Il ne sut point lui résister quand elle lui prit la main et qu’elle l’entraîna en lui disant:

– Venez! Il faut que vous sachiez où, jusqu’à demain soir, je cache les bulletins… Si par hasard il m’arrivait un accident, il faut tout prévoir…

Déjà elle avait soulevé le rideau et pénétré avec lui dans sa chambre… Elle lui lâcha la main, fit de la lumière, parut ne pas s’occuper de lui, n’être nullement gênée par la présence de cet homme dans cette pièce où il n’avait jamais pénétré et où était préparé le repos de la célèbre Sonia Liskinne, dans un luxe rare et troublant.

Cependant, le parfum délicat et souverain dont toute cette intimité de jolie femme était imprégnée agissait sur lui comme sur un collégien, en dépit de toute sa force d’âme, et déjà il entendait à peine ce qu’elle lui disait.

Il regardait glisser la forme désirable sur le tapis où l’on avait jeté des peaux de bêtes; il la vit monter sur un tabouret qui lui faisait une sorte de piédestal, se hausser sur la pointe des cothurnes, ce qui lui permit d’atteindre aux rayons d’une petite bibliothèque qui se trouvait à la tête du lit.

– Tenez! c’est ici! Derrière ce livre… personne n’ira les chercher là… je les mets là avec la fameuse liste… Vous ne savez pas ce qu’il y a encore dans ma petite cachette? Tenez! le cornet de cacahuètes… le cornet de papier rose… que nous avons trouvé sur la table du boudoir avec la liste qui m’a été si mystérieusement rapportée à moi! Tout de même! quel curieux mystère! et pourquoi ces cacahuètes?

– Sans doute, répondit Jacques qui fit effort, lui aussi, pour dire quelque chose… sans doute pour nous faire comprendre que celui qui nous rapportait la liste volée était un de nos amis, Un de ceux qui viennent quelquefois travailler ici le soir avec moi… et qui connaît le chemin des cacahuètes et qui n’a pas voulu se désigner autrement… Alors? alors, ma chère Sonia, ne pensons plus aux cacahuètes!

Il avait dit cela d’une voix si étrange et si nouvelle… Elle le regarda du haut de son tabouret…

Il était près d’elle et il lui tendit la main pour qu’elle descendît. Elle prit cette main qui était brûlante et sauta légère comme Diane chasseresse.

Cependant, le haut talon de son cothurne la fit, un quart de seconde, chanceler.

Un quart de seconde! un quart de seconde! Il ne faut qu’un quart de seconde à l’Amour ou à la Mort qui guettent, poussés par la Destinée.

Pendant ce quart de seconde-là, Sonia glissa sur la poitrine de Jacques. Il l’y retint. Elle poussa un soupir et il lui donna un baiser. Et, pendant les secondes qui suivirent, et les minutes, et les heures… tout fut oublié!

VII LE BARON D’ASKOF

Par la petite porte secrète, à trois heures et demie du matin, le baron d’Askof arriva mystérieusement dans le boudoir de Sonia Liskinne.

Il s’assit et attendit le commandant.

Contrairement à son habitude celui-ci était en retard. Le baron s’étonna quelque peu et un quart d’heure s’écoula.

Askof commençait à s’énerver.

Il avisa soudain, sur la table, une sorte de sachet indien qu’il n’avait jamais vu. Que faisait là cet objet inconnu? Curieux, il s’en saisit et l’ouvrit.

Des lettres? Des lettres de l’écriture du commandant. Il les lut.

Et, pendant qu’il les lisait, un méchant sourire errait sur ses lèvres cruelles.

Ces lettres dataient de plusieurs mois:

«Belle Sonia, je vous ai vue en rêve toute la nuit. Et cependant je ne suis point amoureux, mais je sens que je vais le devenir si vous continuez à déployer pour moi des grâces dont je suis indigne. Oubliez que vous êtes une femme et nous collaborerons et nous ferons, tous deux, de grandes choses. Essayez de devenir laide pour me faire plaisir. Et surtout ne vous habillez plus comme hier soir, ne vous coiffez plus comme hier soir, ne me parlez plus avec le sourire d’hier soir! Appliquez-vous à être toujours avec moi le contraire de ce que vous avez été hier soir, ou alors je perds la tête, ma pauvre tête dont j’ai tant besoin! C’est entendu, hein? ma chère camarade.»

Une autre finissait par ces mots:

«Ils sont fous de vous, comme je les comprends. Moi, je ne vous aime pas; c’est plus!»

Un billet:

«Je n’oublierai jamais les deux heures passées à vos côtés, cet après-midi, vous êtes la plus étonnante des femmes. Comment pourrai-je me passer de vous?»

Et un rendez-vous:

«Cette huit, nous travaillerons de deux heures à quatre heures du matin, dans notre cher petit boudoir. Comptez sur moi. Oui, j’ai pensé à vous! Vous êtes extraordinaire avec vos reproches! Je ne pense qu’à vous! Je ne puis rien sans vous! Vous êtes l’objet de ma perpétuelle admiration! Avez-vous reçu mes fleurs?»

Et ces seuls mots sur un autre billet:

«Merci. Vous êtes l’unique!»

Froidement, Askof replaça les billets dans le sachet et mit le sachet dans sa poche.

À ce moment, il lui sembla entendre un léger murmure. Il prêta l’oreille. Il ne s’était point trompé; on parlait dans la chambre de Sonia.

Doucement, il se leva, passa derrière le paravent de Coromandel, souleva la lourde tapisserie et écouta ces deux voix qui étaient derrière la porte.

Alors, il laissa retomber la tapisserie et revint à sa chaise, plus pâle qu’un mort.

Soudain il se leva et, par la porte secrète, quitta le boudoir de la belle Sonia.

Quelques minutes plus tard, un homme, coiffé du képi et de la pèlerine des employés de l’octroi, sortait du débit de vin de Petit-Bon-Dieu fils, remontait la rue, traversait le pont du chemin de fer et sautait dans une auto fermée, qui stationnait à l’angle d’une petite rue transversale. Il donna une adresse au chauffeur: place du Palais-Bourbon, et la voiture partit à une allure folle.

L’homme mit la tête à la portière et regarda derrière lui. Il vit qu’une autre auto, sortie d’il ne savait où, le suivait et à la même allure.

Ayant vu cela, le baron d’Askof, car c’était bien lui, se rejeta au fond de sa voiture, se débarrassa de son manteau et de son képi, souleva un coussin, ouvrit un coffre, y prit un chapeau et un pardessus qu’il revêtit aussitôt, puis il attendit.

À deux pas de la Chambre des députés, habitait Lavobourg. C’est chez Lavobourg que le baron d’Askof se rendait.

Il sauta de l’auto et sonna. Avant qu’on ne lui ouvrît, il eut le temps d’apercevoir d’une part, à l’extrémité de la petite rue qui longeait le Palais-Bourbon, l’auto qui l’avait suivi et qui s’était arrêtée auprès du quai, à un endroit d’où il était facile de surveiller la porte de la maison habitée par Lavobourg, et, d’autre part, il pouvait voir, au coin de la rue du Palais, deux silhouettes qui appartenaient, à n’en pas douter, à deux agents de la Sûreté.


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