Épuisée par l’effort qu’elle faisait ainsi en dénonçant son amant, lady Beltham, haletante, tomba sur une chaise. Des larmes roulaient sur ses joues, mais si l’émotion la bouleversait à ce point, l’âme demeurait vaillante.
Elle ne laissa pas à Juve le temps de répondre :
— Tenez, lisez ! cria-t-elle.
Et elle tendait à Juve le billet reçu par elle le matin même :
— Nous sommes le 5, et c’est le 7 que je dois mourir. Juve, Juve, sauvez-moi ! Voici tout ce que je sais.
Lady Beltham alors, d’une voix âpre, violente et qui, par moments, cependant se voilait de sanglots, fit à Juve le récit de ses dernières aventures. Elle dit l’étrange visite de la vieille femme. Elle nomma Rose Coutureau, une inconnue pour elle, elle précisa enfin la visite que lui avait faite la veille encore Fantômas.
— Juve, disait lady Beltham, j’ai aimé cet homme plus que ma vie, plus que mon honneur, mais aujourd’hui, il me fait horreur ! Ah, je n’aurai jamais le courage de vous le livrer, ne me demandez pas de vous indiquer où vous pourriez l’arrêter. Cela non, je ne le vous dirai jamais, je ne m’abaisserai pas à le trahir, mais sauvez-moi de lui ! J’étais résignée à tout, je ne peux pas me résigner à mourir par lui, par lui que j’aimais.
Juve ne répondit pas, il comprenait l’épouvantable angoisse de lady Beltham.
Il devinait ce que souffrait la malheureuse qui, sans doute, aimait encore Fantômas, mais qui n’était plus aimée de lui.
Lady Beltham pouvait dire : « sauvez-moi de lui ! ». Elle ne dirait jamais :
— Arrêtez-le.
Juve comprenait. Il se rendait compte qu’il serait inutile d’essayer de pousser la maîtresse de Fantômas à ce qu’elle appelait elle-même une trahison.
Et, tout en jugeant que lady Beltham ne l’aiderait pas à prendre Fantômas, Juve se rappelait les crimes odieux de cette femme, sa complicité tacite avec Fantômas, qui, sans elle, aurait été depuis longtemps mis dans l’impossibilité de nuire.
— Dois-je la protéger ? se demandait l’irréductible ennemi du Maître de l’Effroi.
Juve se sentait l’âme d’un justicier. À l’heure où lady Beltham venait lui demander de la sauver, Juve s’interrogeait :
— Ai-je le droit d’arrêter la justice immanente ?
Mais, si lady Beltham avait été coupable, si elle méritait le châtiment qui semblait la menacer, n’était-ce pas en raison de son amour, de cet amour malheureux qu’elle avait eu pour Gurn, et qui, petit à petit, de chute en chute, de honte en honte, en avait fait ce qu’elle était ?
— Elle a aimé, pensait Juve, et c’est là sa grande faute. Amoureuse, cette femme ne pouvait pas agir autrement qu’elle a agi. Or, son amour, d’abord, n’a pas été à un criminel, son cœur avait été surpris, c’était Gurn qu’elle avait aimé, et seule la Fatalité a voulu que Gurn soit devenu Fantômas.
Juve redressa lentement la tête.
— Madame, répondait-il d’une voix douce et pitoyable, je ne vous demande aucune confidence. Je ne vous interrogerai pas. Vous avez peur et vous êtes menacée, c’est tout ce que j’ai besoin de savoir. Rassurez-vous, vous savez trop ce que vaut l’adversaire qu’il va nous falloir combattre, pour que j’essaye de vous tromper avec des affirmations absolues. Pourtant, il y a quelque chose que je puis vous promettre, c’est que je ferai tout au monde pour vous sauver et que, dès cette seconde, vous êtes sous ma protection.
18 – MORTE ? ? ?
Juve avait visiblement fait effort sur lui-même pour décider d’accorder sa protection à lady Beltham, et surtout, pour ne pas décider la malheureuse femme à lui faire quelques confidences relatives à Fantômas.
Juve, toutefois, lorsqu’il avait pris une décision, lorsqu’il avait résolu d’agir, se gardait de toute hésitation. Il avait été fortement tenté d’abandonner lady Beltham à son sort. Il avait pensé que la crainte où était la malheureuse était une expiation légitime de ses forfaits, mais il s’était rendu compte aussi que son devoir d’homme, plus même que de policier, ne lui permettait pas de laisser s’accomplir un assassinat, et dès lors que le devoir était en jeu, il n’était plus capable d’éviter l’impérieuse obligation où sa conscience le mettait d’agir, et d’agir sans tarder.
— Madame, répétait Juve, dès cette seconde, vous êtes sous ma protection. Je ferai tout au monde pour vous sauver.
Juve, en effet, se hâta de prendre des mesures qu’il jugeait indispensables à la sécurité de lady Beltham. Il n’y avait pas d’hésitation. Pour lui, d’ailleurs, c’était bien Fantômas, et Fantômas seul, qui pouvait menacer la malheureuse qui venait d’implorer sa pitié.
— Un homme de la trempe du tortionnaire, songeait Juve, ne recule devant rien. Lady Beltham, sans doute, le gêne pour une de ses entreprises. Cette femme l’embarrasse de remords perpétuels. Il aime ailleurs peut-être. C’est en tout cas un obstacle sur sa route. Il veut la tuer, c’est logique, c’est naturel de sa part.
Juve, cependant, s’il avait été sincère avec lui-même, serait convenu d’une autre pensée qui, sournoisement, le hantait.
— Fantômas a adoré lady Beltham, se disait Juve et lady Beltham s’est à ce point, dévouée à Fantômas, qu’il semble bien difficile d’admettre que le bandit ait pu décider de la tuer, et surtout qu’il ait poussé la cruauté jusqu’à l’en prévenir à l’avance par un raffinement dont l’horreur est centuplée.
Et Juve se prenait à espérer que, peut-être, Fantômas n’avait voulu qu’effrayer lady Beltham, la décider à s’enfuir, à disparaître, à s’écarter de sa route.
Fantômas, d’ailleurs, avait agi curieusement.
Plus Juve étudiait les détails étranges des aventures que lui soumettait lady Beltham, et moins il réussissait à les comprendre. Il y avait dans l’ensemble des faits : le vol de Rose Coutureau, l’annonce de la lettre par une vieille femme, la lettre elle-même, tant de mystères qu’il était imprudent de vouloir, en quelques instants, débrouiller l’intrigue emmêlée de ces ténébreuses affaires.
— Attendons, se disait Juve, et en tout cas, sauvegardons cette femme.
Un autre que le policier eût sans doute, à cet instant, songé qu’il était fort possible que toutes les paroles de lady Beltham fussent d’affreux mensonges. Un autre se serait demandé, sans aucun doute, si lady Beltham ne cherchait pas à attirer Juve dans un piège quelconque et cela sous l’inspiration de Fantômas.
Mais Juve n’avait pas cette crainte. Il n’avait même pas pensé à cette hypothèse.
Non, la douleur de lady Beltham, son effroi, sa peur, étaient sincères, réels, ce n’était pas une femme qui jouait la comédie qu’il avait devant lui.
Juve, posément, méthodiquement, logiquement, interrogeait lady Beltham. Il se faisait d’abord conter avec une minutie extrême tout ce que la grande dame pouvait savoir des dangers qu’elle courait. C’était si peu de chose que Juve n’en tirait aucun renseignement, et d’ailleurs, au fur et à mesure que la maîtresse de Fantômas lui répondait, Juve paraissait de plus en plus préoccupé :
— Madame, dit enfin le policier, interrompant lady Beltham, j’ai un aveu à vous faire.
— Lequel, Juve ?
— Celui-ci : je vous ai promis de vous protéger, je considère que c’est mon devoir et je n’y faillirai pas. D’autre part, vous m’avez dit vous-même, madame, que votre devoir vous empêchait de m’aider à arrêter Fantômas. Vous jugez qu’une trahison serait indigne de vous, ce sont bien là vos sentiments ?
— Oui, Juve.
— Je le comprends. Eh bien, madame, je dois vous avouer que si je veux réellement vous protéger, il faut aussi, et ce sera une autre partie de mon devoir, que je tâche encore et toujours d’appréhender votre sinistre amant. Il ne faut pas qu’il y ait d’équivoque honteuse entre nous, nous ne sommes pas amis, madame, nous pouvons être des ennemis sans haine. Vous comprenez dans quelle situation délicate je me trouve ? J’accepte de vous sauvegarder, mais je revendique le droit de continuer à poursuivre Fantômas, même et surtout en vous sauvegardant. Acceptez-vous ?