Les policiers allaient et venaient, affairés au milieu de la salle. Ils avaient ouvert les fenêtres, repoussé les volets.

Les cris de l’intérieur se répercutaient au-dehors et quelques passants s’assemblaient au bout de la rue, s’approchaient peu à peu de l’hôtel qui commençait à brûler sérieusement.

On avait rassemblé les meubles, les chaises, les tables, on les jetait par la fenêtre dans l’espoir d’en faire un échafaudage qui permît de sortir de l’immeuble dont l’escalier était condamné par l’incendie.

Aidés par les agents restés à l’extérieur, ceux qui se trouvaient dans la maison parvenaient à descendre au moyen de cette installation de fortune, quelques femmes qui, par leurs cris et leurs gestes, semaient le plus grand désordre.

Soudain, le bruit caractéristique de la corne des pompiers retentit à quelque distance. On entendit un ronflement de moteur, une automobile lancée à grande allure tourna le coin de la rue et vint se ranger devant la maison.

— Sapristi, s’écria M. Sibelle qui se tenait près de la fenêtre avec Juve, ils ont fait joliment vite. Il y a trois minutes à peine que j’ai vu un de mes agents demeuré dans la rue faire fonctionner le signal d’incendie qui, heureusement, se trouve sur le trottoir en face.

Les pompiers accourus étaient en petit nombre. Néanmoins, ils se multipliaient, faisant de prodigieux efforts pour édifier leur installation compliquée, déployer leurs tuyaux, circonscrire le feu. Ils étaient commandés par un sergent qui, précautionneux à l’extrême, avait déjà recouvert son visage du nouveau masque destiné à le garantir contre l’asphyxie.

Ce sergent, toutefois, ne s’engageait pas dans les flammes, mais, au contraire, paraissait très préoccupé d’installer le raccord d’eau qui devait servir à alimenter la lance.

Il avait fallu que M. Sibelle appelât à plusieurs reprises pour que l’on songeât à installer l’échelle qui allait permettre de descendre, du premier étage dans la rue, les gens qui s’y trouvaient encore.

Contrairement à ce qui se passe d’ordinaire, non seulement l’organisation des pompiers paraissait très sommaire, mais encore les hommes eux-mêmes semblaient peu au courant de leur profession et, malgré leurs gestes et leur activité, ils ne parvenaient pas à circonscrire l’incendie qui semblait, au contraire, croître de plus belle.

L’émotion allait grandissant à l’intérieur de l’immeuble dont le plancher commençait à devenir brûlant au premier étage.

La jolie Américaine qui, jusqu’alors, avait voulu se montrer énergique, commençait à s’inquiéter.

— Monsieur, supplia-t-elle en s’adressant à M. Sibelle avec un léger tremblement dans la voix, faites-moi descendre, sauvez-moi, je vous en prie, je commence à suffoquer !

Elle ne continua pas, poussa un grand cri de douleur cependant qu’elle tombait à la renverse.

Un autre cri, mais un cri de surprise s’était, au même moment, échappé des lèvres de Juve. Il venait de comprendre ce qui s’était passé et pourquoi l’Américaine tombait à la renverse. C’était à la fois très simple et très extraordinaire.

En effet, une projection d’eau échappée de la lance maladroitement dirigée vers la fenêtre avait frappé à l’épaule la jeune Américaine. Ce qu’il y avait de plus curieux, c’est que cette eau s’enflammait soudain au contact des flammèches qui couraient sur le plancher. Une lueur vive en jaillit. Cette eau combustible, car il n’y avait pas à en douter, c’était bien le liquide qui brûlait, émettait une odeur facile à reconnaître.

Plus vif que la pensée, Juve se précipita sur la malheureuse qui menaçait d’être brûlée vive. Il arracha au passage un rideau de la fenêtre, roula dedans l’Américaine. Le policier, de la sorte, conjurait l’accident terrible ; Sarah Gordon allait en être quitte pour quelques brûlures insignifiantes.

Mais cependant qu’elle hurlait en proie à la terreur, Juve crispait le poing, il jura.

— Qu’est-ce que cela signifie ? Ce n’est pas de l’eau, c’est du pétrole !

Et soudain le policier comprit en un éclair :

— Cet incendie, cette arrivée des pompiers maladroits, cette aspersion de pétrole qui vient aviver l’incendie au lieu de l’éteindre tout cela ne peut être le fait du hasard ou d’une succession de fâcheuses circonstances, se disait-il. Il y a là les preuves d’une machination préméditée, d’une tentative audacieuse, extraordinaire, criminelle.

Juve bondit à la fenêtre. Enjambant la balustrade, il s’engagea sur l’échelle qui permettait de descendre sur le trottoir.

Au même instant quelqu’un la décrochait. Juve perdait l’équilibre, tombait sur la chaussée.

Le policier demeura un instant étourdi. Il se rendait compte de ce qui se passait, mais ne pouvait pas faire un mouvement. Peu à peu les forces lui revinrent. Il se redressa, tira son revolver et alors, coup sur coup, fit feu sur les pompiers alors que ceux-ci, à un signal donné, déguerpissaient à toute allure, abandonnant leur matériel, laissant s’accroître l’incendie qui prenait des proportions inquiétantes.

Cependant que ces mystérieux sauveteurs s’enfuyaient par une extrémité de la rue Fortuny, à l’autre bout surgissait une nouvelle équipe de pompiers.

Et dès lors, ceux-ci, abasourdis de voir sur les lieux du sinistre les vestiges d’une tentative de sauvetage et d’une pompe automobile abandonnée dont ils ne comprenaient pas l’origine, organisaient bien vite leurs secours, circonscrivaient le feu, dressaient des échelles. En moins de trois minutes il ne restait plus personne à l’intérieur de l’hôtel de la rue Fortuny.

Juve cependant, demeuré à l’écart, grognait, en proie à une colère folle :

— Nous avons été roulés. C’est un peu raide tout de même ! Comment songer que Fantômas aurait eu l’audace de procéder de la sorte ? Car il semble bien que ce soit du Fantômas. Les premiers pompiers qui nous ont si généreusement aspergés de pétrole sont des gens de sa bande. Parbleu, il n’y a aucun doute à cet égard, les individus qui ont eu l’audace de faire les coups de l’autobus et de la Banque de France sont fort capables d’avoir incendié la maison dans laquelle ils savaient que se trouvait, indépendamment de moi, des gens dont ils redoutent peut-être les bavardages et les aveux.

Juve poursuivait, monologuait avec nervosité :

— Fantômas lui-même était là, j’en suis sûr maintenant ! Le sergent ou soi-disant tel, dont le visage était dissimulé derrière le masque respiratoire, c’était encore lui assurément ! Oui, concluait Juve, lui, toujours lui… Je ne m’étais pas trompé en supposant qu’il se trouvait dans ce lieu. Il m’échappe, mais je le tiens tout de même. Jouons serré.

Tandis que Juve réfléchissait, quelqu’un lui toucha légèrement le bras. Il se retourna, reconnut miss Gordon, la jeune Américaine qu’il venait de sauver d’une mort affreuse :

— Qu’est-ce que c’est encore que celle-là ? se demandait Juve, et ne dois-je point bénir le hasard qui, après m’avoir, ce matin, renseigné sur cette femme, me la fait rencontrer ce soir ?

Sarah Gordon, cependant, entraînait Juve. Elle était toute tremblante.

— Venez, venez, dit-elle, je vous en prie ! Monsieur, vous avez l’air d’un galant homme, accompagnez-moi jusqu’à mon domicile, j’ai peur d’aller seule dans les rues de Paris !

Juve, en silence, obéissait. Rue de Prony, il arrêta une voiture, y fit monter la blonde Américaine. Celle-ci insista :

— Venez avec moi, je vous en prie !

Puis, elle souffla l’adresse, Juve dit au cocher :

— Allez au Gigantic Hôtel, place de la Concorde.

Le policier s’applaudissait de la tournure que prenaient les événements.

— Si elle se moque de moi, pensait-il, elle le paiera cher. Si elle ignore ma qualité, tant mieux : elle parlera !

Cependant, le fiacre roulait à une bonne allure, et Juve, installé à côté de sa compagne, perplexe, ne prononçait pas un mot. Celle-ci interrogea :

— À qui ai-je l’honneur de parler ? Et qui dois-je remercier de sa bienveillance ? Oui, je comprends, vous êtes gêné de donner votre nom parce que vous avez peur d’être poursuivi par la justice à cause du tripot ?


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