L'aspect de l'homme dirigea ses soupçons vers le jeune et charmant capitaine des gardes qui se troublait si visiblement en sa présence. Elle pensa : il faut que j'en aie le cœur net !

Vers l'heure de sexte1, elle se rendit au Palais Ducal pour prendre son service auprès de la duchesse Marguerite. Cette fois, un mendiant sale et déguenillé était attaché à ses pas et la suivit presque jusqu'au corps de garde, mais elle n'y prêta pas autrement attention, entra au palais sans faire mine de l'avoir vu et monta chez la duchesse. Celle-ci venait de s'endormir, après un léger repas, engourdie par la chaleur de ce jour d'été, et Catherine ne trouva qu'Ermengarde qui, d'ailleurs, s'apprêtait visiblement à en faire autant. La Grande Maîtresse avait du mal à tenir les yeux ouverts.

— Si vous voulez faire un somme en notre auguste compagnie, dit-elle à Catherine, en étouffant un bâillement derrière sa belle main blanche, je n'y vois aucun inconvénient. Mais dans le cas contraire, allez donc profiter du soleil et revenez plus tard. Son Altesse dormira bien jusqu'après none2.

Enchantée de l'occasion qui lui permettait de mettre tout de suite à exécution le plan préparé à l'avance et qu'elle avait espéré réaliser en sortant de son service, Catherine la remercia et la quitta en disant qu'elle irait, dans ce cas, s'installer au jardin pour s'y reposer à l'air. Elle descendit, erra un moment dans les allées pavées qui entouraient le bassin où nageaient des poissons et les arabesques de petit buis formant massif, respira, aux arceaux fleuris, les roses rouges qu'affectionnait la duchesse Marguerite, puis obliqua résolument vers les dépendances du palais où étaient logés les soldats et où le capitaine des gardes avait sa chambre.

— Midi.

— Trois heures.

La chaleur était intense. Des mouches et des guêpes bourdonnaient un peu partout. Appuyés sur leur lance, le casque de travers, les gardes du palais dormaient debout. Catherine parvint sans difficulté à l'escalier qui menait chez Jacques de Roussay. Il y régnait Une température de four, parce que les garnitures de plomb des toitures chauffaient comme l'enfer. La jeune femme sentit la sueur couler le long de son corps, cependant à l'aise dans une légère robe de candal vert pomme rayé d'argent, d'une couleur acide et fraîche comme l'eau d'une fontaine. Ses cheveux étaient simplement roulés sur les oreilles et emprisonnés dans deux résilles d'argent retenues par un fil mince d'où pendait, au milieu du front, une perle en poire.

Dans l'escalier, un bruit de voix frappa ses oreilles et ralentit son pas. Elle reconnut celle de Jacques de Roussay. À cause de la chaleur, il avait dû laisser la porte de sa chambre ouverte.

— Laissons maintenant ceci, disait le capitaine. Je vais te dicter une lettre pour Monseigneur. Voici au moins deux jours qu'elle devrait être écrite et je ne peux différer plus longtemps car un chevaucheur part ce soir pour Gand. Il est vrai qu'il y a si peu à dire ! ajouta-t-il avec un soupir. Tu y es ?

— J'y suis ! fit une voix inconnue de Catherine.

Celle-ci, poussée par une irrépressible curiosité,

s'était arrêtée sur la dernière marche de l'escalier, juste avant le tournant d'où elle eût été visible. Son instinct lui disait qu'elle allait entendre des choses intéressantes.

« Très illustre et très puissant Seigneur,dictait Jacques, j'implore le pardon de Votre Altesse si mes lettres ne sont pas plus fréquentes, mais je la supplie de considérer que je n'ai, heureusement ou malheureusement, rien de bien intéressant à lui apprendre. La surveillance discrète que je fais exercer autour de la dame de Brazey... »

— Tu y es ou bien est-ce que je dicte trop vite ?

Sur son escalier, Catherine sentit la colère chatouiller sa gorge en même temps qu'une espèce de satisfaction d'avoir deviné si juste. « C'était donc bien lui ! pensa-t-elle. Oh, le petit misérable ! Surveillance discrète ?

Vraiment ? Si toute la rue ne s'est pas aperçue qu'il me surveillait c'est que j'ai de la chance. Voyons la suite de cette belle épître. »

— ... autour de la dame de Brazey, ânonnait l'invisible scribe.

«... me paraît réellement sans objet. Elle mène la vie la plus régulière, la plus rangée, ne voit que sa mère, son oncle et la famille de Champdivers.

Elle n'accepte ni ne lance aucune invitation et, hormis les visites aux personnes précitées, ne sort de chez elle que pour se rendre aux offices de l'église Notre- Dame... »

Le capitaine en était déjà aux longues et minutieuses formules de politesse que Catherine n'était pas encore venue à bout de sa colère. Mais, peu à peu, un sourire remplaça sur ses lèvres le pli de contrariété tandis qu'une idée naissait dans sa tête. Pour une fois, elle allait s'amuser un peu.

Sans faire le moindre bruit, empêchant à deux mains la soie de sa robe de froufrouter, elle redescendit quelques marches à pas de loup quand elle entendit le secrétaire de Jacques lui demander s'il n'avait plus besoin de lui.

Puis, lâchant sa robe, elle toussota et remonta l'escalier sans se presser en faisant, cette fois, autant de bruit qu'elle pouvait. Le résultat fut qu'en arrivant en vue de la porte, ouverte comme elle l'avait bien pensé, de Jacques, elle trouva le jeune homme debout dans l'encadrement.

Vous ? s'écria-t-il en rougissant jusqu'à la racine de ses cheveux blonds en désordre. Vous, chez moi ?

Catherine lui offrit son plus gracieux sourire et s'avança la main tendue et arrondie en col de cygne pour qu'il y posât ses lèvres.

— Pourquoi pas ? fit-elle d'un ton enjoué. Puisque vous ne venez pas me voir, il faut bien que ce soit moi qui vienne ! Savez-vous que je devrais vous en vouloir ? Nous faisons route ensemble pendant des jours, vous ne me quittez pas d'une semelle et, à peine sommes-nous arrivés, que vous disparaissez. Je ne vous vois même plus. Ce n'est pas gentil...

Écarlate de confusion, Jacques ne savait plus où se mettre. Derrière lui un petit clerc dont le nez imposant s'ornait de lunettes tendait le cou pour voir au-delà des larges épaules du jeune homme.

— Je ne vous dérange pas, au moins ? ajouta Catherine, s'avançant encore pour bien montrer qu'elle voulait entrer.

Jacques s'effaça devant elle et le petit clerc se confondit en révérences, en déclarant qu'il se sauvait tout de suite.

— Vous ne me dérangez pas du tout, bredouilla enfin le pauvre capitaine.

Je... je... je viens d'écrire à ma mère et le père Augustin que voilà me prête sa plume, exercice auquel je ne suis pas très fort.

— Je sais, fit Catherine avec un nouveau sourire. Vous êtes un vaillant, vous préférez l'épée. Mais c'est tout à fait charmant chez vous... tout à fait charmant !

En fait, il y régnait un affreux désordre. Les meubles étaient beaux et les tentures fraîches, mais des vêtements, des armes et des flacons traînaient un peu partout. Sur la table, où le clerc avait dû écrire la lettre, il y avait des papiers voisinant avec des gobelets salis et un pichet de vin dont la terre poreuse, tout embuée de gouttelettes, disait qu'il était au puits peu de temps auparavant. Le lit, ouvert, n'avait pas été fait, mais Catherine détourna vertueusement son regard d'un spectacle aussi choquant. Et, malgré la petite fenêtre ouverte sur la cour des écuries, il faisait très, très chaud.

— C'est tout à fait indigne de vous ! s'écria le jeune homme qui reprenait pied. Et ma tenue...

— Laissez donc. Vous êtes très bien ainsi. Par cette chaleur...

Le capitaine, en effet, n'était vêtu que de chausses vertes, collantes, et d'une chemise de fine toile ouverte sur sa poitrine jusqu'à la taille. Mais Catherine se dit qu'elle l'aimait mieux ainsi que sous ses uniformes de parade ou sous l'armure. Il avait dans cette tenue négligée l'air sain et vigoureux d'un jeune paysan et, s'il sentait un peu le vin et la sueur, ce n'était pas au point que ce fût désagréable. Et, à propos de vin, Catherine avisa soudain le pichet :


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