Au même moment, un nouveau coup de sifflet retentit.
Alors, en moins d’une seconde, Fantômas sauta sur le siège de l’autobus, les bandits grimpèrent dans le véhicule où Bouzille fut lui-même jeté de force, puis la sinistre voiture s’ébranla et s’éloigna lentement, protégée par le tir ininterrompu de la mitrailleuse.
Fantômas avait arraché le volant des mains de Mort-Subite. Le bandit semblait au comble de la joie. Ayant changé de vitesse, accélérant l’allure de sa fuite, il tendait la main vers les cadavres qui jonchaient les trottoirs :
— Un joli coup, disait-il, vingt morts au moins, cinquante blessés peut-être, et, j’espère bien, cinq cent mille francs pour nous.
Mais Mort-Subite ne semblait pas, à beaucoup près, aussi tranquille que son épouvantable maître :
— Vite, vite ! hurlait-il. Dépêche-toi, Fantômas !
Et il tendait le bras vers le pont d’Arcole, montrant une grande voiture automobile, une voiture de course, qui arrivait à une vitesse folle, en faisant de terribles embardées.
— Peuh, répondit simplement Fantômas.
L’autobus suivait toujours les quais. La mitrailleuse se tut.
4 – CHASSE ET FUITE
Tandis qu’avec une effroyable audace, Fantômas, en compagnie de ses redoutables apaches, s’enfuyait au long des quais, laissant derrière lui cadavres et blessés dans le quartier où la tragique mitraillade venait de semer l’épouvante, l’émotion n’était pas prête à se calmer.
Fantômas, à coup sûr, avait opéré avec une extraordinaire rapidité, une inconcevable habileté, et il ne s’était pas écoulé plus de cinq minutes entre le moment où la voiture des postes avait heurté le câble tendu au travers de la rue, et celui où les bandits avaient pris la fuite.
Pourtant, au cours de ces cinq minutes, des milliers de badauds avaient été témoins de l’attentat, de près ou de loin, ce qui faisait qu’à l’instant même, la chasse s’organisait derrière l’autobus qui emmenait les criminels. Sur la trace de la pesante voiture, une nuée de taxi-autos s’élançaient, requis d’autorité par les agents accourus au bruit de la fusillade.
— Mettez les voitures en travers ! hurlaient-ils d’abord.
Et c’étaient une dizaine de fiacres, qui dès lors, à toute allure, virant sur deux roues, montant sur les trottoirs, embardant au travers de la chaussée, tâchaient de rejoindre le sinistre véhicule.
En même temps, quelqu’un, (qui ? on ne pouvait le savoir), brisait un avertisseur d’incendie et appelait les pompiers. En quelques secondes, avec cette extraordinaire rapidité que mettent les nouvelles fatales à se propager dans la foule, on connaissait donc la sinistre aventure qui venait encore une fois de prouver que l’audace de Fantômas n’avait pas de bornes, qu’il était capable de tout oser et aussi de tout réussir.
À la Préfecture de Police, la nouvelle arrivait, apportée par deux agents cyclistes, qui, impuissants, avaient assisté à toute la scène du quai Bourbon et n’avaient pu traverser le pont balayé par la mitrailleuse.
Les deux agents avaient fait force pédales. À peine entrés quai des Orfèvres, dans les locaux de la Sûreté, ils hurlaient plutôt qu’ils ne criaient :
— Au secours, du renfort ! Il y a un attentat aux quais !
Précisément, stationnant devant la Préfecture de police, se trouvait la voiture automobile récemment mise à la disposition de Nalorgne et de Pérouzin, voiture avec laquelle les deux agents étaient bien persuadés qu’ils allaient désormais accomplir des prodiges.
Nalorgne et Pérouzin se précipitèrent sur les traces des agents cyclistes, et activement les questionnèrent :
— Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? Où est-ce ?
— Quai de Gesvres, quai de l’Hôtel-de-Ville, un autobus avec une mitrailleuse. Vite. Vite ! C’est Fantômas ! Il va s’enfuir !
Nalorgne et Pérouzin n’en demandèrent pas davantage. Ils échangèrent un regard joyeux et bondirent vers leur voiture, sautant en même temps sur le siège.
— Mettez-vous en route, Nalorgne !
— Tournez la manivelle, Pérouzin !
Tous deux voulaient commander et aucun d’eux, ne se souciait d’obéir, car leurs expériences des journées précédentes les avaient convaincus que le moteur de leur voiture était capricieux à l’extrême, et fort difficile à mettre en marche.
— Dépêchez-vous donc, Nalorgne.
— Qu’attendez-vous, Pérouzin ?
Ils s’entêtaient d’abord, puis, comprenant que la minute était mal choisie pour discuter des questions semblables, tous deux se jetèrent en bas des marchepieds, coururent à l’avant de la voiture, où ils se bousculèrent pour s’emparer de la manivelle :
— Rangez-vous, nom d’un chien !
— Faites donc attention, idiot !
Par extraordinaire, il arriva qu’au quart de tour de manivelle, Pérouzin fit partir le moteur. Déjà Nalorgne s’était emparé du volant. Il y eut des craquements sinistres dans la boîte du changement de vitesse, Nalorgne se battit de longs instants avec son levier ; puis enfin, comme il lâchait la pédale brutalement, l’embrayage se fit avec une si soudaine brusquerie que la voiture cala net.
La sueur coulait du front de Pérouzin.
— C’est imbécile, hurla-t-il, nous allons les manquer !
Il avait pourtant redégringolé du siège de la voiture.
Il essayait de tourner la manivelle. Hélas, c’était impossible. Il semblait qu’un poids formidable fixait le malheureux moteur, et Pérouzin avait beau raidir ses muscles, il n’arrivait pas à faire faire un demi-tour à la malencontreuse mécanique.
— Nalorgne, venez m’aider !
Nalorgne à son tour, joignit ses efforts à ceux de Pérouzin. Peine perdue. Soudain, Pérouzin, d’un grand coup de poing, se vengea sur Nalorgne :
— Idiot, crétin ! hurla-t-il. Vous avez oublié de débrayer !
Nalorgne, en effet, dans la précipitation qu’il avait mise à descendre de voiture, avait oublié de ramener le levier de changement de vitesse au point mort. Il fit rapidement la manœuvre, la manivelle consentit de nouveau à actionner le moteur, la voiture ronfla :
— C’est moi qui conduirai, déclara Pérouzin.
II saisit le volant, et plus habile que Nalorgne, il fit démarrer.
Pérouzin, d’ailleurs, devait être brave et Nalorgne également, pour oser se risquer dans une automobile rapide, confiée à leurs propres soins. Les deux agents, qui s’étaient donnés comme fort habiles en question mécanique, ignoraient en réalité les principes élémentaires de conduite. Leur voiture zigzaguait de façon effroyable et c’est par miracle qu’elle arriva sans accident jusqu’au pont d’Arcole.
— Vite, vite, hurlait toujours Nalorgne qui, pour calmer ses nerfs, faisait manœuvrer la poire de l’avertisseur.
La Seine franchie, la voiture s’engagea sur les quais, mais n’alla pas loin.
— Tenez donc votre droite, abruti, quand on ne sait pas conduire, on va garder les vaches !
Une manœuvre savante venait précisément d’amener le malheureux Pérouzin à bloquer sa voiture entre une lourde voiture d’épicerie, un taxi-auto et toute une file de fiacres. Pérouzin ne manqua pas de profiter d’une si belle occasion pour caler une fois encore. Il cala même si bien, que la malheureuse voiture demeura immobile, incapable de se remettre en marche, d’avancer d’une ligne.
— Nalorgne, avoua Pérouzin, je crois qu’ils sont trop loin désormais.
Nalorgne, pour toute réponse, haussa les bras d’un air désespéré.
— Cette voiture-là, fit-il, en montrant l’automobile de la Sûreté, je crois qu’elle a des instincts de bandit, elle se fait la complice des criminels. Quand elle marche, nous avons des accidents, et quand elle ne marche pas…
— Elle est arrêtée, conclut gravement son acolyte. Évidemment, elle est arrêtée, et elle est si bien arrêtée qu’il est impossible de la faire repartir.
L’autobus, pourtant, dans lequel fuyaient Fantômas et sa bande, avait pris une certaine avance depuis le début de la poursuite.