— Mais si, répétait-il en voyant l’énigmatique sourire par lequel Juve venait d’accueillir sa déclaration, je vous assure que les caves, ici, ne risquent rien ! Songez donc, un escalier barré par trois portes de fer, des sous-sols dont les murs sont inattaquables à la mine, des locaux que l’on peut noyer en une seconde, qui, en quelques minutes, peuvent être comblés de sable, cela ne se cambriole pas aisément. Et puis, enfin, nous allons avoir l’œil, nous surveillerons. Tenez, il y a mieux encore. Savez-vous, monsieur Juve, qu’en cas de besoin, rien qu’en pressant sur un commutateur électrique, je peux ouvrir des réserves d’acide carbonique comprimé, qui rendraient irrespirables pendant près de quatre jours, au moins, les souterrains où sont nos lingots d’or ?

— Je sais tout cela.

— Et malgré tout, malgré tout cela, comme vous dites, vous croyez qu’il faut craindre Fantômas ?

— Oui, répondit gravement le policier.

Juve, à nouveau, s’était levé. Sa voix devenait vibrante. Il affirma avec une énergie farouche :

— Fantômas, monsieur Chàtel-Gérard, est partout et nulle part. Il n’y a pas de portes fermées pour lui. Il n’y a point de murailles infranchissables pour lui. Il passe au travers de tout, quand bon lui semble. Il est invisible, s’il lui plaît. Il est dans cette chambre peut-être, tandis que nous nous entretenons. Ailleurs, s’il y a plus d’intérêt. Ah, vraiment, vous dites que Fantômas ne saurait entrer dans vos caves ? Cela me fait rire et cela me fait peur de vous en entendre parler, monsieur Chàtel-Gérard. Tenez, moi qui, depuis dix ans, poursuis Fantômas, je n’oserais pas vous dire que Fantômas n’y est pas, en ce moment, dans ces caves. Vous m’avez demandé de vous parler franc, je vous ai répondu comme vous le désiriez.

La déclaration de Juve, naturellement, émut au plus haut point ceux qui l’entendaient. M. Havard tout comme Léon et Michel, connaissaient trop Juve pour douter qu’il ne parlait sérieusement et qu’il ne pensait point ce qu’il disait. Quant à M. Châtel-Gérard, il était encore trop stupéfait par l’habileté dont Juve avait fait preuve en forçant Fantômas à restituer les trois clefs disparues, pour ne pas accepter comme parole d’évangile ce que Juve affirmait avec une si sombre énergie.

— Tout cela est donc possible… remarqua le gouverneur. Mais alors si Fantômas est aussi puissant que vous le dites, monsieur Juve, que faire ? Comment éviter la vengeance qu’il prépare, sans doute ?

Juve, d’abord, ne répondit pas. Il réfléchissait, avec de temps à autre des mouvements nerveux qui lui contractaient le front, lui crispaient les lèvres.

— Messieurs, déclara enfin le roi des policiers, le péril est certain. Il me semble que, logiquement, ce qu’il faut d’abord faire, si nous voulons l’enrayer, c’est de tâcher de le deviner. Je crois qu’avant toute autre précaution, il serait bon que nous nous rendions dans les caves. Peut-être, en examinant les dispositions des lieux, pourrai-je deviner, pressentir au moins ce que va tenter Fantômas. Et alors…

Mais tandis que Juve parlait, M. Châtel-Gérard pâlit visiblement. Un instant avant, au moment où il retrouvait les clefs, le gouverneur ne prenait plus au sérieux Fantômas. Après ce qu’en venait de dire Juve, un revirement se faisait dans son esprit et il lui semblait subitement des moins plaisants de courir le risque de rencontrer le Maître de l’Épouvante dans les sous-sols de son établissement.

— Ah, demanda M. Châtel-Gérard, vous croyez qu’il convient de descendre aux caves ? Si, pourtant… ?

— Peut-être, conseillait M. Havard, serait-il bon que je fasse venir d’autres inspecteurs ? Qu’en pensez-vous, Juve ? Désirez-vous du renfort ?

Le policier secoua la tête :

— En temps ordinaire, demanda-t-il, qui a le droit ici d’aller dans ces souterrains ?

— Moi, répondit M. Châtel-Gérard, Tissot et Roquevaire.

— Personne autre ?

— Non, personne autre.

— Alors, il faut que ce soit vous, monsieur, et vous seulement qui descendiez. Il ne serait pas bon d’attirer l’attention.

Et, comme M. Châtel-Gérard, à cette déclaration de principe, paraissait des moins rassurés, Juve se hâta d’ajouter :

— Oh n’ayez crainte, je considère qu’il serait mauvais de descendre en groupe aux caves, mais je considère aussi qu’il serait dangereux de vous laisser y aller seul. Je vous accompagne, monsieur Châtel-Gérard.

— Et si Fantômas surgissait ?

— S’il surgissait, monsieur, lui ou moi, sans doute, ne sortirions pas vivants de vos caves.

Et, à la façon dont Juve parlait, il était visible que le roi des policiers était en effet décidé à tout pour arrêter les exploits du sinistre et terrifiant Homme à la Cagoule.

9 – DANS LES CAVES DE LA BANQUE DE FRANCE

En affirmant que Fantômas n’était pas homme à renoncer à un vol décidé par lui, en proclamant que le bandit, coûte que coûte, arriverait à s’emparer des richesses de la Banque s’il avait véritablement résolu de s’en emparer, en estimant que la restitution des trois clefs ne prouvait absolument rien, Juve ne se trompait pas.

Fantômas, après s’être emporté de terrible façon contre le malheureux Tête-de-Lard, s’était calmé presque subitement :

— Tête-de-Lard, avait déclaré le bandit, en contemplant son complice terrorisé, tu n’es qu’un imbécile, mais je te pardonne. D’ailleurs, tu vas racheter ton imbécillité en te rendant utile.

— Que devrai-je donc faire ?

— Quelque chose de bien simple. Tête-de-Lard, voici les trois clefs volées, je vais les enfermer dans une boîte, tu les porteras demain à la première heure, à la Banque de France en recommandant qu’elles soient remises directement entre les mains du gouverneur général.

Tête-de-Lard, en recevant cet ordre, pensa mourir d’effroi, car il ne lui semblait pas très prudent de se rendre à la Banque de France, mais il n’osa refuser, sachant par expérience que Fantômas n’aimait pas que l’on discutât ses instructions.

Quelques instants plus tard, Tête-de-Lard s’éloignait, porteur du paquet que lui avait remis Fantômas, et le bandit demeurait seul.

Fantômas alors parut en proie à un grand énervement. Il allait et venait dans sa chambre, fumant avec rage et, de temps à autre, poussant un sourd juron. Il faisait évidemment appel aux dernières ressources de son génie, à son imagination toujours en éveil. Il cherchait le moyen de prendre sur Juve une revanche éclatante.

Mais soudain, Fantômas rit, de ce rire gouailleur et infernal qui lui était propre et dont il accompagnait, le plus souvent, ses plus terribles résolutions :

— Juve, grommela le bandit, je crois que vous n’avez pas songé à cela.

L’homme à la cagoule vérifia l’heure : il était près de minuit et demi. Puis, ayant dépouillé son sinistre manteau noir, ayant rejeté le masque qui voilait ses traits, marchant vite, il se rendit jusqu’aux petites rues étroites qui entourent l’immeuble de la Banque de France.

Fantômas, assurément, disposait de multiples complices. Le génie du Crime, depuis qu’il terrorisait Paris, depuis qu’il avait paré son nom d’une gloire sanglante et effroyable, s’était ménagé des alliés dans les endroits les plus divers.

Il sonna bientôt de façon particulière trois coups, puis deux, puis trois encore, à la porte d’un immeuble de la rue Radziwill. Il pénétra dans une sorte d’hôtel borgne dont il monta l’escalier.

Fantômas, une demi-heure plus tard, se trouvait sur le toit de la maison. La largeur de la rue, cinq mètres à peine, le séparait des toits de la Banque. Il eut pour le vide un sourire de dédain.

— Je crois que cette fois, murmurait le bandit, je suis prêt à donner l’attaque.

Au pied d’une cheminée, il ramassa un paquet de cordes volontairement abandonné là. Avec une adresse consommée, il s’en empara, et, ayant fixé le bout du cordage à un crampon de fer, il jeta le câble par-dessus la rue sur le toit de la Banque. Le câble se terminait par un nœud coulant. Fantômas avait lancé la corde avec une si grande habileté que ce lasso improvisé s’enroula autour d’une saillie de la toiture. Il tendit lentement le câble et sourit encore :


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