— Que diable fabriquent-ils et qu’est-ce que peut cacher toute cette manigance ? Je donnerais bien ma part de paradis…

Bouzille jubilait :

— Sûr et certain, se disait-il, sûr et certain que je m’en vais voir des choses.

Mais Bouzille, subitement, s’aperçut que Fantômas le fixait des yeux en fronçant les sourcils et ayant l’air de l’attendre.

— Allons voir, pensa le chemineau. Rapidement, il se dirigea vers la voiture en panne :

— Alors, patron ?

— Ne reste pas là, imbécile, tiens-toi tout contre l’autobus.

Fantômas venait de parler d’une voix nerveuse et mauvaise presque. Bouzille eut l’impression que l’instant décisif approchait.

— Bien sûr, murmura le chemineau, bien sûr ça va se gâter, le temps est à l’orage.

Mais Bouzille avait beau regarder de tous côtés, il n’imaginait nullement ce qui se préparait.

Si Fantômas était là en compagnie de ses plus redoutables complices, c’était évidemment pour y accomplir l’un de ces exploits dont il était coutumier, et cependant rien ne permettait de deviner encore ce qu’allait être cet exploit. L’acteur Dick, au même moment, commençait à s’intriguer fort en remarquant la manœuvre des ouvriers plombiers.

— C’est bizarre, faisait-il en les regardant et en prenant à témoin le père Cornélius, que diable peuvent-ils faire avec ce câble ? Ce n’est certainement pas un câble électrique, ils ne le laisseraient pas ainsi à même le sol et ne s’exposeraient pas à ce que les voitures, en passant par-dessus…

Mais Dick n’eut pas le temps d’achever.

Un coup de sifflet strident, prolongé, venait de retentir.

Au coup de sifflet, en une seconde, les deux soi-disant plombiers, c’est-à-dire Tête-de-Lard et La Carafe, avaient brusquement couru aux extrémités du câble. Un nouveau coup de sifflet retentit, les deux hommes se baissèrent, soulevèrent le câble et, par des boucles préparées à l’avance, l’attachèrent, tendu à un mètre du sol à peu près, d’un côté à l’un des gros platanes bordant l’avenue, de l’autre à un bec de gaz.

À l’instant où le coup de sifflet avait été donné, une automobile des Postes, une lourde voiture venant du bureau qui se trouve au bas de l’Hôtel de Ville, dépassait l’autobus. Elle avançait à toute allure sur le quai désert, car le conducteur, retardé place du Châtelet par un encombrement, devait rattraper son retard pour atteindre la gare d’Austerlitz à l’heure réglementaire, quand elle donna à toute vitesse sur le câble tendu.

L’automobile se renversa dans un fracas et, cependant que des cris de terreur et d’angoisse s’élevaient de tous côtés, cependant que, de toutes parts, les passants s’élançaient, un nouveau coup de sifflet déchira l’air.

Dick, l’acteur, avait été l’un des premiers à vouloir bondir au secours du malheureux conducteur de l’automobile postale et, avant d’avoir pu faire dix pas peut-être, il se heurtait à l’un des mécaniciens de l’autobus accouru.

— Les mains en l’air, criait l’homme, ou gare à toi !

Dick n’avait pas le temps de protester qu’un coup de poing le jetait sur le sol.

Alors ce furent des clameurs, des hurlements, une galopade folle d’hommes prenant la fuite.

L’acteur Dick devait être fort énergique cependant. Il se forçait à résister au vertige qui l’anéantissait, il redressait la tête et, toujours étendu sur le sol, ne cherchant plus à se relever, mais voulant voir, il regarda. De l’autobus immobilisé depuis quelques instants et auquel nul n’avait fait attention, la bande des mécaniciens s’était précipitée vers la voiture des postes renversée. Un homme courait, vêtu d’une courte veste de cuir, la tête coiffée de la casquette plate des wattman. Il tenait, comme ses compagnons, une barre de fer. Dick vit qu’il la levait, qu’elle tournoyait dans l’air, qu’elle s’abattait sur le crâne du malheureux postier qui après avoir été projeté sur le trottoir, se relevait péniblement.

Les autres mécaniciens déjà entouraient la voiture de poste renversée. À coups de barres de fer, ils la défonçaient. Ils allaient voler les valeurs.

Toutefois, au même instant, et croyant vivre un cauchemar, Dick se disait :

— Ça n’est pas possible, on va les arrêter, on va les prendre.

Des passants accouraient bien, mais Dick, dans une vision d’épouvante, les apercevait qui s’arrêtaient tous, levant les bras, puis reculant, puis s’enfuyant aussitôt après. Beaucoup tombaient qui ne se relevaient pas. Un vieillard à la longue barbe blanche passa près de l’acteur renversé, hurlant, fou, et laissant derrière lui des traînées de sang. En même temps, l’étrange crépitement augmentait. Dick s’agenouilla titubant. En tournant la tête, il vit que l’autobus s’était ébranlé ; lentement, le pesant véhicule s’approcha de la voiture des postes, autour de laquelle les mécaniciens, ou plutôt les bandits, s’affairaient toujours.

— Je rêve, je rêve ! pensait Dick.

L’autobus était environné de fumée. Debout, à l’intérieur, il apercevait une sorte de chevalet, un véritable pied de longue-vue sur lequel était posé un instrument qui brillait.

Qu’était-ce encore ?

Dick remarquait que l’homme tournait autour du chevalet et que sa main semblait pousser un mécanisme.

Les cris de terreur retentissaient toujours. Dick, brusquement, s’affaissa sur le sol, s’y aplatit, s’y écrasa avec le secret désir de pouvoir s’y engloutir.

— C’est une mitrailleuse ! se disait-il. Ils ont une mitrailleuse.

L’acteur ne se trompait pas.

Debout à l’intérieur de l’autobus, le Bedeau actionnait bien, en effet, le mécanisme d’une mitrailleuse. Il réglait le tir de la terrible machine avec une parfaite tranquillité, une admirable présence d’esprit. Il tournait tout autour du trépied et il envoyait ainsi, guidant lentement l’instrument de mort, de véritables gerbes de balles qui balayaient à distance tous ceux qui auraient pu vouloir arrêter les bandits. Le Bedeau, d’ailleurs, se révélait tireur d’élite. Il dirigeait son feu de façon telle que les balles passaient par-dessus ses sinistres compagnons toujours occupés à défoncer la voiture des Postes. Elles ne les atteignaient pas, elles ne pouvaient pas les atteindre, elles les enfermaient au contraire à l’intérieur d’un cercle rigoureusement infranchissable. L’autobus, cependant, après avoir avancé de quelques mètres, s’était rangé près de la voiture postale renversée.

Fantômas, très calme, continuait à diriger la manœuvre avec un merveilleux sang-froid :

— Dépêchons-nous ! répétait-il de temps en temps. Sortez les sacs ! Bien. Portez-les dans l’autobus, c’est cela !

Les ordres étaient ponctuellement exécutés. La malheureuse voiture, éventrée à coups de barre de fer, fut en quelques minutes vidée de ses sacs de dépêches, de tout ce qu’elle contenait. Les hommes, deux par deux et ne prêtant attention qu’à leur travail, prenaient les ballots, les jetaient à l’intérieur de l’autobus où le Bedeau, impassible et froid, continuait à manœuvrer la mitrailleuse.

Or, à ce moment précis, alors que de toutes parts des hurlements retentissaient, alors que les blessés jonchaient le sol, alors qu’une clameur abominable montait vers le ciel, un homme, tranquillement, quittait l’arrière de l’autobus, qu’il n’avait pas abandonné jusqu’ici.

C’était Bouzille.

Bouzille paraissait stupéfié, émerveillé, intrigué aussi.

— C’est du sacré travail, murmurait-il, c’est un sacré coup.

Bouzille, penchant la tête et se faisant le plus petit possible, car il ne se souciait nullement de recevoir l’un des projectiles que tirait le Bedeau, se glissa jusqu’à la voiture dévalisée.

— Moi, je vais toujours prendre les lanternes, disait-il, le cuivre, c’est de revente.

Mais Bouzille avait mal calculé son affaire. Il arrivait au moment même où les hommes de Fantômas achevaient leur extraordinaire besogne. Le chemineau se heurta à Tête-de-Lard.

— En arrière ! cria l’apache. En arrière !

Bouzille recula.


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