– Monsieur Lupin ?

Lupin semblait profondément ébranlé par ce dernier coup. Des rides creusaient son front. Il était las et sombre. Il se redressa pourtant en un sursaut d’énergie. Et malgré tout, allègre, dégagé, il s’écria :

– Vous conviendrez que le sort s’acharne après moi. Tout à l’heure, il m’empêche de m’évader par cette cheminée et me livre à vous. Cette fois, il se sert du téléphone pour vous faire cadeau de la Dame blonde. Je m’incline devant ses ordres.

– Ce qui signifie ?

– Ce qui signifie que je suis prêt à rouvrir les négociations.

Sholmès prit à part l’inspecteur et sollicita, d’un ton d’ailleurs qui n’admettait point de réplique, l’autorisation d’échanger quelques paroles avec Lupin. Puis il revint vers celui-ci. Colloque suprême ! Il s’engagea sur un ton sec et nerveux.

– Que voulez-vous ?

– La liberté de Mlle Destange.

– Vous savez le prix ?

– Oui.

– Et vous acceptez ?

– J’accepte toutes vos conditions.

– Ah ! fit l’Anglais, étonné… mais… vous avez refusé… pour vous…

– Il s’agissait de moi, Monsieur Sholmès. Maintenant il s’agit d’une femme… et d’une femme que j’aime. En France, voyez-vous, nous avons des idées très particulières sur ces choses-là. Et ce n’est pas parce que l’on s’appelle Lupin que l’on agit différemment… au contraire !

Il dit cela très calmement. Sholmès eut une imperceptible inclinaison de la tête et murmura :

– Alors le diamant bleu ?

– Prenez ma canne, là, au coin de la cheminée. Serrez d’une main la pomme, et, de l’autre, tournez la virole de fer qui termine l’extrémité opposée du bâton.

Sholmès prit la canne et tourna la virole, et, tout en tournant, il s’aperçut que la pomme se dévissait. À l’intérieur de cette pomme se trouvait une boule de mastic. Dans cette boule un diamant.

Il l’examina. C’était le diamant bleu.

– Mlle Destange est libre, Monsieur Lupin.

– Libre dans l’avenir comme dans le présent ? Elle n’a rien à craindre de vous ?

– Ni de personne.

– Quoi qu’il arrive ?

– Quoi qu’il arrive. Je ne sais plus son nom ni son adresse.

– Merci. Et au revoir. Car on se reverra, n’est-ce pas, Monsieur Sholmès ?

– Je n’en doute pas.

Il y eut entre l’Anglais et Ganimard une explication assez agitée à laquelle Sholmès coupa court avec une certaine brusquerie.

– Je regrette beaucoup, Monsieur Ganimard, de n’être point de votre avis. Mais je n’ai pas le temps de vous convaincre. Je pars pour l’Angleterre dans une heure.

– Cependant… la Dame blonde ?…

– Je ne connais pas cette personne.

– Il n’y a qu’un instant…

– C’est à prendre ou à laisser. Je vous ai déjà livré Lupin. Voici le diamant bleu… que vous aurez le plaisir de remettre vous-même à la comtesse de Crozon. Il me semble que vous n’avez pas à vous plaindre.

– Mais la Dame blonde ?

– Trouvez-la.

Il enfonça son chapeau sur sa tête et s’en alla rapidement, comme un Monsieur qui n’a pas coutume de s’attarder lorsque ses affaires sont finies.

– Bon voyage, maître, cria Lupin. Et croyez bien que je n’oublierai jamais les relations cordiales que nous avons entretenues. Mes amitiés à M. Wilson.

Il n’obtint aucune réponse et ricana :

– C’est ce qui s’appelle filer à l’anglaise. Ah ! Ce digne insulaire ne possède pas cette fleur de courtoisie par laquelle nous nous distinguons. Pensez un peu, Ganimard, à la sortie qu’un Français eût effectuée en de pareilles circonstances, sous quels raffinements de politesse il eût masqué son triomphe ! … Mais, Dieu me pardonne, Ganimard, que faites-vous ? Allons bon, une perquisition ! Mais il n’y a plus rien, mon pauvre ami, plus un papier. Mes archives sont en lieu sûr.

– Qui sait ! Qui sait !

Lupin se résigna. Tenu par deux inspecteurs, entouré par tous les autres, il assista patiemment aux diverses opérations. Mais au bout de vingt minutes il soupira :

– Vite, Ganimard, vous n’en finissez pas.

– Vous êtes donc bien pressé ?

– Si je suis pressé ! Un rendez-vous urgent !

– Au Dépôt ?

– Non, en ville.

– Bah ! Et à quelle heure ?

– À deux heures.

– Il en est trois.

– Justement, je serai en retard, et il n’est rien que je déteste comme d’être en retard.

– Me donnez-vous cinq minutes ?

– Pas une de plus.

– Trop aimable… je vais tâcher…

– Ne parlez pas tant… encore ce placard ? Mais il est vide !

– Cependant voici des lettres.

– De vieilles factures !

– Non, un paquet attaché par une faveur.

– Une faveur rose ? Oh ! Ganimard, ne dénouez pas, pour l’amour du ciel !

– C’est d’une femme ?

– Oui.

– Une femme du monde ?

– Du meilleur.

– Son nom ?

– Mme Ganimard.

– Très drôle ! Très drôle ! s’écria l’inspecteur d’un ton pincé.

À ce moment, les hommes envoyés dans les autres pièces annoncèrent que les perquisitions n’avaient abouti à aucun résultat. Lupin se mit à rire.

– Parbleu est-ce que vous espériez découvrir la liste de mes camarades, ou la preuve de mes relations avec l’empereur d’Allemagne ? Ce qu’il faudrait chercher, Ganimard, ce sont les petits mystères de cet appartement. Ainsi ce tuyau de gaz est un tuyau acoustique. Cette cheminée contient un escalier. Cette muraille est creuse. Et l’enchevêtrement des sonneries ! Tenez, Ganimard, pressez ce bouton…

Ganimard obéit.

– Vous n’entendez rien ? interrogea Lupin.

– Non.

– Moi non plus. Pourtant vous avez averti le commandant de mon parc aérostatique de préparer le ballon dirigeable qui va nous enlever bientôt dans les airs.

– Allons, dit Ganimard, qui avait terminé son inspection, assez de bêtises, et en route !

Il fit quelques pas, les hommes le suivirent.

Lupin ne bougea point d’une semelle.

Ses gardiens le poussèrent. En vain.

– Eh bien, dit Ganimard, vous refusez de marcher ?

– Pas du tout.

– En ce cas…

– Mais ça dépend.

– De quoi ?

– De l’endroit où vous me conduirez.

– Au Dépôt, parbleu.

– Alors je ne marche pas. Je n’ai rien à faire au Dépôt.

– Mais vous êtes fou ?

– N’ai-je pas eu l’honneur de vous prévenir que j’avais un rendez-vous urgent ?

– Lupin !

– Comment, Ganimard, la Dame blonde attend ma visite, et vous me supposez assez grossier pour la laisser dans l’inquiétude ? Ce serait indigne d’un galant homme.

– Écoutez, Lupin, dit l’inspecteur que ce persiflage commençait à irriter, j’ai eu pour vous jusqu’ici des prévenances excessives. Mais il y a des limites. Suivez-moi.

– Impossible. J’ai un rendez-vous, je serai à ce rendez-vous.

– Une dernière fois ?

– Im-pos-sible.

Ganimard fit un signe. Deux hommes enlevèrent Lupin sous les bras. Mais ils le lâchèrent aussitôt avec un gémissement de douleur : de ses deux mains Arsène Lupin enfonçait dans la chair deux longues aiguilles.

Fous de rage, les autres se précipitèrent, leur haine enfin déchaînée, brûlant de venger leurs camarades et de se venger eux-mêmes de tant d’affronts, et ils frappèrent, et ils cognèrent à l’envi. Un coup plus violent l’atteignit à la tempe. Il tomba.

– Si vous l’abîmez, gronda Ganimard, furieux, vous aurez affaire à moi.

Il se pencha, prêt à le soigner. Mais, ayant constaté qu’il respirait librement, il ordonna qu’on le prît par les pieds et par la tête, tandis que lui-même le soutiendrait par les reins.

– Allez doucement surtout… pas de secousses… ah les brutes, ils me l’auraient tué. Eh ! Lupin, comment ça va ?

Lupin ouvrait les yeux. Il balbutia :

– Pas chic, Ganimard… vous m’avez laissé démolir.

– C’est de votre faute, nom d’un chien… avec votre entêtement répondit Ganimard, désolé… mais vous ne souffrez pas ?

On arrivait au palier. Lupin gémit :

– Ganimard… l’ascenseur… ils vont me casser les os…

– Bonne idée, excellente idée, approuva Ganimard. D’ailleurs l’escalier est si étroit… il n’y aurait pas moyen…


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