— Lady Beltham doit mourir. On annonce la mort de lady Beltham. Qu’est-ce que tout cela veut dire ?
Qui a pu écrire cette lettre dont le secret a été surpris ? À qui enfin annonçait-on ma mort ?
Tout ce que Rose Coutureau, déguisée en vieille femme, avait dit et fait, devenait, pour lady Beltham autant de mystères impressionnants, autant de mystères qu’il fallait, coûte que coûte, résoudre, sous peine de mort peut-être ?
Longtemps, lady Beltham réfléchit. Sous l’influence de la peur qui la tenaillait maintenant, elle revivait les drames étranges de sa vie.
C’était elle, lady Beltham, qui avait connu les gloires de la campagne africaine, alors qu’en compagnie de son mari, lord Beltham, elle accompagnait l’armée anglaise au Transvaal, alors aussi qu’elle faisait la connaissance, connaissance si funeste, de Gurn. Ah Gurn, ce nom lui faisait mal à prononcer. Gurn c’était Fantômas. Gurn, c’était l’homme qu’elle avait pris pour amant, c’était celui qui avait tué lord Beltham pour elle, et c’était pour lui aussi qu’elle avait tué, qu’elle avait fait tuer Valgrand l’acteur. En frissonnant, lady Beltham se rappelait le matin pâle, où, près de la prison de la Santé, elle avait joué pour le malheureux artiste, la sinistre comédie qui avait conduit celui-ci à porter sa tête sous le couperet de Deibler [26]. Fantômas avait juré alors à la grande dame qu’il auréolerait son nom de gloire.
Il avait tenu parole, hélas.
Mais, c’était une gloire sinistre qui s’attachait à ce nom de Fantômas.
Ah certes, il était célèbre le bandit tragique. Mais il était dans la mémoire de tous, comme un monstre, comme un être hors la loi, comme un immense vampire.
Devant les yeux de lady Beltham, la silhouette légendaire de l’homme en cagoule, de l’homme vêtu de noir, se dressait.
Mais elle la voyait éclaboussée de sang, elle la voyait lugubre et ricanante, cette silhouette d’horreur !
Que de crimes il avait entassés ! Que d’innocents criaient vengeance ! Que de mensonges affreux il avait osés, poursuivant toujours sa route, sans merci, courant après la richesse, multipliant les deuils, indomptable et indompté, féroce et grandissant sans cesse, assassin qui était devenu l’Assassin même, le Buveur de Sang !
C’était cet homme qu’elle avait aimé, qu’elle aimait.
Il l’avait trompée pourtant.
Elle ne savait rien de son passé, elle n’avait jamais connu au juste tous ses crimes, mais ce qu’elle en savait était déjà effroyable.
Un jour, lady Beltham avait appris que Fantômas avait une fille, qu’il la chérissait profondément. Elle avait espéré que pour elle, en son nom, il s’amenderait. Mais il n’en avait rien été.
Le monstre avait trouvé, au contraire, dans son amour paternel, une incitation nouvelle au crime. Il voulait que sa fille fût riche. Il avait tué, tué encore, pour elle.
Et puis, c’était une suite de drames effroyables. Une existence perpétuelle de bête traquée, qui paraissait lui plaire. Fantômas, Génie du Crime, semblait se réjouir de chaque horreur commise. Toujours plus grand, toujours plus fort, toujours plus audacieux, il voulait qu’on frémît en se demandant à quelle dernière cruauté son invention farouche se hausserait quelque jour. Lady Beltham, glacée d’effroi, essayait pourtant de chasser les évocations sinistres qui se pressaient malgré elle dans sa pensée.
— Je l’ai aimé, murmurait-elle, je l’ai aimé, mais je ne l’aime plus.
Elle mentait, hélas.
À dire qu’elle n’aimait plus Fantômas, la pauvre femme souffrait horriblement. Si. Elle l’aimait toujours.
Il avait beau lui faire horreur, elle était toujours sa chose, son esclave, elle voulait le mépriser, elle ne trouvait dans son cœur que la force de lui pardonner.
Et pourtant…
Lady Beltham se rappelait que, depuis quelques mois, Fantômas était pour elle plus hautain, plus sarcastique.
Jadis, elle pouvait, de temps à autre, lui arracher une confidence, le contraindre parfois à épargner une victime. Maintenant, elle ignorait tout de lui.
Lady Beltham se répéta :
— Je vais mourir. On annonce ma mort. Qui donc peut savoir que je vais mourir ?
L’angoisse de la question était si forte, cette femme qui était jeune encore, qui était belle toujours, qui aimait, qui jouissait de la vie librement, avait si peur de se demander par quel ténébreux mystère on avait pu annoncer sa mort, que se levant comme une automate, les mains jointes, l’air d’une somnambule, lady Beltham traversa le salon :
— On a dit que je vais mourir, murmura-t-elle. Qui ?
Soudain, lady Beltham s’arrêta. Comme si elle eût été changée en statue, comme si la mort eût suspendu sa marche, elle demeurait immobile, au milieu de la grande pièce, devenue plus pâle encore.
La porte du salon s’était ouverte.
Un homme d’une extrême élégance, un homme jeune, moulé dans une jaquette de coupe irréprochable, au visage énergique, aux yeux vifs, venait d’apparaître.
Il s’inclina devant elle, et sa voix était douce :
— Bonjour, ma chère, Vous allez bien ?
Lady Beltham, d’abord, ne répondit pas.
Si forte avait été son émotion, en voyant s’ouvrir la porte devant la silhouette de cet homme, au moment où elle se posait une question abominable, que les mots s’étranglaient dans sa gorge. Puis elle faisait effort sur elle-même. Un pâle sourire errait sur ses lèvres blanchies :
— Bonjour, mon cher, répondit-elle, de sa voix d’or, aux intonations grisantes. Je vous remercie d’être venu prendre de mes nouvelles, vous avez eu raison.
— Mais, comtesse, ne suis-je pas toujours le plus empressé des galants ?
— Je me plais à le reconnaître. Toutefois…
— Toutefois ?
L’élégant gentleman qui entretenait la maîtresse de Fantômas s’était laissé tomber négligemment sur un moelleux divan.
— Toutefois ? Que veut dire cette restriction ?
— À quoi bon ?
Elle venait machinalement de traverser la grande pièce, elle s’assurait que les portes étaient bien fermées sous les tentures et que nul ne pouvait surprendre la conversation qu’elle allait avoir avec son visiteur.
— Vous désirez une cigarette ? demanda-t-elle.
— Volontiers.
Elle tendit une coupe d’onyx aux merveilleuses nervures, où s’amoncelaient de fins rouleaux de tabac d’Orient.
— Toutefois ? Vous ne m’avez pas répondu.
Lady Beltham répéta à haute voix :
— À quoi bon ? Je ne saurais vous le dire maintenant.
— Renseignez-moi, ma chère, vous semblez nerveuse.
Hélas, à ce mot, l’attitude de lady Beltham changea brusquement.
On eût dit qu’une parole imprudente faisait déborder la coupe d’amertume dont elle s’abreuvait depuis quelques jours.
Lady Beltham, d’un bond, se précipita, tomba à genoux au pied du sofa sur lequel était installé son visiteur.
Et c’est d’une voix tremblante, d’une voix brisée, d’une voix de sanglots, qu’elle interrogea :
— Fantômas, disait lady Beltham, Fantômas, pourquoi ai-je peur ?
L’élégant gentleman, cependant, avait brusquement froncé le sourcil, s’était redressé :
— Folies ! dit-il.
Il la releva, il appuya ses deux mains sur les épaules de sa maîtresse, il la contraignit à lever les yeux :
— Qu’avez-vous ma chérie ?
Lady Beltham répéta :
— Fantômas, j’ai peur.
— De quoi ?
Lady Beltham plongea ses yeux dans ceux de celui qui l’interrogeait :
— J’ai peur, articula la jeune femme, j’ai peur d’être tuée et j’ai peur d’être tuée par toi, Fantômas.
— Folies, répéta Fantômas.
Nerveusement, cependant, encore qu’il voulût affecter le plus grand calme, Fantômas jeta sa cigarette inachevée :
— Lady Beltham, demandait-il, je vous prie de me répondre en toute franchise : je vous connais assez pour savoir que vous êtes capable de maîtriser vos nerfs. Vous n’êtes point de ces femmes douillettes et insupportables qui ont une âme de poupée et qui toujours ont peur de tout. Pour parler comme vous venez de me parler, vous avez sans doute des raisons, des motifs sérieux. Confiez-les-moi. Qu’y a-t-il dans ma conduite, dans ma façon d’être, qui puisse vous donner à penser de semblables horreurs ?