Ça m’est égal, en fait, il n’y a rien à trouver (un tas de réponses automatiques de sociétés de recrutement, et un message de Jenny, de mon cours de Pilates, qui me propose de me joindre à son rendez-vous hebdomadaire avec ses copines – elles se retrouvent tous les jeudis soir et chacune à son tour prépare à dîner pour les autres – bref, plutôt mourir). Ça m’est égal, parce que ça le rassure de voir qu’il n’y a rien, que je ne lui cache rien de suspect. Et ça, c’est bon pour moi – c’est bon pour nous –, même si ce n’est pas vrai. Et je ne peux pas vraiment lui en vouloir, parce qu’il a de bonnes raisons de me soupçonner. Je lui en ai donné par le passé, et je risque fort de lui en donner de nouvelles à l’avenir. Je ne suis pas une épouse modèle. Impossible. J’ai beau l’aimer énormément, ce ne sera jamais suffisant.

Samedi 13 octobre 2012

Matin

J’ai dormi cinq heures cette nuit – un record ces temps-ci – et le plus bizarre c’est que, quand je suis rentrée, j’étais tellement surexcitée que j’étais certaine d'être incapable de rester en place pendant des heures. Je m’étais pourtant dit que je ne recommencerais pas, pas après la dernière fois, puis je l’ai vu, j’ai eu envie de lui, et je me suis dit : pourquoi pas ? Je ne vois pas pourquoi je devrais me retenir, il y a des tas de gens qui ne s’embêtent pas avec ça. Les hommes ne s’embêtent pas avec ça. Je ne veux pas faire de mal à qui que ce soit, mais il faut bien être fidèle à soi-même, non ? Je ne fais rien de plus qu’être fidèle à moi-même, à cette Megan que personne ne connaît – ni Scott, ni Kamal, personne.

Hier, après mon cours de Pilates, j’ai proposé à Tara d'aller au cinéma avec moi la semaine prochaine, puis je lui ai demandé si elle était d’accord pour me couvrir ce soir.

— S’il te téléphone, est-ce que tu peux lui dire que je suis avec toi, que je suis aux toilettes et que je le rappelle dès que je sors ? Ensuite tu me passes un coup de fil, je le rappelle, et c’est réglé.

Elle a souri, haussé les épaules et dit :

— D’accord.

Elle ne m’a même pas demandé où j’allais ni avec qui. Elle a vraiment envie d’être mon amie.

Je l’ai retrouvé à l’hôtel Swan, à Corly, il nous avait réservé une chambre. Il faut qu’on fasse attention à ne pas se faire prendre. Ce serait très grave pour lui, ça ficherait sa vie en l’air. Pour moi aussi, ce serait un désastre. Je ne veux même pas imaginer comment réagirait Scott.

Il avait envie que je lui parle, après, de ce qui s’était passé quand j’étais plus jeune et que j’habitais à Norwich. J’y avais fait allusion par le passé mais, hier soir, il voulait que je lui donne des détails. Je lui ai raconté quelques trucs, mais pas la vérité. J’ai menti, j’ai inventé des bobards, je lui ai sorti le genre d’histoires sordides qu’il avait envie d’entendre. C’était marrant. Ça ne me gêne pas de mentir, de toute façon, ça m’étonnerait qu’il ait cru à la majorité de ce que je lui ai dit. Et je suis quasiment sûre qu’il ment, lui aussi.

Quand je me suis rhabillée, il est resté allongé sur le lit à me regarder. Il a dit :

— Il ne faut plus que ça se reproduise, Megan, tu le sais. On ne peut pas continuer.

Et il avait raison, je le sais. On ne devrait pas, on ferait mieux d’éviter, mais on recommencera quand même. Ce ne sera pas la dernière fois. Il ne me dira jamais non. J’y réfléchissais en rentrant, et c’est ce que j’aime le plus dans tout ça, avoir du pouvoir sur quelqu’un. C’est ça, le plus grisant.

Soir

J’ouvre une bouteille de vin dans la cuisine quand Scott arrive derrière moi, pose les mains sur mes épaules et les serre gentiment en me demandant :

— Comment c’était, chez le psy ?

Je lui dis que ça s’est bien passé, qu’on fait des progrès. Il a l’habitude que je ne donne pas de détails, maintenant. Puis :

— C’était sympa, avec Tara, hier soir ?

Je lui tourne le dos et je n’arrive pas à savoir s’il est sincère ou s’il soupçonne quelque chose. Je n’ai rien entendu d’étrange dans sa voix.

— Elle est très gentille, dis-je. Vous vous entendriez bien, elle et toi. On va au cinéma la semaine prochaine, d’ailleurs. Je pourrais peut-être lui dire de venir manger avec nous après ?

— Je ne suis pas invité au cinéma, moi ?

— Mais si, je réponds avant de me retourner pour l’embrasser sur la bouche. Sauf qu’elle a envie de voir ce truc avec Sandra Bullock et…

— J’ai compris ! Invite-la à dîner ici après, alors, dit-il, les mains doucement appuyées en bas de mon dos.

Je sers le vin et nous allons dehors. On s’assoit côte à côte au bord de la terrasse, les doigts de pied dans l’herbe.

— Elle est mariée ? demande-t-il.

— Tara ? Non. Célibataire.

— Elle n’a pas de petit copain ?

— Je ne crois pas.

— Une petite copine ? ajoute-t-il, un sourcil levé, et je ris. Mais elle a quel âge ?

— Je ne sais pas. La quarantaine, je dirais.

— Oh. Et elle n’a personne. C’est un peu triste.

— Mmm. Je pense qu’elle se sent seule.

— Ils s’accrochent toujours à toi, les gens seuls, tu as remarqué ? Ils foncent droit sur toi.

— Ah oui ?

— Elle n’a pas d’enfants, alors ? demande-t-il.

Je ne sais pas si c’est mon imagination, mais, dès que le sujet des enfants surgit, j’entends comme une insistance dans sa voix et je sens déjà arriver la dispute, et je ne veux pas, je n’ai pas envie de ça ce soir, alors je me lève et je lui dis de prendre nos verres de vin, parce qu’on va dans la chambre.

Il me suit et j’enlève mes vêtements en montant l’escalier et, quand on arrive, au moment où il me pousse sur le lit, ce n’est déjà plus à lui que je pense, mais ça n’a aucune importance parce que, ça, il ne le sait pas. Je suis assez douée pour lui faire croire qu’il n’y a que lui.

RACHEL

Lundi 15 juillet 2013

Matin

Cathy m’a rappelée quand je partais ce matin pour me prendre dans ses bras, un peu raide. J’ai cru qu’elle allait me dire qu’elle ne me mettrait pas à la porte, en fin de compte, mais au lieu de ça elle m’a glissé une lettre imprimée, mon préavis d’expulsion officiel, date de départ incluse. Elle n’a pas réussi à me regarder dans les yeux. J’étais embêtée pour elle, vraiment, mais j’étais surtout embêtée pour moi. Elle m’a souri tristement, et elle a dit :

— Ça me désole de devoir te faire ça, Rachel.

C’était très gênant, comme situation. On était dans le couloir et, malgré l’huile de coude et la javel employées la veille, ça sentait encore un peu le vomi. J’avais envie de pleurer, mais je ne voulais pas la faire culpabiliser davantage, alors je lui ai fait un grand sourire et j’ai répondu :

— Pas du tout, je t’assure, ce n’est pas un souci.

Comme si elle m’avait simplement demandé de lui rendre un petit service.

C’est dans le train que les larmes viennent, et ça m’est égal qu’on me regarde ; après tout, mon chien pourrait avoir été renversé par une voiture. Peut-être qu’on vient de me déceler une maladie incurable. Peut-être que je suis une alcoolique divorcée, stérile, et bientôt à la rue.

C’est ridicule, quand j’y pense. Comment ai-je fait pour me retrouver là ? Je me demande quand ça a commencé, ce déclin, et à quel moment j’aurais pu l’arrêter. Quelle a été ma première erreur ? Pas ma rencontre avec Tom, qui m’a sauvée de mon chagrin après la mort de papa. Ni notre mariage de jeunes amoureux insouciants et ivres de bonheur, un jour de mai très froid, il y a sept ans. J’étais heureuse, mon compte en banque se portait bien, et j’avais une carrière. Ça n’a pas non plus été d’emménager au numéro vingt-trois, Blenheim Road, une maison plus grande et plus belle que je n’aurais imaginé habiter à seulement vingt-six ans. Je me rappelle parfaitement ces premiers jours, passés à marcher pieds nus pour sentir la chaleur du parquet sous mes orteils ; je me délectais de ce grand espace, du vide de toutes ces pièces qui n’attendaient que d’être remplies. On faisait des projets, Tom et moi : ce qu’on planterait dans le jardin, ce qu’on accrocherait aux murs, de quelle couleur on allait peindre la chambre d’amis – mais, dès le départ, dans mon esprit, c’était déjà la chambre du bébé.


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