La portière s’ouvrit, Blanche Perrier sentit qu’une main robuste et vigoureuse la prenait par le bras, la tirait contre lui.
Son supplice ne devait plus durer. Une à une, les cordes qui la serraient se délièrent et les bandeaux qui lui couvraient les yeux et la bouche tombèrent. Ouvrant des yeux hagards et terrifiés, Blanche Perrier regarda autour d’elle. Elle se trouvait devant le perron d’une maison d’assez belle apparence dont la porte était ouverte. Un homme était à côté d’elle, un seul, celui qui l’avait enlevée, c’était assurément lui qui avait conduit l’automobile jusqu’à ce lieu. II avait toujours son loup noir sur le visage. Blanche Perrier se laissa tomber à genoux, joignit les mains :
— Que me voulez-vous ? Qu’avez-vous fait de mon enfant ?
— Je n’ai pas à répondre à vos questions, Blanche Perrier. Qu’il vous suffise de savoir que si vous exécutez les ordres que je vais vous donner, il ne vous sera point fait de mal.
— Mais mon enfant ?
— Si vous obéissez, il sera épargné. Voici une maison, dans laquelle vous allez entrer. Vous monterez au premier étage. Vous pénétrerez dans une chambre, une fois là, vous attendrez. Est-ce clair ?
— J’attendrai quoi ?
— Vous verrez bien.
Et Blanche Perrier, dont le cœur battait à rompre la poitrine, s’introduisit dans la maison conformément aux ordres reçus. Elle sentit un froid glacial lui tomber sur les épaules, cependant qu’une forte odeur de moisi et de renfermé la prenait à la gorge. S’aidant de la rampe, elle gravit un escalier large, aux marches de pierre et parvint, comme l’avait annoncé l’homme, dans la chambre, où il lui était recommandé d’attendre. Cette pièce était sombre, nullement éclairée et par la fenêtre sans rideaux, tombait un rayon de lune qui permettait à la jeune femme de se rendre compte de l’endroit où elle se trouvait. La pièce était meublée d’un grand lit de fer, d’une table ronde, de deux armoires sans glace et de chaises de paille. Machinalement, elle allait jusqu’à la fenêtre et regarda dehors. Il lui sembla qu’elle était au milieu de la campagne, dans une maison grande et de belle apparence, et qu’entouraient des arbres dont la ramure touffue lui dissimulait l’horizon. Chose curieuse, alors qu’elle s’approchait de la fenêtre. Blanche Perrier vit l’automobile qui l’avait amenée disparaître à l’extrémité d’une allée sablée qui tournait devant la maison. Son cœur se serra. Elle ne tenait pas à revoir celui qui l’avait amenée, mais elle frissonnait à l’idée de l’inconnu, se demandant de quel événement nouveau elle allait être la victime. Soudain, dans le silence, une question :
— Blanche Perrier ? êtes-vous là ?
Soudain, un bain de lumière. Blanche Perrier vit un inconnu devant elle. Il n’était pas masqué et la jeune femme, en l’apercevant, le reconnut. Elle poussa une exclamation de surprise, presque de joie :
— Monsieur, Monsieur, s’écria-t-elle, je vous reconnais, vous êtes, vous êtes…
— Je vous connais aussi, madame, je suis la personne qui, ce matin même, au palais de Justice, a eu l’occasion de s’entretenir avec vous.
Blanche Perrier poussa un soupir de soulagement.
— Monsieur, sauvez-moi. Je viens d’être enlevée par des bandits, j’ignore ce qu’ils me veulent, mais que m’importe mon sort si je sais ce qu’il advient de mon enfant ? savez-vous quelque chose ? Où est mon petit Jacques ?
— Rassurez-vous, madame, dit-il, il n’a été fait aucun mal à votre enfant, et il ne tient qu’à vous de le revoir d’ici peu, dans quelques instants même. Il est ici.
— Ah monsieur.
— Un instant, donnant, donnant.
— Qu’y a-t-il ? Qu’allez-vous me demander ?
— De vous asseoir, d’abord, et de m’écouter ensuite.
Blanche obéit, l’homme parla :
— Je tiens d’abord à vous dire, madame, qui je suis : Juve, inspecteur de la Sûreté, je vous dis mon nom pour vous seule, dans votre intérêt, je vous engage à ne faire savoir à qui que ce soit que nous sommes en relations. C’est moi, oui, c’est moi, qui vous ai fait enlever ce soir, dans une automobile à mon service.
— Monsieur, vous plaisantez ? ou alors, vous mentez, vous n’êtes pas de la police ?
— Je ne plaisante pas, madame, et je vous dis l’exacte vérité, c’est moi qui vous ai fait enlever, et voici pourquoi : par suite des insinuations, voire même des accusations portées contre vous par la famille Granjeard, M. Mourier, le juge d’instruction, a décidé cette après-midi de vous faire arrêter.
— Moi, monsieur ?
— Vous, madame, précisa l’homme qui poursuivit :
— Sans mon intervention, à l’heure qu’il est, vous coucheriez en prison. Or cela m’a déplu, et j’estime que le juge fait une maladresse en voulant s’emparer de vous. Je vous ai donc fait fuir, dissimulée à ses recherches. Vous pouvez m’en être reconnaissante.
Blanche avait écouté avec stupeur le début de ce récit. C’était d’abord un sentiment de gratitude qu’elle éprouvait pour cet homme, mais une seconde pensée lui vint à l’esprit :
— Mais cela ne me convient pas du tout, Monsieur. Je veux retourner à Paris. J’irai voir le juge d’instruction. Je lui dirai…
Juve lui coupa la parole :
— Je veux, est un mot, déclara-t-il d’un ton sec, que l’on n’emploie guère avec moi. Il faut m’obéir lorsque je donne des ordres, et je n’accepte jamais qu’ils soient discutés.
— Mais, que voulez-vous de moi ?
— J’allais vous le dire lorsque vous m’avez interrompu, je reprends. D’ici quelques jours, peut-être après-demain, peut-être plus tard, je vous amènerai une compagne, dont je vous instituerai la gardienne, vous serez deux ici, vous et cette jeune fille.
— Et mon enfant ?
— Mettons que vous serez trois puisque votre enfant va vous être rendu. Je continue : cette jeune fille, vous en aurez le plus grand soin et si elle manifeste des velléités de s’en aller, vous l’en empêcherez, même par la force. Est-ce compris ? est-ce entendu ? À ce prix seulement, vous reverrez votre fils.
— Mais que signifient toutes ces choses ? quel est le but mystérieux que vous poursuivez ? Pourquoi me faut-il promettre, obéir ?
— Vraiment, votre curiosité passe les bornes, je vous ai dit ce qu’il fallait faire, et vous obéirez.
— Je n’obéirai pas, je lutterai contre vous.
— Oh oh ! C’est de l’audace, mais je vous pardonne, vous êtes sous l’empire de la colère, vous ne savez pas ce que vous dites, ni à qui vous parlez. D’ailleurs, vous n’aurez pas à lutter contre moi, je m’en vais. Dans quelques minutes, vous serez seule avec votre fils, dans cette belle maison, dont je vous défends de sortir, dont je vous défie même de sortir, mais où vous trouverez tout.
— Monsieur, rien à faire, je vous jure que, sitôt que vous serez parti et que j’aurai retrouvé mon enfant, puisque vous me dites qu’il va m’être rendu, lui et moi, nous ne resterons pas une minute de plus dans cette maison sinistre.
— Venez, dit l’homme, je vais vous conduire auprès de Jacques.
Blanche se précipita. Le policier l’avait attirée sur le palier, puis, il la faisait entrer dans une pièce voisine. À peine s’y trouvait-elle, que la jeune femme poussait un cri de joie. Sur un épais tapis qui recouvrait le sol, le petit Jacques était assis, jouant avec une préoccupation intense, ayant devant lui un superbe chemin de fer mécanique, tout neuf.
— Jacques, mon enfant, mon chéri, s’écria la pauvre mère en l’apercevant.
Mais elle s’arrêta net, paralysée de stupeur. Elle voulut dire un mot, sa gorge se gonfla, des larmes jaillirent de ses yeux, à peine put elle balbutier :
— Mon Dieu, mon Dieu, qu’est-ce que ça signifie ?
Juve la regarda narquois :
— Vous voyez, fit-il, que j’avais raison de vous dire que vous ne quitteriez pas cette maison sans ma volonté.
Blanche baissa la tête, elle reconnaissait que le policier ne s’était pas trompé, qu’il avait usé, en effet, du meilleur moyen pour que sa prisonnière ne cherchât point à s’évader. Juve avait attaché son enfant d’une longue chaîne d’acier fixée à une extrémité de la pièce par un bout et par l’autre à une sorte de bracelet qui serrait le petit Jacques à la cheville droite, permettait certes à l’enfant, d’aller et venir, mais lui interdisait de sortir de la chambre, où il se trouvait.