— Pourquoi elle danse avec un taureau ? demanda Adam.

— C’est pour bien montrer que c’est espagnol », rétorqua Wensleydale. Adam n’insista pas.

L’affiche de corrida tint toutes les promesses de Brian.

Pepper avait une espèce de saucière en raphia.

« C’est pour poser les bouteilles de vin, jeta-t-elle sur un ton de défi. Ma mère a rapporté ça d’Espagne.

— Y a pas de taureau dessus, constata Adam avec sévérité.

— Y a pas besoin », repartit Pepper, adoptant discrètement sa position de combat.

Adam hésita. Sa sœur Sarah et son petit ami avaient été en Espagne, eux aussi. Sarah en était revenue avec un gros âne en peluche mauve qui, même s’il était indubitablement espagnol, ne manifestait pas tout à fait le cachet requis par l’Inquisition espagnole, telle qu’Adam la concevait. De son côté, le petit ami avait ramené une épée très ouvragée qui, malgré une propension à se tordre quand on la prenait en main et à s’émousser quand on voulait couper du papier avec, revendiquait son statut de lame en acier de Tolède. Adam avait passé une demi-heure fort instructive en compagnie de l’encyclopédie, et il avait la certitude que c’était exactement ce dont l’Inquisition avait besoin. Mais de discrètes allusions s’étaient révélées stériles.

Finalement, Adam avait prélevé un chapelet d’oignons dans la cuisine. Ils auraient très bien pu être espagnols. Mais même Adam devait admettre qu’en tant qu’ornements du siège de l’Inquisition, il leur manquait un petit quelque chose. Il n’était pas en position de force pour critiquer les porte-bouteille en raphia.

« Très bien, décréta-t-il.

— Tes sûr que ce sont des oignons d Espagne ? demanda Pepper en retrouvant une attitude plus détendue.

— Bien sûr. Les oignons d’Espagne, tout le monde connaît ça.

— Ils pourraient être français, s’entêta Pepper. La France est célèbre pour ses oignons.

— Ça fait rien », jugea Adam, que le sujet des oignons commençait à agacer. « La France, c’est presque l’Espagne, et puis ça m’étonnerait que les sorcières fassent la différence, si elles sont tout le temps dehors à voler, la nuit. Pour une sorcière, tout ça, c’est l’Incontinent. Et puis si ça te plaît pas, t’as qu’à aller faire ta propre Inquisition ailleurs. »

Pour une fois, Pepper n’insista pas. On lui avait promis le poste de Tortureuse en chef. L’attribution de celui d’Inquisiteur en chef ne faisait aucun doute. Wensleydale et Brian étaient moins fascinés par leur charge de Gardes de l’Inquisition.

« D'abord, vous connaissez pas l’espagnol, fit Adam, dont la pause repas s’était enrichie de dix minutes devant un manuel de conversation que Sarah, perdue dans une brume romantique, avait acheté à Alicante.

— Ça, ça fait rien, parce que, d’abord, il faut parler en latin, rétorqua Wensleydale, qui avait lui aussi employé sa pause repas à des lectures un peu mieux choisies.

—  Etl’espagnol, affirma Adam. C’est pour ça que ça s’appelle l’Inquisition espagnole.

— Je vois pas pourquoi on pourrait pas être une Inquisition britannique, intervint Brian. À quoi ça sert d’avoir repoussé l’invincible Armada et tout ça, si c’est pour avoir leur sale Inquisition ? »

Cette pensée avait également troublé la fibre patriotique d’Adam.

« Je crois qu’on ferait mieux de commencer espagnol, et puis, quand on sera bien au point, on deviendra l’Inquisition britannique. Et maintenant, ajouta-t-il, que la Garde de l’Inquisition aille chercher la première sorcière, porfavor . »

Ils avaient décidé que la nouvelle occupante du cottage des Jasmins attendrait. Ils allaient commencer petit et se développer au fur et à mesure.

« Es-tu une sorcière, olé ? demanda l’Inquisiteur en chef.

— Voui, répondit la petite sœur de Pepper qui, à six ans, était bâtie comme un petit ballon blond.

— Faut pas dire oui, faut dire non, siffla la Tortureuse en chef en donnant un coup de coude à la suspecte.

— Et après, y va m’arriver quoi ? s'enquit cette dernière.

— Après, on te torturera pour que tu dises oui. Je t’ai dit, ça va être marrant, la torture. Ça fait pas mal. Rasta la visa », ajouta-t-elle précipitamment.

La petite suspecte jeta un coup d’œil critique sur le décor du quartier général de l’Inquisition. Ça sentait distinctement l’oignon.

« Boh, fit-elle, moi, j ’veuxêtre une sorcière, avec un nez plein de verrues, pis la peau verte, pis un gentil chat, et je l’appellerai Noiraud, pis plein de potions etc »

La Tortureuse en chef adressa un signe de tête à l’Inquisiteur en chef.

« Écoute », expliqua Pepper, à bout d’arguments, « personne a dit que tu pouvais pas être une sorcière, mais faut pas le dire, c’est tout. C’est vraiment pas la peine qu’on se donne tout ce mal, ajouta-t-elle sur un ton plus sévère, si tu réponds oui dès qu’on te pose la question. »

La suspecte prit la chose en considération.

« Mais j ’veuxêtre une sorcière », pleurnicha-t-elle. Les Eux du sexe fort échangèrent des regards las. La situation dépassait leurs compétences.

« Si tu dis non, proposa Pepper, je te donnerai l’écurie de Sindy. J’ai jamais joué avec, ajouta-t-elle, foudroyant du regard les autres Eux, les mettant au défi de risquer un commentaire.

— Si ! Tu t’en es servie, clama sa petite sœur. Je l’ai vue, elle est toute vieille, et pis l’endroit où on met la paille, il est cassé, etc »

Adam toussota comme un vrai magistrat.

« Es-tu une sorcière, viva Espana ? » répéta-t-il.

La petite sœur regarda le visage de Pepper et décida de ne pas prendre de risques.

« Non », décida-t-elle.

Tout le monde était d’accord : c’était une torture vachement bien. Le problème était de convaincre la sorcière putative d’en descendre.

L’après-midi était chaud et les Gardes de l’Inquisition avaient l’impression qu’on abusait de leur bonne volonté.

« Je vois pas pourquoi c’est moi et le frère Brian qui devons faire tout le travail, déclara le frère Wensleydale en épongeant la sueur de son front. Je trouve que ça suffit pour elle, et que ça devrait être notre tour, maintenant. Benedictine dans le décanteur.

— Pourquoi on arrête ? » demanda la suspecte, l’eau ruisselant de ses chaussures.

Suite à ses recherches, l’Inquisiteur en chef avait conclu que l’Inquisition britannique n’était probablement pas encore prête pour le retour de la Vierge de Nuremberg et de la poire d’angoisse. Mais une illustration représentant le supplice médiéval de l’eau semblait convenir à merveille. Il suffisait de trouver une mare, des planches et une corde. Ce genre de combinaison avait toujours eu la faveur des Eux, et ils n’avaient jamais eu de problèmes à se procurer ces trois ingrédients.

La suspecte était maintenant verte jusqu’à la taille.

« C’est comme une balançoire, dit-elle. Ouaiiiis !

— Moi, si j’ai pas le droit d’en faire aussi, je rentre chez moi, grommela le frère Brian. Je vois pas pourquoi y aurait que les méchantes sorcières qui ont le droit de s’amuser.

— Les Inquisiteurs ont pas le droit de se faire torturer », décréta sévèrement l’Inquisiteur en chef, quoique sans conviction excessive. L’après-midi était caniculaire, la toile de sac des robes inquisitoriales grattait et sentait l’orge moisie, et la mare déployait une incroyable séduction.

« Bon, d’accord, d’accord », dit-il. Il se retourna vers la suspecte. « Bon, t’es une sorcière. Alors, recommence plus. Et maintenant, tu descends, c’est au tour de quelqu’un d’autre. Olé, ajouta-t-il.

— Et après, on fait quoi ? » s’enquit la petite sœur de Pepper.

Adam hésita. Si on lui mettait le feu, ça allait sans doute faire des histoires à n’en plus finir, supposa-t-il. Sans compter qu’elle était trop mouillée pour brûler correctement.


Перейти на страницу:
Изменить размер шрифта: