Comme des petits garçons surpris en faute, ils expliquaient :

— C’est le père Coutureau, l’habilleur du Théâtre Ornano, le père de cette Rose qui a volé la comtesse de Blangy. Nous le soupçonnons d’être coupable et d’avoir trempé dans le crime.

Ils s’arrêtèrent net, et Pérouzin reçut de Nalorgne un grand coup de poing dans la poitrine.

Parbleu, ils allaient en dire, une bêtise !

C’était de la folie, de l’innocence que d’aller avouer à Fantômas qu’ils arrêtaient un homme suspect de quelque complicité dans la mort tragique de lady Beltham, alors que selon toute apparence, le seul qui pouvait avoir osé porter la main sur la grande dame ne pouvait être que Fantômas lui-même.

Pérouzin comprit aussitôt ce que signifiait le coup de poing de Nalorgne :

— Eh bien, songeait-il, je viens de faire une belle gaffe, et cela va nous coûter cher.

Il osait à peine lever les yeux sur Fantômas.

Celui-ci, cependant, ne manifestait point sa colère. Il n’avait pas l’air autrement fâché de la déclaration des deux agents de la Sûreté, il paraissait plutôt surpris, étonné, perplexe.

Fantômas prit une décision rapide.

Un taxi-automobile passait. Il lui fit signe, l’arrêta : d’un geste, il désigna le père Coutureau, qui, les menottes aux mains, vraiment terrassé par le sommeil, s’était laissé choir sur le marchepied de l’automobile de la Sûreté et s’assoupissait à nouveau.

— Faites-le monter dans ce taxi, ordonnait le bandit aux deux inspecteurs.

Ceux-ci, sans comprendre, obéirent.

Lorsque le père Coutureau fut installé dans la voiture de place, Fantômas y monta, claqua la portière, puis, déclara à Nalorgne et Pérouzin abasourdis :

— Maintenant, vous autres, pas un mot sur cette histoire.

Puis, l’audacieux et terrible bandit jeta une adresse au mécanicien.

***

Cependant, le père Coutureau avait enfin pu dormir pendant une bonne demi-heure, cela, malgré les secousses et les cahots de la voiture.

Il avait seulement été arraché à sa somnolence au moment où on le fit descendre de voiture et, incapable de se rendre compte nettement de ce qui se passait, l’ivresse chez lui le disputant au sommeil, il avait été conduit dans une petite pièce à peine meublée, au rez-de-chaussée d’une petite maison dans laquelle on était entré après avoir traversé un jardin.

Or, voici qu’il se trouvait assis sur une chaise devant une table, en face de ce mystérieux inconnu qui l’avait séparé, boulevard Bourdon, de Nalorgne et Pérouzin.

Le père Coutureau ne comprenait pas facilement les choses, et d’ailleurs ne cherchait pas autrement à les comprendre. Il attendait généralement qu’on voulût bien les lui expliquer.

Son interlocuteur, comme s’il devinait qu’il fallait faire les premières avances, déclara soudain :

— Père Coutureau, il s’agit maintenant de parler. Tu as devant toi Fantômas et Fantômas sait que tu es renseigné sur l’assassinat de lady Beltham.

Fantômas, comme pris d’une rage subite, se précipita sur le vieil habilleur, d’une main il le secoua, cependant que de l’autre il armait un revolver qu’il braqua sur le vieillard :

— Ah nom de nom ! cria celui-ci. C’est pas possible ! Où suis-je ?

— Dans une maison déserte, déclara Fantômas, éloignée de tous et de tout et dont les murs sont si épais que le bruit des appels, les supplications, les menaces, que le tapage des détonations ne peuvent en sortir. Allons parle ou je te mets à mort !

— Je n’ai rien à dire !

Fantômas, alors, se fâcha.

Il prit la main du vieil habilleur, et la tordit dans la sienne. Le père Coutureau poussa un hurlement.

— Grâce ! fit-il.

Puis, larmoyant, le père Coutureau reprit :

— Ce n’est pas une façon de me faire causer, moi. Je dirai ce que je sais si tu me traites autrement, comme tu me traitais avant, comme tu as déjà agi, puisque c’est toi, paraît-il, qui es Fantômas.

Le sinistre bandit parut troublé dans ses réflexions :

— Qu’ai-je donc fait pour toi ?

— Je meurs de soif, ma tête se trouble, donne-moi à boire !

Fantômas hésita une seconde. Il considérait le père Coutureau : c’était désormais une véritable loque que cet homme effondré, gisant à moitié inerte, incapable d’agir.

— Parle, explique-toi !

Il avait découvert, sur un buffet voisin, une bouteille d’alcool dont il versa au père Coutureau de larges rasades :

Le vieil habilleur avala goulûment la liqueur brûlante, puis commença :

— Tu sais bien et tu veux rire en m’obligeant à te rappeler ce qui s’est passé. Tu sais bien que c’est toi qui as fait évader ma fille.

— Évader ta fille ? répéta Fantômas, qui, incapable de maîtriser l’émotion bizarre qui semblait l’envahir, serrait de sa main nerveuse le poignet endolori du père Coutureau.

— Eh oui, poursuivit celui-ci, sauvé ma fille du Dépôt ! C’est même toi qui lui as appris à se déguiser en vieille femme.

— En vieille femme ? reprit Fantômas, dont le regard perçant s’efforçait de deviner la pensée intime du vieil ivrogne qui titubait de plus en plus, oscillant sur sa chaise, comme le balancier d’un métronome.

Des rougeurs subites montaient au visage de Coutureau, il avait des yeux vagues, des hoquets terribles, par moments il semblait suffoquer.

Dès qu’il s’interrompait de boire, tout son corps s’affaissait sur lui-même. L’ivrogne semblait redevenir alors une véritable chiffe et ne retrouver d’énergie qu’en buvant. Fantômas, qui s’en était rendu compte, lui versait sans cesse de l’alcool, l’obligeait à l’ingurgiter.

— Oui, continuait péniblement le père Coutureau, c’est de la blague que de m’interroger, puisque tu es Fantômas, l’homme tout vêtu de noir, l’homme à la cagoule. Tu dois savoir mieux que personne ce que tu as écrit l’autre jour chez moi, dans ma maison.

— Explique-toi ! hurlait Fantômas. Explique-toi mieux ! Que veux-tu dire ?

— Ah que je souffre ! répondait le père Coutureau, dont les mains se crispaient sur sa poitrine, comme s’il avait voulu en arracher un poids formidable.

Et, de fait, il suffoquait. Il avait d’effroyables tremblements. Une écume rose lui perlait à la commissure des lèvres, ses yeux étaient révulsés.

— Cet homme-là va mourir, pensait Fantômas, il est foudroyé par l’alcool.

Et, dès lors, perdant toute mesure, le sinistre bandit secoua le moribond :

— Parle ! hurla-t-il. Parle ! Que veux-tu dire lorsque tu prétends que j’ai écrit ?

— Écrit, oui, écrit, poursuivit Coutureau qui haletait. Ah que j’ai mal ! Tu as écrit la lettre. Avec du feu. Du feu qui me brûle. Non, c’est avec de l’encre… Ma fille l’a vue. Où est-elle ? Pourquoi est-elle partie avec Beaumôme ? Parbleu, elle a eu peur, peur de toi. Peur de la police qui l’accuse d’avoir tué, oui, tué lady Beltham. Mais je sais bien, moi, que c’est toi, Fantômas, crapule, brigand ! Merci tout de même de l’avoir sauvée. Que j’ai soif. Ça me brûle. À boire ! À boire ! Donne-moi encore à boire !

Fantômas, désormais, s’était reculé. Il regardait avec des yeux hagards la scène effroyable qui se déroulait : les membres du père Coutureau se tordaient, comme s’ils étaient crispés par le tétanos, ses yeux se révulsaient, ses lèvres écumaient, sa tête se renversait en arrière puis retombait en avant, lourdement sur sa poitrine. Il essaya de se lever, fit quelques pas en trébuchant.

— Où suis-je ? balbutia-t-il.

Ses gestes égarés heurtaient la bouteille d’alcool. Ses mains tremblantes s’en emparèrent, il en enfonça le goulot dans sa gorge et vida le poison à même dans son gosier. Puis, soudain, ses membres se raidirent, ses dents se refermèrent, brisant le goulot de la bouteille. Sa bouche pleine de verre et de sang devint une plaie affreuse. Soudain, en pleine crise alcoolique, terrassé par le poison, le père Coutureau tomba sur le sol, raide, immobile. Fantômas se rapprocha :

— Delirium tremens, dit-il. Il est mort. Il est mort avant que j’aie pu tout savoir. Mais sa mort ne sauve pas sa fille. Au contraire. À nous deux maintenant. Malheur à toi, Rose Coutureau…


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