Lorsqu’elle réfléchissait à l’acte odieux qu’elle avait commis, Rose Coutureau demeurait atterrée. Elle ne comprenait pas comment elle avait eu l’audace et l’astuce de faire un semblable vol. Rien dans son éducation n’avait pu l’orienter du côté de cet affreux vice et c’était spontanément, malgré elle, pour ainsi dire, qu’avec l’habileté d’une professionnelle consommée elle avait fouillé dans le réticule de cette fameuse grande dame, qu’on appelait la comtesse de Blangy, et qu’elle lui avait dérobé son porte-monnaie.

Qu’avait-elle compté faire de cet argent ? Si elle n’avait pas été prise, comment l’aurait-elle dépensé ? Évidemment, Rose Coutureau avait eu un but en volant. Son idée était d’acheter à Beaumôme une bague que le jeune apache avait déclaré désirer.

— Beaumôme, s’était naïvement figuré la jeune fille, est mon amant, mais a aussi pour maîtresse une autre femme. Si je pouvais lui faire cadeau de cette bague, il serait gentil, et peut-être arriverait-il à m’aimer beaucoup…

C’était ainsi qu’elle s’était déshonorée, sans y réfléchir. Elle avait volé.

En sortant de prison, elle alla donc chez son amant et ne le trouvant pas, prit la direction de la rue Ramey, où était le domicile de son père. Elle passa en tremblant devant la concierge, toute rougissante à l’idée que cette femme savait sans doute qu’elle était une voleuse, mais la concierge n’avait pas eu l’air de s’apercevoir que la fille de l’habilleur revenait ce soir-là après une longue et équivoque absence.

Rose Coutureau, parvenue au sixième étage, cependant que le cœur lui battait, avait introduit la clef dans la serrure, puis s’était installée dans le logement, et comme elle avait faim, elle avait profité des restes du dîner de son père.

Puis la jeune fille s’était assoupie dans un fauteuil, car elle n’osait pas aller se coucher sans avoir au préalable revu le père Coutureau et eu une explication avec lui.

Cette explication fut rapide mais énergique et brutale. À une heure du matin le père Coutureau rentrait légèrement ivre, suivant son habitude. Il aperçut sa fille qui sommeillait dans son fauteuil et ne parut pas étonné de ce retour, ce qui stupéfia Rose.

— Ah bon Dieu, grogna le père Coutureau, te voilà, petite poison, approche un peu !

En tremblant, courbant le dos, baissant la tête, Rose obéit, puis se mit à pousser des cris perçants. Le père Coutureau lui administrait une formidable raclée.

— Tiens, salope ! Tiens, gamine ! disait-il à chaque coup. Voilà qui t’apprendra à barboter dans les profondes des autres. Canaille ! Tu as déshonoré ta famille. Ah sacré bon Dieu ! Je te garantis que tu vas marcher droit maintenant, et que ça ne t’arrivera plus de faire des coups semblables. Jour de Dieu ! Si jamais on m’avait dit que la fille du père Coutureau deviendrait une voleuse…

Le père Coutureau s’interrompit de crier et sa fille soudain s’arrêta de gémir. Un mot les avait arrêtés court. En effet, une voix railleuse et ironique avait proféré :

— Imbécile !

Le père Coutureau, furieux, se retourna. Il allait protester, tancer d’importance celui qui se permettait de commenter ainsi son attitude. Le vieil habilleur, en effet, n’aimait point que quiconque se permît de lui faire des observations sur la façon dont il traitait sa fille. Mais lorsqu’il aperçut son interlocuteur, il ne prononça pas une parole, il demeura immobile, silencieux, interdit.

En face de lui, se dressait la silhouette tragique du personnage qui, l’avant-veille, était déjà venu lui annoncer qu’il allait mettre en liberté la prisonnière retenue au Dépôt. C’était le même individu, entièrement vêtu de noir des pieds à la tête, drapé dans un grand manteau sombre, et dont le visage était dissimulé sous une épaisse cagoule simplement percée de trois trous, deux pour les yeux, le troisième au niveau des lèvres.

— Fantômas ! balbutia le père Coutureau.

Rose, terrifiée par cette apparition, s’était jetée au fond de la pièce. Elle voyait sous les plis du manteau noir briller le canon d’un revolver. Elle joignit les mains, souffla terrifiée :

— Ah mon Dieu, au secours !

Cependant, le père Coutureau, qui n’était pas plus rassuré que sa fille, attendit quelques instants, n’osant rompre le silence. Il articula enfin :

— Qu’y a-t-il ? Que voulez-vous ?

Fantômas ricana, puis il gronda :

— Idiot, crétin, triple brute, as-tu fini de crier, de faire scandale dans ta maison, et d’annoncer à tous les voisins que ta fille, la voleuse, s’est évadée de prison ? Ne comprends-tu pas que ton attitude va avoir pour résultat de faire découvrir ce qui s’est passé, et la faire arrêter prochainement !

Rose Coutureau, entendant ces paroles, sentait des gouttes de sueur froide lui perler au front.

Ainsi donc elle était en présence de Fantômas ! C’était là le sinistre bandit, dont la réputation de cruauté faisait trembler les plus courageux.

Et il se trouvait que Fantômas connaissait son père ; mieux encore qu’il était au courant de sa propre évasion à elle, de la substitution de la grande Berthe et de la machination que Rose Coutureau supposait avoir été organisée par Beaumôme, son ami.

Elle pensa défaillir et devint toute pâle lorsque Fantômas, s’étant avancé d’un pas, vint vers elle et lui parla :

— Et toi, petite sotte, disait le bandit dont elle voyait les yeux se fixer dans les siens, que vas-tu faire ? Tu restes là stupide, sans songer à l’avenir. Dis-toi bien cependant que la première personne venue va pouvoir te reconnaître et te dénoncer. On sait partout que tu as été arrêtée. On va comprendre que tu t’es échappée et si jamais on te repince, ce sera très grave !

Peu à peu, cependant, Rose Coutureau, au fur et à mesure que lui parlait Fantômas, se sentait rassurée. Le terrible bandit ne la menaçait pas de son revolver, et depuis cinq minutes qu’il était là, en face d’elle, elle n’était ni morte de peur ni assassinée. D’ailleurs, l’intonation de la voix de Fantômas n’était ni mauvaise ni méchante. Et même, il semblait à Rose Coutureau que, par moments, elle avait des accents aimables et doux, cette voix. La jeune fille croyait l’avoir déjà entendue quelque part, mais où et quand ?

Elle tressaillit encore. Fantômas s’était rapproché d’elle et, d’un geste familier, lui caressait la joue de sa main gantée de noir. Il proféra lentement :

— C’est jeune, c’est naïf, ça ne sait pas.

Puis il la regarda longuement, avec sympathie. Rose Coutureau, sans lever les yeux sur le bandit et maintenant son regard obstinément baissé à terre, interrogea d’une voix larmoyante :

— Que faut-il faire ? Que voulez-vous de moi ?

— Je veux te protéger, te sauver, déclara le Maître de l’Effroi, qui, avisant un fauteuil, l’unique siège confortable de la pièce, s’y carra confortablement, croisant les jambes l’une sur l’autre.

— Voyons, fit-il, approche ici, petite… Il faut, déclara Fantômas, qu’on ne te reconnaisse point de quelque temps, et pour cela tu vas changer de tournure, d’âge et d’aspect.

— Mon Dieu, qu’allez-vous me faire ?

Fantômas éclata de rire :

— Je ne vais ni te couper la tête, ni t’arracher les yeux, mais tu vas me faire le plaisir de te déguiser. Vas chercher tes frusques, tout ce que tu possèdes, apporte-les et mets-les sur la table.

Machinalement, Rose obéit. Elle alla à une armoire, en tira des vêtements. De dessous son manteau, cependant, Fantômas avait extrait une perruque grise qu’il jetait à la jeune fille.

— Colle-toi cela sur la tête, dit-il.

Rose obéit. Fantômas alors ajouta :

— Tu possèdes bien, je suppose, puisque tu es artiste au Théâtre Ornano, des accessoires de maquillage ?

— Oui.

— Bien.

Et comme la jeune fille les apportait, il poursuivit :

— Fais-toi une tête de vieille. La patte d’oie, les rides, quelques traits sur les joues, un peu de rouge à la commissure des lèvres en tirant sur le bas pour agrandir ta bouche. Éclaircis-moi ces sourcils avec du blanc, marque-toi un peu le front.


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