Fantômas venait de répondre, semblait-il avec une grande franchise. Il interrogeait avec ardeur, avec inquiétude aussi.

Hélas, il avait trop de fois joué la comédie. Tant de fois il s’était à ce point ri des sentiments les plus sacrés, qu’il était de ceux auxquels on ne peut croire.

Lady Beltham eut un rire de folle :

— Jurez-moi que vous m’aimez !

— Lady Beltham, dit-il lentement, je vous jure que je vous aime comme au premier jour. Il y a des choses que l’on n’oublie pas et que vous avez faites pour moi, lady Beltham, je vous jure, et vous devriez savoir ce que vaut la parole de Fantômas, que vous m’êtes sacrée et que je donnerais ma vie…

Il s’interrompit, car lady Beltham sanglotante, venait de tomber sur un fauteuil.

— Alors, hurla la malheureuse, alors, je ne sais pas, je ne sais plus, je ne peux pas comprendre.

Et la voix lui manquant, elle sanglotait plus désespérément encore. C’était vraiment une scène tragique, d’un tragique intense, inouï, qui se déroulait entre les deux amants.

En vain, Fantômas essaya-il de consoler sa maîtresse, en vain, s’efforçait-il de lui prouver qu’il l’aimait toujours, qu’il était horrible de supposer qu’il pût penser au crime odieux dont on l’accusait. Par moments, sans doute, il arrivait à calmer un peu la malheureuse, puis, il semblait qu’une pensée obsédante se réveillait en l’esprit de lady Beltham, et elle se reprenait presque délirante, à lui dire :

— J’ai peur de vous, Fantômas, j’ai peur de vous !

Petit à petit, cependant, usant de mots très doux, procédant avec une délicatesse dont beaucoup ne l’auraient pas cru capable, Fantômas, finit par faire avouer à lady Beltham d’où provenait son attitude.

Et alors, le bandit changea de visage :

— Madame, disait-il, je ne vous aurais jamais crue capable de pareils enfantillages. Si ce sont véritablement les propos de cette vieille femme qui vous ont mis en un tel état, je ne sais ce que je dois penser de votre force d’âme. Je vous jure que je ne connais pas cette femme, pas plus que sa fille Rose Coutureau. Je vous jure que j’ignore cette lettre dont elle vous a parlé. Que signifierait-elle d’ailleurs ? Pourquoi vous écrirais-je pour vous annoncer un crime dont l’horreur suffit à me faire reculer ? Oh madame, mais réfléchissez donc ! Pour avoir jeté ainsi le trouble dans votre âme, il n’y a qu’un homme, et cet homme n’est pas moi.

— Qui est-ce donc ? demanda lady Beltham.

— Juve, répondit Fantômas. Vous le savez, Juve est mon ennemi acharné, rien ne désarmera sa colère, rien ne saurait épuiser sa haine, toutes les ruses lui sont bonnes. Il croit remplir son devoir en me poursuivant, il me poursuivrait avec toutes les armes. Madame, rassurez-vous. Cette Rose Coutureau et cette vieille femme, je les retrouverai, je les ferai parler. Je saurai qui a envoyé vers vous cette messagère sinistre, car elle a été envoyée chez vous, parbleu ! C’est trop évident, on le voit, cela ne fait pas de doute, pour vous amenez à rompre avec moi ! Qui peut le vouloir ? Juve, je vous l’ai dit, mais la ruse est enfantine, madame. Je suis capable de bien des choses, je ne vous mens point en ce moment pourtant, je vous aime et cela doit vous faire plus confiante en moi, plus défiante aux mensonges de mes ennemis.

Fantômas se leva, il posa à nouveau ses deux mains sur les épaules de lady Beltham, il se pencha sur elle, il frôla de ses lèvres, le front de sa maîtresse :

— Maud, dit Fantômas, Maud, croyez-vous donc qu’un homme comme moi, quand il aime, n’aime pas pour la vie ? Croyez-vous donc que jamais une autre femme pourrait me séduire ? Croyez-vous donc que je ne sais pas, combien vous m’aimez vous-même ?

Lady Beltham, grisée par la caresse de son amant, répéta tout bas, ce qui était hélas, la vérité :

— Oui, je vous aime, Fantômas. Oui, je vous aime, pour la vie.

***

Depuis l’aventure qui avait marqué, à la Madeleine, la formidable entreprise qu’avait conçue Fantômas, voulant épouser la Recuerda, ou plutôt la nièce de l’infant d’Espagne, Mercedes de Gandia, Fandor continuait à rencontrer presque chaque jour Hélène, sa chère Hélène, la fille de Fantômas sans doute, celle qu’il chérissait malgré tout.

Hélène, depuis lors, vivait retirée aux environs de Paris, dans une humble maison de famille, découverte à Bois-Colombes par Juve.

La jeune fille se refusait obstinément, en effet, à écouter les conseils que lui prodiguait cependant le policier, désireux d’assurer le bonheur de Fandor, en concluant un mariage qui, pensait-il, pouvait, d’une part, soustraire une innocente à l’influence abominable du bandit, et d’autre part, calmer les angoisses perpétuelles ou se débattait le malheureux Jérôme Fandor.

Mais Hélène refusait de se marier !

Il eût été facile, aux termes de la loi, de faire admettre qu’elle était née de père et de mère inconnus, si même les papiers de la jeune fille, que Juve possédait toujours, n’avaient pas été reconnus par l’état civil français. De la sorte, le mariage eût pu s’opérer facilement, mais Hélène ne voulait pas en entendre parler.

— Tant que mon père sera ce qu’il est, avait-elle douloureusement répondu à Jérôme Fandor, vous ne pourrez pas, vous, honnête, épouser sa fille. Attendez. Espérons. Un jour viendra, j’en suis sûre où la miséricorde de Dieu nous rendra le bonheur possible.

Fandor, bien entendu, ne se résignait pas aux délicats scrupules de conscience d’Hélène :

— Peu importe votre père, répétait-il, inlassablement. Oubliez-le comme je l’oublie. C’est vous que j’aime, et pour moi, il n’y a que vous au monde.

Le temps passait ainsi. Chaque jour Fandor rejoignait Hélène et passait de longs moments avec elle. La jeune fille se débattait toujours. Le jeune homme insistait encore. Il comptait sur le temps pour vaincre les hésitations de celle qu’il aimait, et qui, elle ne s’en défendait pas, l’aimait aussi.

Longuement d’ailleurs, Hélène avait raconté à Fandor et à Juve tout ce qu’elle avait su des ruses extraordinaires auxquelles elle avait été bien involontairement mêlée en Espagne.

Il était établi maintenant de façon certaine que Fantômas n’avait inventé les invraisemblables péripéties de son mariage, que pour s’attacher à dépouiller Mercedes de Gandia de sa fortune, qu’il aurait réclamée en tant que mari, si Juve et Fandor, surgissant à la Madeleine, ne l’avaient contraint à prendre la fuite de façon si scandaleuse qu’il n’avait pu, gardant sa fausse identité de baron Stolberg, réclamer la fortune de sa femme. Une fois encore le bandit avait été vaincu, mis dans l’impossibilité de nuire. Mais hélas, la victoire de Juve était chèrement payée, puisque, en décrochant le lustre, Fantômas au moment même où il était contraint à la fuite, avait fait encore de nouvelles, d’innocentes victimes.

***

Dans le square Saint-Pierre où Fandor et Hélène se promenaient ce jour-là, indifférents aux bruits et au mouvement des enfants qui s’agitaient dans le jardin, oubliant tout pour ne plus songer qu’à eux seuls, avec l’égoïsme des amoureux, Hélène et Fandor marchaient à petits pas :

— Laissez-vous convaincre, répétait pour la centième fois peut-être le journaliste, ne repoussez pas le bonheur en invoquant une chimère, en croyant faire votre devoir, en cédant en réalité à un scrupule sans importance. Dites oui, Hélène.

Mais elle secouait la tête :

— Mon devoir, répondait la jeune fille est de dire non.

17 – L’ABDICATION

Grisée par la caresse de son amant, grisée par l’assurance d’amour que Fantômas venait de lui donner, lady Beltham avait répondu au sinistre bandit qu’elle l’aimait et qu’elle l’aimait pour la vie.

Était-ce bien vrai ?

Lady Beltham était-elle bien sincère ? Avait-elle confiance réellement dans les paroles de tendresse que venait de lui prodiguer le Maître de l’Épouvante, l’homme aux cent visages, le tortionnaire qu’aucun crime, aucune cruauté, aucune lâcheté même n’avait fait jusqu’alors reculer ?


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