À la vitre du rez-de-chaussée, qui semblait éclairée, l’homme frappa discrètement et attendit.

Quelques instants plus tard, une fenêtre grinça, s’ouvrit de l’intérieur mais les volets demeurèrent fermés.

Une voix, une voix de femme, interrogea doucement :

— Qui frappe ?

Le personnage qui s’était ainsi furtivement approché répondit à voix basse :

— C’est moi, vous pouvez ouvrir.

La voix de femme reprit sur un ton de méfiance :

— Moi ? ce n’est pas un nom ? Qui êtes-vous ?

— Maxime de Tergall.

On parut rassuré dans la maison, la fenêtre se referma. Encore quelques instants, une clé tournait dans une serrure, et la porte donnant sur le jardin s’ouvrait.

Le marquis de Tergall pénétra rapidement dans la villa et, apercevant soudain la personne qui venait de lui ouvrir, il s’écria avec un air de tendresse et de reproche :

— Chonchon, ma petite Chonchon, tu ne m’avais donc pas reconnu ?

Puis la porte se referma.

La maisonnette isolée au milieu des constructions neuves de Saint-Calais et dans laquelle venait de s’introduire le marquis de Tergall, non sans avoir pris toutes sortes de précautions, avait été louée depuis quelques semaines déjà par la chanteuse.

La jeune femme exerçait son métier, beaucoup plus par habitude, par distraction et aussi pour s’assurer une situation sociale qu’elle pût avouer sans rougir, que par nécessité. Grâce en effet à ses généreux protecteurs, elle avait des moyens qui lui permettaient de vivre à son gré sans rien faire. En outre, elle se prétendait artiste et se jurait un véritable tempérament. Chonchon, assez indépendante malgré tout, n’était pas fâchée d’avoir une profession qui lui permettrait, le cas échéant, une existence certaine et, somme toute, pas désagréable. Toutefois, elle travaillait en amateur et ne se condamnait pas, comme la plupart de ses camarades, à des représentations jamais interrompues pendant le cours de la saison. Elle venait chanter huit jours au Mans, prenait quinze jours de congé ensuite, se produisait pendant quelques semaines dans les établissements des villes avoisinantes, Saumur, Angers, Tours, puis regagnait Le Mans.

Il lui arrivait également de passer une semaine, quelquefois deux, dans sa petite maison de Saint-Calais, qu’elle avait louée assez mystérieusement à son nom et où elle recevait, dans le plus grand secret, car ils ne tenaient pas à se faire remarquer, l’un ou l’autre de ses amants.

Lorsque Chonchon avait entendu Maxime de Tergall se nommer, elle avait éprouvé à la fois une émotion violente et une satisfaction réelle.

Depuis la malencontreuse matinée, la chanteuse n’avait revu ni l’un ni l’autre de ses deux amants avoués. Elle était fort ennuyée de ce qui s’était produit et ne savait trop comment s’y prendre pour rattraper une situation terriblement compromise.

Dès lors, elle avait cru prudent et politique de ne pas manifester trop bruyamment son existence. Prudemment, elle était venue s’installer dans sa petite villa de Saint-Calais, ayant le soin toutefois de faire savoir aussi bien à Chambérieux qu’au marquis de Tergall qu’elle s’y trouvait.

Dans l’après-midi, Chonchon avait eu une première surprise que lui apportait une lettre dont elle avait longuement et à maintes reprises lu et relu le contenu.

Puis, le soir, c’était l’arrivée du marquis.

À peine la porte se fut-elle refermée que les deux amants pénétraient dans un petit salon discrètement éclairé d’une lumière douce, tamisée par un grand abat-jour. Chonchon, qui se rendait fort bien compte qu’elle allait avoir à jouer une partie décisive, attendait l’attaque, prête à riposter de son mieux, mais ne voulant pas entamer les hostilités. Le marquis, d’autre part, ne semblait guère disposé à prendre le premier la parole.

Tergall avait un air préoccupé, soucieux, il ne s’était pas assis, mais demeurait immobile au milieu de la pièce, considérant d’un air vague et presque surpris, tous ces objets familiers qu’il connaissait si bien. Et il semblait étonné que rien ne fût changé dans ce petit salon confortable et charmant, où il avait passé de si bonnes heures, alors qu’en se rappelant les récents événements, il avait l’impression au contraire que quelque chose d’énorme s’était produit, un cyclone, un typhon, un cataclysme. Et tous ces bibelots existaient encore ?

Mais soudain, Maxime de Tergall se précipita aux pieds de la jeune femme :

— Chonchon, s’écria-t-il d’une voix étranglée par l’émotion, cependant que ses yeux se remplissaient de larmes, ne m’aimes-tu donc pas ? Pourquoi m’avoir trompé lâchement, méchamment, et surtout avec cet ignoble individu, ce bandit, ce criminel, avec Chambérieux ? Ah, je m’étais juré de ne te pardonner jamais, de rompre désormais toutes relations avec toi et je le ferai, je le ferai. Mais auparavant, je veux savoir ce qui s’est passé, j’exige une explication.

Chonchon était une femme perspicace. Avant de répondre, elle considéra un instant l’homme qui lui ordonnait ainsi de parler. Il n’avait pas l’air bien terrible, cet accusateur, ce maître qui dictait ses instructions, à genoux devant celle qui les écoutait. Et Chonchon se rendait compte qu’elle avait affaire à un esclave qui la suppliait et que d’ici quelques instants, si elle savait s’y prendre, c’était Maxime de Tergall qui finirait par lui demander pardon.

Chonchon ayant prolongé suffisamment le silence articula lentement :

— Pauvre ami, comme je t’ai fait souffrir. Et pourtant ça n’est pas ma faute. Crois bien que moi, de mon côté, j’étais, je suis encore bien malheureuse. Hélas, je le reconnais, j’ai eu tort, j’aurais dû tout te dire, mais je ne voulais pas te faire de peine. Voilà, nous autres, pauvres femmes, nous sommes toujours victimes de notre délicatesse et de notre cœur.

— Que veux-tu dire ?

Chonchon s’expliqua :

— Comprends-moi bien, fit-elle, je ne t’ai pas trompé, je ne t’ai jamais trompé avec Chambérieux.

Le marquis de Tergall était disposé à admettre bien des choses, mais néanmoins, à cette déclaration, il sursauta, il bondit en arrière.

— Tu ne m’as pas trompé ? Ça, par exemple !

Chonchon l’interrompit :

— Laisse-moi finir, poursuivit-elle.

Puis, elle ajoutait les yeux baissés :

— C’est lui que j’ai trompé avec toi. Oui, continua-t-elle en s’animant, il est mon amant en titre, il l’était déjà bien avant que je te connaisse. Naturellement, je ne l’aime pas, c’est toi que j’aime, mais quand je t’ai connu je n’étais pas, je ne pouvais pas être sûre de ta fidélité. Seulement, pour ne pas éveiller ta jalousie, je t’ai caché l’existence de Chambérieux. Je ne t’ai pas raconté nos relations. Était-ce bien la peine ?

— Mon Dieu ! est-ce possible ?

— Je ne pouvais pas avoir une grande confiance en toi, et même depuis que je te connais, je n’ose envisager l’avenir. N’es-tu pas marié ?

— Hélas si, mais cela n’a pas d’importance.

— Cela en a beaucoup, dit Chonchon. Voyons, Maxime, ne parlons plus de ces choses, c’est un mauvais rêve qu’il faut oublier. Il se trouve que nous avons l’un et l’autre, dans nos existences respectives, des personnes dont le souvenir nous est pénible à évoquer. Tu as ta femme, j’ai Chambérieux. Après tout, nous sommes quittes, oublions-le.

Le marquis de Tergall ne demandait pas mieux que de se rendre aux objurgations de sa maîtresse.

— Tu as raison, Chonchon, oublions, puisque nous sommes en présence de l’irréparable et que rien, pour le moment ne nous permet de modifier cette situation.

Le marquis s’était relevé, il vint s’asseoir sur le canapé, à côté de la chanteuse, passa son bras autour de la taille de celle-ci. Mais soudain, Chonchon se recula :

— Chut.

Puis elle interrogea brusquement :

— Quelle heure est-il ? Dépêche-toi de me le dire.

— Dix heures et quart.

— Bon, nous avons encore une demi-heure.

Le visage du marquis exprima soudain une vive contrariété.


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