je n’ai rien fait, pensait Bouzille, pourquoi donc que je me priverais d’une balade en autobus juste un jour comme aujourd’hui où je ne paie pas ma place ?
Bouzille, d’ailleurs, s’il eût dit cela, n’eût pas exprimé toute sa pensée.
Le chemineau, au fond de son âme, se doutait bien que Fantômas allait être obligé de se débarrasser de l’autobus.
— Ma foi, songeait Bouzille, il n’y a pas de sot métier, il y a toujours ici des petits trucs à glaner : le crin des coussins, le cuir du tablier, la trompe, les lanternes, je ne perdrai pas ma journée si je peux rafler tout cela.
Et, avec l’inconscience qui le caractérisait, il suivait Fantômas. Cette randonnée tragique, lui vaudrait bien une vingtaine de francs de bénéfice.
Cependant, un vent de folie semblait souffler sur la capitale.
— Je crois que cette fois les Pouvoirs publics comprendront, se disait Fantômas. Bah ! dans huit jours peut-être, je ferai mieux.
— Nous sommes seuls, Bouzille, dit Fantômas. Veux-tu descendre ?
— Non, où vous irez, j’irai.
— Alors, reste.
Cette fois, un sourire avait égayé la dure physionomie du Roi du Crime. Que méditait-il ?
Du Luxembourg, l’autobus fatal avait rejoint le boulevard de Port-Royal. Il longeait l’avenue des Gobelins, puis, descendait par le boulevard de la Gare. Il évoluait encore quelque temps le long de la Seine, puis, un brusque crochet l’amenait à la rue Cantagrel.
— Nous voici chez nous, Bouzille.
— Chez nous, patron ?
— Je vais garer l’autobus chez ce marchand de charbon.
Fantômas désignait vers le bout de la rue, un grand terrain vague entouré de hauts murs, d’ailleurs percés de longues brèches, et dans lequel un entrepôt de charbon voisin remisait son matériel.
— C’est là, expliquait Fantômas, que depuis le vol je gare l’autobus. Hier, j’avais prétexté une panne grave auprès du propriétaire qui a un peu fermé l’œil, parce qu’il a eu peur, je pense. Aujourd’hui, ma foi, je rentre directement et je laisse tout là.
L’autobus vira dans le grand terrain, puis gagna le hangar en ruine sous lequel s’entassait des bûches. La voiture devenait invisible. Fantômas sauta du siège.
— Et voilà, Bouzille ! conclut-il. Nous n’avons plus qu’à nous retirer.
Fantômas allait s’éloigner, en effet, sachant bien, évidemment, que dans quelques heures l’autobus serait retrouvé, mais n’y attachant aucune importance, lorsque, ayant jeté un regard à l’intérieur de la voiture, il éclata en jurons.
— Que faites-vous là ? Imbéciles !
Les poings crispés, la face mauvaise, Fantômas interrogeait les trois individus accroupis jusqu’alors sous les sièges, blêmes et pâles. C’étaient trois apaches, trois des faux mécaniciens qui avaient aidé Fantômas quai de l’Hôtel-de-Ville.
— Que faites-vous là ? répétait le maître, j’avais ordonné à tout le monde de descendre en cours de route. Vous avez eu peur ? disait le Génie du Crime, vous n’avez pas osé quitter la voiture en plein Paris ? Imbéciles !
Il serrait dans la main la crosse d’un browning et semblait si furieux que Bouzille jugea prudent de s’éloigner sans bruit et de se cacher derrière un gros tas de bois. Fantômas, d’ailleurs, avait maintes fois prouvé qu’il ne tolérait que personne, fût-ce le meilleur de ses lieutenants, se permît de désobéir à ses ordres.
— Maître, commença l’un des apaches, protège-nous. Avec toi, on ne craint rien, emmène-nous.
Mais il n’acheva pas.
Alors qu’assez piteux, ils considéraient leur redoutable chef, deux ombres apparurent.
Alors Fantômas éclata d’une colère nouvelle :
— Toi, Tête-de-Lard et toi, la Carafe ? Pourquoi êtes-vous ici ?
— Nous sommes poursuivis, expliqua la Carafe.