De plus en plus étonnée, Rose Coutureau obéissait. Lorsqu’elle eut fini, Fantômas la regarda, haussa les épaules :
— C’est idiot, très mal fait. Tu es grimée comme l’as de pique. Cela peut passer dans une boîte comme le Théâtre Ornano, mais tu aurais véritablement l’air d’une mascarade si jamais tu t’avisais de sortir comme cela dans la rue. Allons, essuie-moi tout cela et donne ta frimousse !
Fantômas avait pris les crayons de couleur, le blanc gras, et avec une habileté surprenante de la part d’un homme dont ce n’était point la profession, il maquillait la jeune fille, non pas comme on le fait au théâtre, mais beaucoup plus délicatement, à la façon qu’emploient les bandits ou les agents de la Sûreté pour se rendre méconnaissables à la ville.
Lorsqu’il eut fini il regarda son œuvre et déclara :
— C’est parfait.
Rose courut à une glace et poussa un petit cri de dépit.
Certes, Fantômas avait réussi. S’il avait eu l’intention de faire d’elle une femme répugnante, une véritable horreur, c’était, en effet, absolument parfait.
Le bandit ricana :
— Cela te déplaît, pas vrai, gamine coquette, d’avoir ainsi l’air d’une vieille femme ? Il le faut cependant, et tu t’arrangeras pour te faire cette tête-là chaque fois que tu t’aviseras de sortir d’ici.
Fantômas se tournait vers le père Coutureau qui, pendant toute cette scène, n’avait pas dit une parole :
— Toi, fit-il, si tu ne veux pas qu’on te reprennes ta fille, tu vas crier dans tout le quartier qu’elle est toujours en prison, et que tu l’as remplacée pour faire ton ménage par cette contemporaine de Mathusalem.
Fantômas donna quelques instructions complémentaires à la jeune fille. Il lui recommandait de ne pas porter de corset, de s’épaissir la taille avec trois jupons supplémentaires, puis il la fit marcher devant lui, l’obligeant à recommencer sans cesse jusqu’à ce qu’elle eût adopté une allure trébuchante et vieillotte.
— Bien, dit-il enfin après cette longue et étrange répétition. De la sorte, tu seras méconnaissable. N’oublie pas de jouer ton rôle, si on te faisait travailler, tu pourrais devenir une grande artiste.
Fantômas, soudain, changea le sujet de la conversation, et aussi à l’aise chez le père Coutureau que s’il avait été chez lui, sans plus s’occuper de Rose, il dit au vieil habilleur :
— Donne-moi de quoi écrire. Vite, je suis pressé !
Le père Coutureau apporta un encrier, du buvard, du papier à lettres. Fantômas traça rapidement quelques lignes d’une grosse écriture nerveuse puis, ayant séché sa lettre sur le buvard, il la mit sous son manteau et se leva.
— Adieu, fit-il, à bientôt.
Le père Coutureau le retint :
— Écoutez, fit-il, je vous demande pardon, mais je ne sais comment vous remercier. Vous avez sauvé ma fille, vous l’avez arrachée à la prison, et maintenant vous lui avez indiqué le moyen de se rendre méconnaissable, de n’être pas reprise. Pourquoi faites-vous tout cela ? Comment pourrai-je vous prouver ma reconnaissance ?
Fantômas gronda :
— Imbécile, je n’ai que faire de tes remerciements. Mais il est bien évident que je ne donne rien pour rien. Je t’ordonne de m’aider, de m’obéir si jamais j’ai besoin de toi et je te défends, en tout cas, de jamais trahir mon secret, de ne jamais dire ce que je viens de faire et de t’indiquer ce soir.
Le père Coutureau allait protester de son dévouement, il n’en eut pas le temps, Fantômas s’était retiré.
— Que fais-tu, petite ? interrogea le père Coutureau qui, de plus en plus interloqué, revenait vers sa fille.
— Tu le vois bien, grommela Rose, je range.
Et, en effet, la jeune fille qui, tout à fait entrée dans la peau de son rôle, avait désormais toutes les allures d’une vieille femme, mettait l’encrier, le buvard à leur place.
Le père Coutureau que ces émotions avaient fatigué baillait à se décrocher la mâchoire.
— Je m’en vais me coucher, déclara-t-il.
Et, machinalement, comme autrefois, il embrassa sa fille sur le front.
Rose, cependant, était restée dans la salle à manger. Elle était bien trop énervée, bien trop émue pour avoir envie de dormir. Seule, elle retourna prendre le buvard sur lequel Fantômas avait séché sa lettre et, curieuse, elle regarda, car l’encre avait laissé des traces et la jeune fille cherchait à retrouver sur le buvard ce qu’avait écrit le bandit. La chose était facile. Toutefois le texte était à l’envers et Rose ne pouvait lire. Elle eut soudain une inspiration. Entre ses yeux et la lampe allumée, elle plaça le papier buvard et parvint à déchiffrer le texte de la lettre par transparence que Fantômas avait séchée.
Rose épelait à haute voix ce qu’elle voyait :
— Lady Lady… Bel… Bel… tham… Lady Beltham, un nom d’Anglaise évidemment, pensa-t-elle, elle lut encore :
— 214, avenue Niel. Tiens, comme c’est bizarre, la même adresse que la comtesse de Blangy, remarqua Rose, qui rougit à ce souvenir.
Il y avait au-dessous de cette adresse quelques lignes indéchiffrables que, malgré ses efforts, Rose ne pouvait reconstituer, mais, plus bas, elle parvenait à lire de nouvelles indications et dès lors, ses yeux s’écarquillèrent de terreur ; tout son corps frémit ; elle relut à d’autres reprises pour s’assurer qu’elle ne se trompait pas ; elle venait, en effet, de découvrir dans la transparence du buvard ce sinistre avertissement :
Vous mourrez le 7 de ce mois.
N’ayant pu, malgré ses efforts, obtenir du buvard d’autres révélations, Rose, de guerre lasse, était allée se coucher. Toutefois, elle ne parvint pas à s’endormir. La silhouette tragique et surprenante de Fantômas hantait son esprit et la phrase effrayante qu’elle avait découverte sur le buvard dansait perpétuellement devant ses yeux :
Vous mourrez le 7 de ce mois.
— Mon Dieu, pensa soudain Rose Coutureau, nous sommes le 3, c’est donc dans quatre jours que cette menace sinistre doit se réaliser. Mais qui concerne-t-elle ? De qui s’agit-il ?
***
— M me lady Beltham, s’il vous plaît ?
— Je ne connais pas, ma brave femme, vous devez vous tromper.
Rose Coutureau demeura interdite devant la concierge du 214 de l’avenue Niel à qui elle avait posé cette question et qui venait de lui faire cette réponse.
Après avoir mûrement réfléchi jusqu’à l’aube sur tout ce qui venait de se passer, Rose Coutureau s’était enfin endormie puis, lorsqu’elle s’était réveillée, sa résolution était prise. D’une part, elle suivrait les conseils de Fantômas et ne sortirait de chez son père que déguisée en vieille femme, de l’autre, elle ne laisserait pas se commettre un crime et préviendrait la future victime du bandit du danger qu’elle courait. Car il n’y avait pas de doute, la menace de Fantômas était à l’adresse d’une personne habitant avenue Niel, au 214. Elle concernait cette lady Beltham.
Aussi Rose Coutureau fut-elle toute surprise lorsque la concierge à laquelle elle s’adressait lui eut répondu :
— Nous n’avons pas de lady Beltham et vous devez faire erreur.
Dans son inconscience, Rose se félicita de la tournure que prenaient les événements et, elle se rassura.
— Du moment qu’elle n’habite pas ici, pensait-elle, Fantômas a dû confondre l’adresse et, de la sorte, il ne pourra pas la tuer.
Rose Coutureau toutefois, ne quitta pas l’immeuble. Elle avait médité d’y faire une autre visite et cela pour tenir sa promesse faite lorsqu’elle était au Dépôt, à la grande Berthe qui, si gentiment, avait pris sa place.
N’avait-elle pas promis à la pierreuse d’aller supplier la comtesse de Blangy de retirer sa plainte, ou, tout au moins de ne pas venir à l’audience pour ne pas charger la coupable ?
— Puisque vous n’avez pas lady Beltham ici, demanda-t-elle à la concierge, je suppose que, tout au moins, vous connaissez la comtesse de Blangy ?
— Pour ça, oui ! La comtesse de Blangy, c’est au rez-de-chaussée, à droite, le service se fait par la cour.