— On va aller vous les chercher, proposait le président.

Mais cela ne faisait pas l’affaire du délégué autrichien.

— Non, non, protesta-t-il, qu’on m’y fasse contuire bar un autre cardien. Je les drouverai tout te suite, et buis je vais vous dire adieu, gar je ne feux bas déranger M. le Herr Tirector.

Les membres de la commission, à cette déclaration, se consultèrent du regard.

— Qu’il en soit fait comme vous le désirez, finit par approuver le président de la commission. On va prévenir un gardien.

Peu de temps après, le D. 33, couché dans son lit, voyait s’ouvrir la porte de sa cellule. C’était le délégué autrichien qui revenait le retrouver.

— Che fiens gerger mes lunettes.

Le petit homme, sous la conduite d’un gardien et n’ayant même pas l’air de voir le condamné, s’agenouilla à même le sol, fouilla sous la paillasse.

Le gardien protesta :

— Mais ne vous donnez donc pas la peine, monsieur, laissez-moi chercher.

— Z’est g’on ne voit pas clair.

Le gardien proposa :

— Eh bien, attendez-moi, monsieur, je m’en vais aller allumer, je pourrai vous éclairer.

Le gardien sortit de la cellule, repoussa la porte et courut jusqu’au commutateur situé au bout du couloir.

Or, pendant qu’il était absent, le délégué autrichien, en une seconde et moins peut-être, se débarrassa de son paletot, apparut habillé seulement d’un pantalon très large, d’une chemise, d’une chemise semblable à celle du détenu :

— Vite, vite, toi, Fantômas, enveloppe mes vêtements dans cette grande toilette noire. Tu diras ce que tu voudras, quand le gardien va revenir tu inventeras que le délégué autrichien est déjà parti. Va cacher ces habits quelque part dans la prison, tiens, à la buanderie. Dans trois jours seulement je ferai reconnaître qui je suis et que tu t’es évadé.

Fantômas, déjà, avait bondi hors de son lit. Il était revêtu de l’uniforme de gardien que le faux délégué autrichien lui avait passé quelques minutes auparavant.

Il lui fallait une seconde pour empaqueter dans la toile noire le pardessus et le pantalon de son sauveur. Il demanda encore haletant :

— Mais qui es-tu ? Comment t’appelles-tu ?

Puis il se tut. Le pas du gardien qui était parti tourner la lumière électrique résonnait tout proche.

Fantômas, bien qu’il tremblât, fit preuve d’une superbe audace. À peine le gardien poussait-il la porte qu’il lui jeta :

— Eh bien, mon vieux, t’as encore de la chance que je sois passé là avant la ronde de nuit qui s’amène. C’est toi qu’avais laissé la porte ouverte ? qu’est-ce qui t’a pris ?

Le gardien était à la porte, immobile, muet de stupeur. Puis il demanda :

— Mais qu’est-ce qu’est devenu le délégué autrichien ? faisait-il enfin et d’où que tu viens, toi ?

Il regardait Fantômas, presque soupçonneux. Le bandit, toutefois, paraissait si sûr de lui, si tranquille, que l’homme n’insista pas.

— Où est le délégué ? reprit-il.

— Le délégué, mon vieux, un petit homme vêtu d’un grand pardessus et qui tenait à la main des lunettes d’or ? Il a fichu le camp juste quand j’arrivais, c’est ça qui m’a fait remarquer que la cellule était ouverte.

— Eh bien, nom d’un chien, c’est malheureux tout de même. Voilà un bonhomme que j’emmène pour chercher une paire de lunettes, je le quitte une seconde pour aller ouvrir l’électricité et il en profite pour s’éloigner en laissant la porte ouverte. Il n’est pas malin celui-là.

— T’as de la chance que je sois passé.

— Ça, c’est vrai. Tu es nouveau ici ? Je ne te connais pas.

— J’étais à la boulangerie. Maintenant, je passe gardien en pied et je viens faire du service de nuit à l’aile D.

— Ah bon, c’est parfait. Merci, vieux.

Le premier gardien fit sortir Fantômas de la cellule, ferma la porte, ronchonnant toujours :

— C’est de la veine que le D. 33 n’ait pas rouspété et même qu’il ne soit pas bavard. Si seulement il racontait que sa porte est restée ouverte, j’crois que je pourrais faire mon deuil de ma retraite.

Le gardien s’interrompit. Au bout du couloir, la ronde de nuit approchait. Le major héla les deux gardiens :

— Qu’est-ce que vous faites là, vous ?

— Rien, major. On refermait une porte.

— C’est bon. Et vous, qu’est-ce que vous portez là ?

La phrase s’adressait à Fantômas :

— Major, c’paquet-là, c’est des vêtements qu’on m’a donné à l’infirmerie pour que je les brûle. Seulement, je suis nouveau, je ne sais pas où est le calorifère.

— Dans la cour, l’escalier B, vous verrez, la seconde cave. Allez brûler ça. Le médecin défend qu’aucun vêtement sortant de l’infirmerie soit introduit dans la prison. Si l’on vous rencontrait, vous auriez sur les doigts.

Tout en parlant, le major continuait sa ronde.

Il arriva à la hauteur de la cellule d’où venait de sortir Fantômas. Il ouvrit l’ « espion ».

Le bandit, à nouveau, se sentit frémir.

Fantômas qui n’avait pas eu le temps de le contempler au moment de son évasion, alors qu’hâtivement il empaquetait les vêtements de son sauveteur, qu’il mettait la barbe et la moustache postiches dont il n’avait osé se munir qu’à la dernière minute, se penchait par-dessus l’épaule du surveillant, regardait lui aussi avec curiosité à travers l’ « espion ».

Fantômas ne dit rien, ne fit aucune remarque…

Même il murmura :

— Eh bien, Major, je vais au calorifère.

Seulement à cet instant, Fantômas était blême, Fantômas sentait ses jambes vaciller sous lui, il était terrifié, anéanti. Dans le délégué autrichien qui avait pris sa place, dans celui qui se donnait comme un envoyé de Bébé, dans celui qu’il avait pris pour un complice, il venait de reconnaître qui ? Son plus mortel ennemi, le Roi des policiers : Juve.

C’était Juve qui, volontairement, venait de lui rendre la liberté. C’était Juve qui avait pris la place de Fantômas. Et Fantômas se demandait pourquoi, avec une anxiété fébrile.

Il était sept heures dix lorsque Fantômas, portant toujours son paquet sous le bras, se rendit au calorifère après avoir reconnu Juve à travers l’ « espion ».

Deux heures plus tard le bandit se trouvait encore dissimulé dans les sous-sols de la prison. Enfoncé dans un coin d’ombre, il réfléchissait.

— Juve, songeait Fantômas, que veut-il ? Que médite-t-il ?

Il lui apparut très vite que Juve ne devait pas s’être aperçu que lui, Fantômas, l’avait reconnu.

Et cette pensée rassurait le Maître de l’Épouvante.

— Parbleu, songeait Fantômas, Juve s’est dit : « Je vais faire évader Fantômas, puis, dans quelques heures, je crierai cette évasion, je la proclamerai, j’en donnerai pour preuves mes habits que je ferai retrouver cachés dans la buanderie. Il faudra bien que l’on me relâche, il faudra bien que l’on me rende à la liberté et j’en profiterai pour recommencer ma poursuite acharnée contre l’ennemi ».

Or, pensant cela, Fantômas, riait :

Ah, Juve avait pensé se moquer de lui, le faire sortir de la prison, où lui-même entrait, pour mieux pouvoir l’atteindre.

Eh bien, soit. Fantômas acceptait le défi, c’était volontairement que Juve s’était fait incarcérer, escomptant que sa mise en liberté ne souffrirait aucune difficulté. Il lui prouverait le contraire :

— Je vais jeter les habits de Juve dans le calorifère, je vais les anéantir. De la sorte, Juve ne pourra plus proclamer sa personnalité. On ne le croira pas. Il a voulu être Fantômas, il le sera. Il le restera. Il restera prisonnier ici, toute sa vie, à ma place.

D’un pas délibéré, Fantômas quitta le coin noir où il se dissimulait. Il suivit une enfilade de caves, il s’orienta. Quelques minutes plus tard, il ouvrait la porte du calorifère, il y jetait le paquet de vêtements qu’il avait conservé jusqu’alors.

Puis après avoir un peu tisonné le foyer du calorifère, il s’éloigna. Il n’était pas embarrassé maintenant pour sortir de la prison.

Remontant dans les cours, il se mêla à la foule des gardiens du service de jour qui se groupaient au centre de la prison, sous les ordres d’un surveillant-chef, qui, à l’arrivée de la brigade de nuit, libérait son monde.


Перейти на страницу:
Изменить размер шрифта: