— Bon Dieu, ne perdons pas de temps ! hurla le policier. Si on peut téléphoner, téléphonons !
Peu après, M. Châtel-Gérard se penchait au-dessus d’un petit appareil téléphonique collé à la muraille, et un dialogue étrange s’engageait alors entre le gouverneur de la Banque et le sous-directeur.
— Allô c’est vous ?
— C’est moi, M. Châtel-Gérard. Vous me téléphonez des caves ?
— Mais oui.
— Qu’y a-t-il pour votre service ?
Le sous-directeur n’était nullement ému, un peu surpris cependant de cette communication téléphonique, car il ignorait complètement les incidents relatifs aux clefs et les inquiétudes des hauts dirigeants de la Banque.
— Il y a pour mon service, répondait M. Châtel-Gérard en hésitant et en interrogeant Juve du regard, il y a pour mon service que, que…
— Passez-moi l’appareil ! dit Juve.
Le policier se saisissait, en effet, du transmetteur et tout d’abord se présentait.
— Monsieur, dit-il, c’est l’inspecteur Juve qui vous téléphone.
— L’inspecteur Juve ?
Le nom du policier plongea bien entendu le malheureux sous-directeur dans des abîmes d’ahurissement.
— Juve ? C’est vraiment Juve qui me parle ? Juve ? Le grand policier ? Vous êtes donc avec M. Châtel-Gérard ?
— Oui, répondait Juve avec une grande impatience, et je vous prie de m’écouter. C’est très grave.
— Mais quoi, mon Dieu ? parlez !
— Voici.
En dix phrases courtes et nettes, Juve avait résumé les aventures qui venaient de se dérouler. Il avait expliqué le vol des clefs et aussi qu’il était dans la cave secrète avec M. Châtel-Gérard, M. Tissot et le baron de Roquevaire. Qu’en ce moment même, Fantômas était en train de piller les réserves de la Banque.
— Monsieur, conclut Juve, vous allez immédiatement avertir les deux agents Léon et Michel que j’ai postés à l’entrée des caves secrètes. Vous leur direz de fouiller la réserve, puis de rester immobiles devant la porte du puits. Cela fait, vous enverrez chercher les serruriers. Il est probable que Fantômas est en ce moment caché dans la première cave, peut-être, au contraire, est-il dissimulé dans l’escalier du puits. Enfin, peu importe. Vous descendrez avec les agents jusqu’à nous. Comme Fantômas n’a pas pu sortir par la porte du hall, comme il ne peut pas repartir par où il est venu, il faudra bien qu’on le prenne.
Juve, dès lors, ces ordres donnés, raccrocha. Du temps passait, et il n’y avait plus aucun bruit, aucun indice de la présence de Fantômas dans la cave comble de pièces d’or. En vain, Juve collait son oreille à la porte que le bandit avait fermée, il ne percevait aucun indice de ce que pouvait faire le maître de l’effroi.
Et puis, soudain, le téléphone sonna :
— Allô ! hurla Juve, bondissant à l’appareil.
C’était le sous-directeur.
— Monsieur Juve !
— Oui, c’est moi.
— Vos ordres sont exécutés, monsieur. Vos agents ont fouillé la serre, ils sont maintenant à la porte du puits, personne n’est sorti.
— Parfait ! Dans ce cas, nous tenons Fantômas.
— Il faut l’espérer, monsieur Juve, mais un mot encore : doit-on fermer la Banque ?
— Jamais de la vie, répondait Juve. Inutile de provoquer un scandale. Les agents sont-ils prévenus ?
— Oui, monsieur. J’ai fait téléphoner à la Sûreté. M. Havard arrive en personne.
— Très bien, merci.
Juve transmit à ses co-prisonniers les nouvelles qu’il venait de recevoir. Il ajouta :
— J’espère que nous aurons du nouveau dans une heure.
Et, disant cela, Juve souriait, car il se rendait bien compte que, cette fois, il y avait beaucoup de chances pour que Fantômas fût pris, pris comme au piège dans les sous-sols de la banque.
Une heure après, cependant, le téléphone sonnait encore.
— Allô. Quoi de nouveau ? demandait Juve.
— Prenez patience, répondait la voix du sous-directeur. Les agents et les serruriers viennent d’arriver, ils sont descendus dans le puits, mais ils viennent de trouver la première porte de la dixième marche, fermée.
— Comment cela se fait-il ? interrogea Juve.
— Nous n’en savons rien.
À ce moment, Juve s’accouda si nerveusement sur le pupitre de l’appareil téléphonique qu’il arriva un nouveau malheur : le policier arrachait l’appareil.
— Malédiction, jura-t-il.
Les fils étaient brisés, il était dès lors impossible d’être tenu au courant des efforts des sauveteurs.
Et désormais, le temps parut effroyablement long. Il était environ onze heures du soir lorsque Juve et ses trois compagnons, qui étaient descendus dans les caves à dix heures du matin, entendirent des bruits de pas de l’autre côté de la cloison qui fermait leur prison.
— Monsieur le gouverneur.
— Monsieur Tissot.
— Monsieur Juve.
— Monsieur de Roquevaire.
Des voix les hélaient.
— Voilà, voilà ! répondait Juve. Nous sommes tous là.
Et faisant taire d’un geste ses compagnons, le Roi des Policiers questionna :
— Fantômas ? Avez-vous pris Fantômas ?
Michel répondit :
— Chef, nous n’avons vu personne. Toutes les portes étaient fermées. Nous avons fouillé partout, sondé les murs, sondé l’escalier même : Fantômas s’est évanoui, Fantômas n’est plus là.
***
Deux heures plus tard Juve se retrouvait en compagnie de M. Havard dans le cabinet du gouverneur de la Banque, lequel paraissait au comble de la désolation.
— Enfin, monsieur Juve, gémissait le malheureux Châtel-Gérard, enfin c’est de la sorcellerie. Comment Fantômas a-t-il pu s’enfuir ? Comment a-t-il pu disparaître, puisque vos agents étaient à la porte des caves et que Fantômas était entre eux et nous ?
Juve lentement hochait la tête, préoccupé.
— Hélas, avouait le policier, je ne le comprends que trop.
Et comme M. Havard, qui réfléchissait, bondissait littéralement à cette déclaration, Juve avouait :
— C’est de ma faute, c’est moi qui lui ai laissé la possibilité de s’enfuir.
Et après un silence, d’une voix qui tremblait, Juve continuait :
— Oui, c’est moi qui ai donné un ordre stupide. Pour laisser continuer les opérations de la Banque et éviter le scandale, alors que nous étions prisonniers dans la cave, j’ai donné l’ordre à Léon et à Michel de quitter la porte de la cave ordinaire pour venir se poster devant la porte des caves secrètes. C’était fou. Fantômas n’était déjà plus dans les caves secrètes.
— Mais, où était-il donc ?
— Il était dans l’un des colis de la serre, reprenait Juve, c’est trop évident.
Et s’animant, Juve expliquait toujours :
— Parbleu, c’est enfantin ! Après nous avoir enfermés dans la seconde partie du souterrain, Fantômas s’est précipité dans la cave bourrée de billets de banque ; il a dû y voler une ou plusieurs liasses, cela, nous allons le savoir puisqu’en ce moment le caissier principal, le baron de Roquevaire, procède à des vérifications. Son vol commis, Fantômas a franchi rapidement l’escalier, claquant derrière lui les portes pour compliquer notre sauvetage. Il est arrivé dans la serre, il s’est glissé dans l’une des grandes boîtes confiées à la Banque, par lui je suppose, il y a quelques jours.
Léon et Michel, en fouillant la serre, ne l’ont pas trouvé et personne, bien entendu, n’a pensé à visiter aucun des colis mis en dépôt. Un complice assurément est venu tranquillement cet après-midi chercher ce colis mis très régulièrement en garde et délivré sans difficulté sur présentation du récépissé d’usage.
L’explication de Juve était si simple, si lumineuse, qu’elle fit stupeur.
— Vous devez avoir raison, commençait M. Châtel-Gérard.
Mais à ce moment on frappait à la porte du cabinet du gouverneur.
— Entrez !
C’était M. de Roquevaire.
— Monsieur le gouverneur, annonçait le caissier principal, je viens de terminer l’inventaire. Un portefeuille de billets de banque a été volé, c’est le portefeuille numéro 27, il contenant près de quinze cents billets de mille francs.