— Vous devriez m'offrir à boire, fit-elle en s'asseyant sans façon sur le pied du lit. Je meurs de soif et ce qu'il y a là-dedans semble si frais...
— C'est du vin de Meursault.
— Alors, donnez-moi du vin de Meursault, fit-elle avec un irrésistible sourire.
Il se hâta de s'exécuter, mit presque genou à terre pour lui offrir le gobelet plein qu'elle but à petits coups sans le quitter des yeux. Il paraissait tout à fait remis de sa surprise, mais son air émerveillé fit comprendre à la jeune femme qu'il n'arrivait pas à croire à sa chance.
— Pourquoi me regardez-vous comme cela ?
— Je n'arrive pas à réaliser que je ne rêve pas... que c'est bien vous qui êtes là, près de moi... chez moi.
Pourquoi n'y serais-je pas ? Nous sommes si bons amis, vous et moi !...
Mmmm... votre vin est délicieux ! Un peu traître, peut-être. Voilà que ma tête tourne légèrement ! Il vaut mieux que je ne reste pas ici...
Elle se leva, mais à peine debout, poussa un petit cri en portant la main à son front, vacilla sur ses jambes.
— Mais... que m'arrive-t-il ? Mon Dieu... Je me sens toute drôle...
Elle menaçait de tomber, mais Jacques, relevé d'un coup de rein, l'avait saisie à pleins bras, l'obligeait à se rasseoir sans pour cela la lâcher.
— Ce n'est rien, fit-il d'un ton rassurant. La chaleur... et aussi ce vin ! Il est très frais, le froid vous a surprise. Vous l'avez bu peut-être un peu vite...
— C'est que... j'avais tellement soif. Oh ! c'est affreux, j'étouffe...
Catherine portait maintenant ses mains tremblantes à son corsage comme si la mince carapace de soie verte, déjà largement décolletée, la serrait trop.
Elle fut tout de suite comprise. Jacques, n'écoutant que son désir de lui venir en aide, se mit à dénouer les lacets qui fermaient la robe, tandis que Catherine, comme si elle perdait connaissance, se renversait en arrière parmi les couvertures entassées. Ce mouvement fit jaillir hors de leur nid couleur de mer et presque sous le nez du jeune homme éperdu d'adorables rondeurs dont le parfum monta encore plus vite que le vin de Meursault à la tête de Jacques. Le malheureux garçon perdit à cette vue le peu de raison qui lui restait. Oubliant que le malaise de Catherine l'inquiétait fort, il étreignit vigoureusement la jeune femme et se mit à couvrir de baisers sa gorge découverte en murmurant des paroles incohérentes.
Les yeux apparemment clos, Catherine l'observait à travers ses cils et le laissa se griser d'elle quelques instants. Mais il fallait couper court à l'expérience avant qu'elle-même ne perdît la tête. Ce qui pouvait bien ne pas tarder à arriver car, après tout, Jacques était jeune, agréable sans être vraiment beau, et vigoureux comme un jeune chêne. Elle poussa un profond soupir et repoussa le jeune homme avec une vigueur qu'il eût sans doute trouvée étrange, chez une femme en faiblesse, s'il avait été de sang-froid.
Mais de sang-froid, il n'était plus question. Jacques en était au délire !
Quand Catherine se redressa, il voulut la reprendre dans ses bras, mais elle l'écarta doucement, jouant artistement la confusion devant le désordre de sa toilette.
— Que m'est-il arrivé ?... Mon Dieu... je me souviens, j'ai perdu connaissance. Cette chaleur... et puis ce vin ! Pardonnez-moi, mon ami (elle appuya perfidement sur le mot ami), je me suis conduite d'une façon lamentable. Je n'ai point coutume de m'évanouir ainsi
Mais il n'entendait rien. A genoux devant elle, il pétrissait sa main libre dans les siennes, l'implorant du regard.
— Ne partez pas encore. Restez... Reposez-vous un moment. Si vous saviez ce que votre présence est pour moi...
Elle dégageait malgré tout sa main, le repoussait doucement, se levait et s'avançait de quelques pas dans la chambre...
— Je sais, mon ami, je sais, fit-elle d'une voix mourante. Vous êtes le meilleur des amis. Je gage que, durant ce malaise, vous m'avez soignée avec toute l'habileté dont vous êtes capable. Car je me sens déjà mieux...
Il était toujours à genoux auprès du lit, mais incapable de supporter l'idée qu'elle allait s'éloigner, lui échapper alors qu'il avait été si près de réaliser un rêve bien doux et déjà ancien, il se leva, vint vers elle les mains tendues.
— Vous n'allez pas partir tout de suite, fit-il avec un sourire. Vous êtes encore faible... et il fait si chaud.
Catherine secoua la tête.
— Ne me tentez pas. Il faut que je rentre. Je ne sais même pas quelle heure il est.
— Il n'est pas tard. Buvez encore un peu de vin, proposa perfidement Jacques, cela vous remettra tout à fait. Et puis, vous ne m'avez pas encore dit ce qui me valait une si délicieuse visite.
Catherine, qui se dirigeait vers la porte, se retourna.
— Je n'ai plus soif. Et puis votre vin est dangereux, mon cher Jacques.
Quant à ce que j'avais à vous dire...
Elle prit un temps, lui adressa un sourire moqueur, puis, quittant le ton languissant qu'elle employait depuis un moment, retrouva sa voix normale, toute chargée d'ironie pour ajouter avec la plus traîtresse douceur :
— Je voulais simplement vous fournir quelque chose à raconter à Monseigneur Philippe sur la dame de Brazey. Je pense que, maintenant, vous avez de quoi écrire une longue et belle lettre au duc sur la manière dont vous entendez à la fois l'amitié... et les secours à porter aux dames évanouies. À votre place, je rappellerais le père Augustin. Ou bien préférez-vous que je l'écrive moi-même, votre lettre ? J'écris fort bien, vous savez ?
Mon oncle Mathieu prétend que j'en remontrerais à un bénédictin.
Après quoi, contente du tour qu'elle lui avait joué, elle s'enfuit vers l'escalier en éclatant d'un rire moqueur et dégringola les degrés au risque de se rompre le cou, poursuivie par les « Catherine ! Catherine ! » affolés du jeune capitaine. Mais elle ne s'arrêta pour reprendre haleine qu'une fois dans le jardin du palais.
Dans les jours qui suivirent, la Bourgogne eut besoin des forces, si chancelantes, de sa duchesse- douairière. Tandis que Philippe était occupé en Flandres, les troupes du roi Charles étendirent la guerre le long des frontières nord du duché. Les Armagnacs du bâtard de La Baume tenaient la campagne de l'Auxerrois et d'une partie de l'Avallonnais. Mais, désireux d'ouvrir au roi la route de Champagne, le connétable John Stuart de Buchant et le maréchal de Séverac mirent le siège devant Cravant. Il fallait faire face au danger.
Marguerite rassembla son courage, dépêcha les troupes dont elle disposait sous les ordres du maréchal de Toulongeon et adressa une lettre à son gendre Bedford pour lui demander de l'aide.
Le départ de la lettre de la duchesse pour Paris donna lieu à une scène tragique entre Marguerite et Ermengarde, scène dont Catherine fut le témoin désolé. Comme Ermengarde reprochait, avec douleur, à la malade de faire appel à l'Anglais, celle-ci tourna vers elle son visage creusé par la souffrance, se redressa sur ses oreillers avec l'aide de Catherine et tendit la main vers sa vieille amie :
— C'est la Bourgogne qui est attaquée, Ermengarde... La Bourgogne que mon fils, le duc régnant, m'a confiée... Pour la sauvegarder, pour la tenir intacte, et vivante, et sans souffrances, je serais capable de vendre mon âme au Diable et de l'appeler au secours. Si l'Anglais écarte le péril, l'Anglais qui est l'époux de ma fille, je rendrai grâce à l'Anglais.
Puis, à bout de force, Marguerite s'était laissée retomber sur son lit.
Ermengarde n'avait rien répondu. Mais pour la première fois, depuis qu'elle la connaissait, Catherine avait vu pleurer cette femme de fer, cette vivante image de la loyauté et du devoir qu'était la Grande Maîtresse.
Le 30 juillet, la bataille de Cravant eut lieu, désastreuse pour le roi de France grâce à l'aide des troupes envoyées par Bedford et que commandait Suffolk. Catherine, désespérée, avait appris le bilan de la bataille dont Nicolas Rolin, instigateur de l'appel à Bedford, vint rendre à la duchesse un compte minutieux : le connétable de Buchant avait eu un œil crevé, de nombreux morts jonchaient le champ de bataille et des prisonniers de choix avaient été faits. C'est ainsi que Catherine sut que Xaintrailles et Arnaud étaient prisonniers.