— Descendez, monsieur Juve.
C’était M. Tissot qui venait de parler.
— Je descends, riposta le policier. Mais ne fermez-vous pas la porte derrière vous.
— Fichtre non, on ne peut pas ouvrir de l’intérieur, nous serions enfermés.
— Très bien, monsieur.
Juve descendit encore. La seconde porte fut ouverte sans mésaventure. La descente continuait toujours. À la trentième marche, pourtant, Juve s’arrêta.
— Monsieur le gouverneur, appela-t-il.
— Monsieur Juve ?
— Qu’avez-vous au juste à faire dans les caves ?
— Je dois y prendre un portefeuille bourré de coupures de mille francs, une liasse de un million et demi.
— Fort bien. Et où est ce portefeuille ?
— Tout au fond de la cave, monsieur Juve, dans la seconde salle même.
— Il y a donc deux caves ?
— Oui et non. Le souterrain, à vrai dire, mesure cent quarante-deux mètres de long, il est d’un seul tenant, mais en son milieu, il y a une cloison.
— Et nous allons dans le second compartiment ?
— Oui, monsieur Juve.
— Allons !
Juve descendit les trois derniers degrés et se heurta à la dernière porte :
— Ouvrez, messieurs.
Les trois serrures grincèrent : la porte s’ouvrit.
Mais, tandis que Juve et ses compagnons avaient jusqu’alors descendu l’escalier dans une complète obscurité car, par mesure de précautions, pour éviter tout risque d’incendie il n’y a point d’éclairage dans les sous-sols de la Banque, Juve vit le souterrain s’illuminer splendidement devant lui au moment où la dernière porte s’entrebâillait. Un mécanisme ingénieux en effet a été prévu dans les caves même, qui fait que la dernière porte en s’ouvrant éclaire les réserves en faisant jouer un commutateur électrique.
Juve alors recula ébloui.
Il pénétrait dans la grande cave secrète de la Banque et demeurait stupéfait des richesses inouïes qu’elle contenait. Sur des chevalets de bois, d’abord, de grands cartons gonflés, bourrés de billets de banque, s’entassaient les uns sur les autres, classés avec ordre et contenant des fortunes à affoler Crésus. Plus loin, à demi enfoncés dans le sol, on apercevait d’énormes barils faits d’acier, doublés de plomb, bourrés de pièces d’or.
Sur chaque baril étaient apposées des étiquettes impressionnantes :
Pièces de vingt francs à l’effigie de 1889, un milliard et demi. Ou encore : Louis de vingt francs à l’effigie de 1907, deux milliards [10] .
C’était tout au long du souterrain un ruissellement d’or inouï, fantastique.
— Mazette ! s’exclama Juve.
Mais ce n’était pas l’heure de plaisanter. La première surprise passée, Juve ne songeait plus qu’au danger encore menaçant.
— Faisons vite, murmura-t-il.
Et il entraîna ses compagnons vers la porte séparant, ainsi que l’avait expliqué le gouverneur de la Banque, les deux sections de la cave secrète.
Au demeurant, les souterrains apparaissaient déserts, calmes, paisibles, et Juve peut-être s’était-il forgé de vaines craintes en redoutant des périls qui devaient être imaginaires pour les trésors cachés là.
Cependant, ayant pénétré dans la seconde cave, ou plutôt dans la seconde partie de la cave, Juve contemplait, ébloui encore, les lingots d’or représentant la garantie des billets de banque en circulation.
— Quelle fortune, dit le policier, et le revolver à la main, il s’immobilisa cependant que M. Châtel-Gérard, blasé sur ce spectacle, se hâtait vers le fond de la pièce pour y prendre la liasse de billets dont il avait besoin.
— Monsieur Juve… commença le gouverneur…
Mais il n’acheva pas. À ce moment précis, et, sans que rien eût pu faire prévoir la chose, un incident se produisit.
D’abord, un vacarme épouvantable et soudain frappait les oreilles du policier. Cela venait du plafond.
Juve, Tissot, le baron de Roquevaire et M. Châtel-Gérard avaient levé les yeux au même moment.
— Alerte ! criait Juve.
— Attention ! hurlait M. Tissot.
M. Châtel-Gérard, affolé, criait de toutes ses forces :
— Au secours ! Au secours !
Et, en une seconde, cependant que le sol tremblait, il s’abattit une trombe véritable, une trombe de sable, de fer, de pierres, qui débouchait dans la cave, semblant provenir du plafond.
Quelque chose de noir s’agitait au milieu de cette avalanche. M. Tissot, M. Châtel-Gérard, M. Roquevaire étaient renversés sur le sol ; Juve poussait un grand cri de rage et de désespoir.
— Feu, feu ! c’est Fantômas !
Déjà la chose noire ou l’être animé, Fantômas, si c’était Fantômas, s’était relevé.
Le claquement des armes à feu résonna, lugubre, sous les voûtes. Juve, étourdi d’un formidable coup de poing, avait roulé sur le sol, ensanglanté, puis la fantastique apparition noire, bondissant vers la porte de la cloison, la franchissait, la fermait derrière elle, et c’était soudain l’obscurité complète dans la cave où se trouvaient le policier et ses compagnons, l’obscurité remplie du grondement sinistre de l’avalanche qui continuait.
Quelques minutes passèrent, puis le silence se refit.
Juve, le premier, se débattant comme un fou, réussit à s’arracher du lit de sable qui l’avait à demi enseveli.
— Allons, hurla-t-il, du courage, monsieur Châtel-Gérard !
— Oui, voilà. J’étouffe…
— Monsieur Tissot ?
— J’ai le bras cassé, je crois.
Le Baron de Roquevaire, lui, avait devancé l’appel du policier.
— Je n’ai rien, dit-il, mais nous sommes perdus.
À quoi Juve répondit en serrant les poings et d’une voix étrangement tremblante :
— Perdus, non, nous ne sommes pas perdus, mais nous sommes volés ! Ah pardieu, je comprends tout !
Et Juve, en effet, comprenait l’extraordinaire procédé auquel Fantômas venait d’avoir recours :
Le bandit avait découvert le moyen de pénétrer dans les caves de la Banque. Par le toit, il avait dû se glisser dans les énormes réserves de sable, dans les réservoirs remplis de terre qui, par l’ouverture d’une vanne, peuvent servir à combler les réserves. Il avait trouvé moyen de creuser ce sable, de se couler jusqu’à la vanne. Cette vanne, il l’avait ouverte, il s’était laissé tomber du haut du toit par cet étroit orifice jusqu’aux caves secrètes. La terre qui tombait avec lui avait suffi à amortir sa chute. À peine arrivé dans le souterrain, il s’était relevé. Il avait traversé la cave, franchi la cloison, enfermé le policier et les porte-clefs au fond du souterrain. Il était libre maintenant, libre de piller, de piller une fabuleuse fortune dans les réserves de la Banque.
— Fantômas ! rugit Juve, Fantômas nous a-t-il vaincus ? Non. Non. Pas encore !
Il fallait aviser, aviser promptement.
Aidé de M. de Roquevaire qui semblait moins affolé que les deux autres, et faisait preuve d’un bon courage, Juve dégageait M. Tissot et M. Châtel-Gérard.
Juve avait déjà retrouvé son parfait sang-froid, sa maîtrise coutumière de lui-même.
— Avisons, disait-il, avisons.
Et, éclatant de rire, il ajoutait :
— Mordieu, Fantômas est venu avec une facilité relative, mais je ne vois pas comment il sortira des caves. Léon et Michel font bonne garde.
Cette constatation rendit un peu d’énergie au malheureux M. Châtel-Gérard.
— Vous avez raison, monsieur, fit-il d’une voix qui haletait, mais je me demande si réellement on peut triompher de Fantômas.
— Il faudrait pouvoir prévenir mes agents, murmura Juve.
Et ce fut, soudain, comme un trait de lumière pour M. Tissot.
— Mais il y a le téléphone ici, cria-t-il. On peut téléphoner des caves au bureau du sous-directeur !
Juve tira de sa poche son inséparable petite lampe électrique à la faible lueur de laquelle les quatre hommes se regardaient l’un l’autre.
M. Châtel-Gérard était blême. M. Tissot tremblait violemment et d’ailleurs saignait du nez, ayant probablement été heurté par un lourd moellon. Le baron de Roquevaire apparaissait à peu près calme. Quant à Juve, s’il semblait fort en colère, il ne paraissait pas ému.