— Vous avez l’air content que l’on ait volé la clef. Qu’est-ce que cela veut dire ?
— Rien, affirma Juve.
— Comprenez-vous, monsieur Havard ?
— Non, répondait le chef de la Sûreté. Mais j’ai confiance en Juve.
Et M. Havard ajouta, souriant lui aussi :
— C’est bien Juve, soyez-en persuadé.
Le gouverneur de la Banque commençait à se demander s’il n’avait point le cauchemar, s’il n’était pas victime d’un rêve, tant les attitudes des agents de la Sûreté et de Juve lui paraissaient bizarres, lorsqu’à nouveau, on frappa à la porte du cabinet.
— Il est dix heures et demie, remarqua Juve tranquillement, cependant que, de son côté, M. Châtel-Gérard ordonnait :
— Entrez !
L’huissier qui avait introduit Juve fit de nouveau son apparition.
— Monsieur le gouverneur, déclara cet homme, on vient de faire porter ce petit paquet en priant de vous le remettre d’urgence. Il paraît que c’est excessivement pressé.
— J’avais dit qu’on ne me dérangeât point ! tonnait M. Châtel-Gérard. Laissez cela là, ça n’a point d’importance. Je ne sais même pas ce que c’est.
L’huissier se retira. Juve, en souriant, se leva :
— Monsieur Châtel-Gérard, disait-il, je vous en prie, ne vous gênez pas pour nous, ouvrez donc ce paquet.
Et, en même temps, le policier prit sur un meuble la petite boîte que l’huissier venait d’abandonner.
— Ouvrez donc, monsieur le gouverneur.
L’insistance de Juve surprenait bien un peu M. Havard, mais, à un clignement d’œil du policier, il comprit que Juve ne parlait point au hasard.
— Ouvrez donc, répéta M. Havard.
M. Châtel-Gérard s’exécuta.
— Ah, murmurait rageusement le gouverneur, je vous assure que je me moque pas mal, en ce moment, de ce qu’il peut y avoir dans cette boîte. Quelque cadeau, je pense…
Il défit un papier blanc, du meilleur aspect, coupa une ficelle rouge scellée avec de la cire, arracha encore un autre papier et parvint à reconnaître qu’il s’agissait d’un petit coffret d’acajou ciré.
— Cela n’a pas d’importance, murmura encore M. Châtel-Gérard.
— Ouvrez donc, insistait Juve.
Une seconde plus tard, le gouverneur hurlait de surprise.
— Ah, mon Dieu !
Le coffret ouvert lui échappa des mains. Sur le sol, trois clefs, les trois clefs volées venaient de tomber.
Juve, cependant, ne paraissait nullement surpris ; simplement, au moment où les trois clefs s’étaient éparpillées, il avait eu un bon sourire et s’était frotté les mains.
En revanche, M. Havard, tout comme Léon et Michel, semblaient eux, stupéfiés.
— Ah çà, observa le chef de la Sûreté, c’est plus fort que n’importe quoi. Comment diable, Juve, avez-vous fait pour voler ces trois clefs à Fantômas ? Car c’est vous, évidemment, qui venez de faire porter cette boîte.
— Non, ce n’est pas moi, répondit Juve.
— Mais vous saviez que les trois clefs étaient dedans ?
— Je m’en doutais.
— C’est donc vous qui les y avait fait mettre ?
— Mais, pas du tout !
— Qui donc envoie ce paquet ?
— Qui donc ? Mais parbleu, celui qui avait les clefs.
— Fantômas, alors ?
— Évidemment, Fantômas !
La surprise de M. Havard croissait et Juve paraissait au contraire de moins en moins étonné.
— Monsieur, dit M. Châtel-Gérard en s’emparant des mains de Juve qu’il serrait avec une cordialité nerveuse, monsieur, vous m’avez sauvé la vie. J’étais décidé à me tuer…
— Sottise.
— J’aurais été déshonoré si ces trois clefs avaient été volées, si la Banque avait été pillée.
Mais, à ces mots, la figure de Juve se rembrunit.
— Ah cela, déclara-t-il, c’est autre chose. Je vous avaient promis de vous faire rendre les clefs, je ne vous ai point promis de protéger la Banque. Je tâcherai, évidemment…
Mais, au scepticisme qu’il affectait quelques minutes avant, M. Châtel-Gérard avait substitué un optimisme triomphant :
— Oh, déclarait le gouverneur, vous craignez sans doute qu’on ait pris des empreintes de ces clefs, mais cela, je m’en moque. J’ai. maintenant le temps voulu pour faire changer les serrures avant qu’un scandale éclate.
Il allait continuer, Juve l’interrompit :
— Fantômas n’est pas assez sot, dit-il, pour avoir pris l’empreinte de ces clefs.
— Alors ?
— Alors, il y a autre chose, conclut le policier, autre chose à craindre.
M. Châtel-Gérard allait évidemment protester, mais M. Havard, à son tour, voulait être renseigné.
— Nous examinerons cela tout à l’heure, dit-il. Ce qu’il faut savoir avant tout, Juve, et je vous avoue que je brûle d’impatience de le connaître, c’est la façon dont vous avez décidé Fantômas à vous restituer ces trois clefs.
— À les restituer à la Banque, corrigea Juve. Eh bien, j’ai opéré très simplement : il m’a suffi, monsieur Havard, de raisonner deux minutes. Voyons. Quelle était la situation d’hier ? Deux clefs sur trois avaient été volées, n’est-il pas vrai ? Fantômas ayant deux clefs, mais n’ayant pas la troisième, ne pouvait pas pénétrer dans les caves. M. Châtel-Gérard, n’ayant plus qu’une clef, en était également empêché. Que faire ? J’ai raisonné de cette façon : si Fantômas vole les clefs, c’est qu’il s’imagine, grâce à ces clefs, pouvoir atteindre les réserves. Si, au contraire, je lui persuade que peu m’importe qu’il ait les clefs, il pensera immédiatement qu’elles ne sont pas suffisantes pour lui permettre d’accomplir le vol. Autrement dit, il redoutera un piège, et s’abstiendra, surtout si moi, Juve, j’apparais mêlé à l’affaire.
— Pas mal, approuva M. Havard.
— Oui, c’est assez bien. Donc, ayant sous la main un individu complice de Fantômas, je me suis arrangé pour qu’il me vole la clef et aille la porter à Fantômas. Oh je n’avais pas la moindre illusion ! Fantômas apprenant que moi, Juve, je m’étais laissé soustraire la troisième clef, après une comédie plus ou moins habile, devait soupçonner immédiatement le piège tendu. Dès lors, étant donné qu’il est beau joueur, j’avais bien quatre-vingt-dix-neuf chances sur cent pour que, afin de se moquer de moi, il ait la magnanimité de retourner ces clefs à M. Châtel-Gérard. C’est précisément ce qui est arrivé.
Il n’y avait rien à répondre à cela, il n’y avait qu’à féliciter Juve pour l’extraordinaire habileté dont il venait une fois encore de donner la preuve, et M. Chàtel-Gérard tout comme M. Havard n’y manquèrent point.
— C’est merveilleux, dit le chef de la Sûreté.
— C’est infernal, dit le gouverneur de la Banque.
Juve, toutefois, appréciait peu les compliments.
— Possible, murmurait-il, mais tout n’est pas fini.
— Qu’allons-nous faire, en effet ? demanda M. Havard. Vous êtes persuadé, Juve, qu’il va y avoir une tentative ici ? Contre les coffres ?
— Oui, chef.
— Pourtant vous avez dit vous-même, monsieur Juve, remarquait le gouverneur, que Fantômas n’avait pas dû prendre l’empreinte des clefs.
— Certes, ce serait enfantin. Il avait les clefs, pourquoi en aurait-il fait fabriquer d’autres ?
— Eh bien, alors ?
— Alors, voilà…
Juve paraissait à son tour, embarrassé.
— Fantômas, reprenait le policier, après quelques instants d’une courte méditation, Fantômas, monsieur, il ne faut pas l’oublier, est le Roi du Crime. Comment, dans ces conditions, supposer qu’il peut abandonner un instant, l’idée d’un cambriolage aussi profitable que le cambriolage de la Banque ?
— Mais, les caves sont à l’abri.
Juve, pour toute réponse, sourit. Hélas, lui qui, depuis des années, s’acharnait à la poursuite de Fantômas, tour à tour triomphant et vaincu, n’aurait jamais prononcé la parole imprudente que venait de lancer M. Chàtel-Gérard. Les caves étaient à l’abri de Fantômas ? Vraiment ? Y avait-il, au monde, précautions suffisantes pour qu’on pût tenir pour certain que Fantômas renonçât à réaliser ses desseins ?
M. Chàtel-Gérard, pourtant, s’emballait littéralement sur sa propre affirmation.