Lady Beltham relut posément le billet menaçant ; puis elle le plia, elle resta quelques instants à méditer et soudain elle sonna.

— Marie, commandait la grande dame à la femme de chambre qui accourait, dépêchez-vous de m’habiller, je dois sortir.

Lady Beltham, en effet, se leva en toute hâte. Elle fit sa toilette avec rapidité, elle revêtit un tailleur qui la moulait et la faisait plus divinement élégante que d’habitude, puis, ayant serré la lettre de mort dans une bourse en or d’un travail précieux, elle sortit, elle descendit l’avenue Niel.

Lady Beltham, à cet instant, avait un visage farouche et résolu.

Quelle décision avait-elle donc prise ? Où donc se rendait-elle ?

La comtesse de Blangy possédait une superbe automobile. Elle n’avait point fait demander son chauffeur. C’est à pied qu’elle monta vers l’Étoile et, de temps à autre, elle se retourna comme pour être certaine qu’on ne la suivait pas.

Parvenue à l’Arc de Triomphe, lady Beltham appela un taxi-auto. Le véhicule se rangea contre le trottoir, elle ouvrit la portière, mais, prête à jeter l’adresse au cocher, la maîtresse de Fantômas hésita :

— Mon Dieu, murmurait lady Beltham, dois-je réellement en arriver là ? C’est presque une trahison.

Puis, ses sourcils se froncèrent.

— Nous sommes le 5 et je dois mourir le 7.

Elle eût peut-être longtemps hésité, elle eût peut-être tardé encore, si le chauffeur étonné de son attitude ne l’avait interrogée :

— Où dois-je conduire madame ?

Lady Beltham répondit d’une voix étrange :

— Quai des Orfèvres, à la Préfecture !

***

Il y a loin de l’Arc de Triomphe aux locaux de la Sûreté, et pourtant il parut à lady Beltham qu’une minute à peine s’écoulait entre le moment où sa voiture démarrait et le moment où elle s’arrêtait à la porte de la Préfecture de police.

Lady Beltham était alors plus morte que vive.

C’est en automate qu’elle tendit au cocher un louis dont elle n’attendit pas la monnaie.

C’est en automate qu’elle pénétra sous la voûte, qu’elle avisa la loge du concierge.

Le fonctionnaire, brave homme et perpétuellement dérangé, en apercevant cette jeune femme, n’hésita pas :

— Vous demandez les objets trouvés ? dit-il. Au fond et à gauche, vous n’avez pas fait de recherches encore ?

Mais lady Beltham ne l’avait même pas entendu.

— Je voudrais parler à l’inspecteur Juve, dit-elle.

— Affaire personnelle ? demanda le concierge qui se leva.

— Affaire personnelle, oui.

— Madame, il faut alors vous rendre au deuxième étage et demander à parler à l’inspecteur en chef. Il verra Juve. La consigne interdit, en effet…

— Il faut que je vois Juve, articula lady Beltham.

Et elle parlait avec une telle autorité, elle semblait si résolue à rencontrer l’inspecteur, que le concierge hésita.

Juve, à la Préfecture, jouissait naturellement d’une considération toute spéciale. Les ordres généraux n’étaient point pour lui, il était mêlé à tant d’affaires, ses luttes continuelles avec Fantômas lui valaient tant de troublantes aventures que bien des fois les consignes les plus formelles étaient enfreintes pour lui.

— Suivez-moi, disait le concierge.

Il précéda lady Beltham, il la guida à travers l’énorme bâtiment jusqu’à un petit salon, un parloir modeste, pauvrement meublé de quatre chaises de paille, d’une table recouverte d’un drap vert, aux murs tapissés d’un papier vert encore. Des cadres pendaient, donnant la liste des victimes du devoir.

— Madame, s’informait le portier, voulez-vous me donner votre nom ? Je vais aller voir si M. Juve est là, et s’il veut vous recevoir.

Lady Beltham ne répondit pas. Elle tira de sa bourse un porte-mine, une carte gravée au nom de la comtesse de Blangy, elle inscrivit au-dessous d’une main tremblante :

Lady B.

Plus bas et soulignant le mot :

Urgent

— Portez cela, faisait encore la grande dame, Juve me recevra.

Dix minutes plus tard, Juve en personne entrait dans le cabinet.

Juve, en recevant l’extraordinaire carte que le portier lui faisait passer en y ajoutant une description enthousiaste de la jolie dame qui l’attendait au parloir, Juve avait pensé crier de stupéfaction.

— Comment, c’était lady Beltham qui venait le voir à la Sûreté ? Lady Beltham qui le demandait ?

Juve en était stupide de surprise.

Le premier mouvement du policier avait été alors de bousculer le concierge et de se précipiter en toute hâte vers lady Beltham. Mais Juve ne suivait jamais son premier mouvement, il répondit donc tout tranquillement :

— C’est bien, je vais aller trouver cette dame.

Puis, il se prit le front à deux mains et il réfléchit :

— Pourquoi diable lady Beltham est-elle là ? se demandait-il, et quelle attitude dois-je avoir avec elle ?

Juve songeait que, pour que lady Beltham fût venue le trouver, il fallait que la maîtresse de Fantômas eût été contrainte à cette démarche par de terribles événements.

— Il est impossible, décidait Juve, qu’elle soit ici autrement qu’en vaincue. Triomphante, lady Beltham ne voudrait même pas savoir que j’existe.

Juve réfléchit encore, puis, se rendit dans le salon où l’attendait la maîtresse de Fantômas.

Ah certes, il était ému le bon Juve ! Ému au plus haut point en pensant qu’il allait se trouver en face de l’énigmatique personne.

— Si elle voulait parler ? pensait Juve. Si elle voulait vraiment être franche, une heure seulement, Fantômas tomberait en mon pouvoir et c’en serait à jamais fini des exploits du Maître de l’Effroi.

Mais lady Beltham allait-elle parler ?

Juve entrait dans la petite pièce où la maîtresse de Fantômas l’attendait en baissant les yeux.

Il eut le tact de ne point dévisager l’étonnante grande dame. Il s’inclina au contraire très bas devant elle, avec la courtoisie parfaite dont il savait user quand bon lui semblait, et c’est d’une voix très douce qu’il fit cette étrange déclaration :

— Lady Beltham, vous avez fait demander l’inspecteur Juve. Ne croyez pas que ce soit lui qui soit devant vous, c’est un homme tout autre, c’est quelqu’un qui devine que vous êtes malheureuse, qui est prêt à faire trêve dans la guerre qu’il vous livre, qui vous écoute et qui ne pense pas à abuser de la confiance que vous lui témoignez en venant le trouver.

C’était bien là, assurément, les mots qui pouvaient le plus toucher la malheureuse maîtresse de Fantômas. Lady Beltham, en voyant entrer Juve, avait blêmi.

En écoutant ses paroles, un flot de sang empourprait son front, une fièvre ardente lui faisait battre le cœur.

— Je vous remercie, Juve, disait lady Beltham. Je savais qu’en m’adressant à vous, je serais comprise. C’est une malheureuse qui vient vous trouver. C’est une malheureuse qui vient demander votre protection. La lui refuserez-vous ?

— Madame, je n’ai jamais refusé d’aider ceux qui se sont adressés à moi. Que puis-je pour vous ?

Juve était étonné, bouleversé même de l’émotion qui se peignait un instant sur le visage de lady Beltham.

— Ce que je veux de vous, répondait sourdement la superbe créature, c’est la vie. Juve, je suis condamnée à mort !

Elle avait parlé très bas, mais si bas qu’elle eût articulé ces mots, Juve n’en n’avait pas perdu un seul :

— Vous êtes condamnée à mort ? Que dites-vous là, lady Beltham ? Condamnée à mort par qui ?

Mais lady Beltham n’était pas femme à reculer devant une torture morale. Elle était venue trouver Juve sous l’aiguillon de la peur, elle souffrait terriblement dans son orgueil autant que dans son cœur, et pourtant, elle ne voulait pas être lâche vis-à-vis d’elle-même. Elle se complaisait dans ces souffrances, dans sa propre torture.

— Juve, cria lady Beltham, je dois vous dire tout au moment où j’implore votre protection. Si je suis ici devant vous, c’est qu’il faut que vous me protégiez. Oui, je suis condamnée à mort et celui qui va me tuer, c’est Fantômas.


Перейти на страницу:
Изменить размер шрифта: