Assurément, la grosse vieille femme devait être un chef, car quelques instants après elle franchissait le mur du couvent de l’Assomption, et derrière elle, s’introduisirent dans le parc une demi-douzaine d’hommes de police armés jusqu’aux dents.

Qui donc les dirigeait ? Quel but poursuivaient-ils ?

19 – L’EFFROYABLE ASSASSINAT

Incompréhensible et inexplicable, telle était la situation aux yeux de chacun de ceux qui, à un titre quelconque, en avaient été les acteurs depuis le début de cette nuit extraordinaire où la fuite plus ou moins réussie des prisonniers et de leurs gardiens, s’était compliquée de batailles, poursuites et coups de revolver.

Hélène, qui s’était enfuie avec le petit Jacques, avait appris une chose par l’intermédiaire de la vieille femme épileptique qu’elle soupçonnait d’être un policier : c’était que le couple, parti dans la direction opposée à la sienne, était constitué non point par Fandor et Blanche mais par le Bedeau et sa maîtresse Fleur-de-Rogue.

La jeune fille avait donc été fort alarmée, se demandant ce qu’il était advenu du journaliste et de son amie. Mais elle n’avait pas pu rentrer dans la propriété, et, se conformant au plan adopté avec ses compagnons quelques instants auparavant, elle avait décidé de se rendre au rendez-vous qu’ils s’étaient fixé les uns et les autres, pour se rejoindre après leur évasion.

En réalité, Fandor, au moment où il s’était élancé à la poursuite de l’individu qu’il croyait être Fantômas, avait été brusquement appréhendé, renversé en arrière. Quant à Blanche, terrifiée par le tapage, les cris et les détonations, et croyant suivre Hélène qui emportait son fils, elle s’élançait en courant dans une allée du parc, qu’elle suivait à perdre haleine. L’allée était obscure, étroite, à chaque instant la malheureuse femme se heurtait à un obstacle du chemin, se prenait le pied dans une racine, elle tombait, se meurtrissait les genoux, les mains, mais, ardente à fuir, elle se relevait, courait encore. Au bout de quelques instants. Blanche manqua défaillir, une balle avait sifflé à son oreille. On la poursuivait donc ? Elle étouffa un cri de terreur, pressa encore son allure qui devint une course folle, désordonnée.

Le chemin tourna. Soudain, Blanche s’arrêta net :

— Mon Dieu, cria-t-elle, sur le ton d’un indicible désespoir.

L’infortunée jeune femme, tombait à genoux sur une marche de pierre, la première marche d’un perron qu’elle connaissait bien, d’un perron qui n’était autre que celui qui accédait à l’entrée principale du couvent dans lequel elle était captive depuis quelque temps et dont elle venait d’essayer de s’enfuir.

Blanche se demandait comment il se faisait, qu’après être sortie de cette maison, quelques instants auparavant, elle se retrouvait maintenant à son point de départ, et la malheureuse était si troublée, si désorientée, qu’elle ne se rendait pas compte que, pendant sa course folle, elle avait suivi une allée circulaire qui l’avait effectivement ramenée à son point de départ.

Un pale rayon de lune éclairait le perron, et Blanche Perrier eut peur d’être remarquée, aperçue, par les mystérieux agresseurs, les terribles meurtriers qui, depuis dix minutes, tiraient des coups de fusil ou de revolver dans l’ombre épaisse du parc.

Alors machinalement, n’osant pas rebrousser chemin, elle regagna la maison dans l’espoir d’y trouver une plus grande sécurité. L’intérieur du couvent semblait désert, des portes étaient ouvertes, les rares meubles laissés dans les pièces après le départ des religieuses avaient été bousculés, renversés. Assurément, dans ces salles, il y avait eu lutte, quelques instants auparavant.

Blanche s’arrêta une seconde, pour souffler. Mais sa tranquillité ne devait point durer. Elle entendit des bruits de pas précipités à l’extérieur de la maison, des pas qui se rapprochaient. Des claquements secs retentirent également, et bien qu’elle fût peu au courant de ces choses, la malheureuse soupçonna qu’il devait s’agir d’armes que l’on rechargeait.

Puis, brusquement, presque sous la fenêtre de la pièce, où elle se trouvait, la fusillade crépita. Des lueurs rouges, sinistres, vinrent frapper ses yeux agrandis par la terreur. Blanche entendit des cris de fureur et de souffrance, et stimulée par une épouvante qui croissait sans cesse, elle quitta la pièce où elle s’était dissimulée, alla droit devant elle, avançant toujours au hasard des portes ouvertes qui semblaient lui indiquer le chemin à suivre.

Sans doute, Blanche avait bien fait. Les bruits de pas se rapprochaient. Ils provenaient de la maison, et c’était désormais dans le hall que les coups de feu retentissaient, suivis de bruits bizarres, de cliquetis qui faisaient comprendre que des objets lourds tombaient sur le sol, ou que des vitres perforées par les balles venaient se briser sur les dalles de pierre.

Blanche qui, enfin, s’était arrêtée dans une pièce située tout à l’extrémité de la maison, répéta :

— C’est une boucherie, une effroyable boucherie.

Ses dents claquaient de peur et ses exclamations interrompaient une plainte sourde, monotone.

— Mon enfant, qu’est devenu mon enfant ?

Soudain, la porte de la pièce dans laquelle elle se trouvait, et qu’elle avait refermée de son mieux, s’ébranla, s’ouvrit tout entière.

Blanche sentit son cœur battre violemment dans sa poitrine, l’homme qui s’introduisait dans la cachette où la malheureuse se croyait en sécurité, venait de pousser un formidable juron et à haute voix, il grommela :

— Imbécile que je suis, ce n’est plus la peine de tourner le commutateur, cet animal de Bedeau depuis qu’il est parti, a naturellement abandonné le moteur qui faisait marcher l’électricité, nous n’avons plus de lumière.

Blanche l’entendait, elle se félicitait déjà du renseignement. Peut-être allait-elle passer inaperçue du fait que la lumière manquait ?

Et, dans l’angle de la pièce où elle se trouvait, elle se recroquevilla de son mieux, se fit toute petite, s’empêcha de respirer pour ne pas attirer l’attention de l’arrivant. Mais son espoir ne devait pas être exaucé, car l’homme avait fait craquer une allumette, il l’approcha d’une lanterne qu’il avait apportée avec lui, la mèche s’alluma, la lampe projeta une lueur blafarde sur la salle, que l’homme examina soigneusement aux rayons de son fanal.

Blanche fut éclairée par ce rayon, et l’apercevant, l’homme poussa un cri de triomphe.

Mais la jeune femme qui voyait l’arrivant avait, elle aussi, un cri, et ce cri n’était point un cri de terreur, mais plutôt un cri de soulagement, presque de satisfaction :

— Juve, c’est Juve, je suis sauvée.

Blanche alla vers le policier, l’homme qu’elle reconnaissait pour être celui qui, quelques jours auparavant, l’avait enfermée dans le couvent, rendue prisonnière, et constituée gardienne de son amie Hélène :

— Monsieur ? Monsieur ? interrogea Blanche alarmée, que se passe-t-il ? renseignez-moi ! Que signifient ces coups de feu ? Où est mon enfant ? Où sont mes amis ?

L’homme avait posé sa lanterne sur une petite table ; il considéra Blanche d’un air sinistre, les bras croisés, le front plissé. Puis il ricana.

— Blanche Perrier, déclara-t-il, le moment des explications est venu. Écoute. Tu m’as désobéi, tu vas être châtiée. Ta punition servira d’exemple, montrera que ce n’est jamais impunément que l’on enfreint mes ordres.

— Mais qu’ai-je fait ? demanda-t-elle interdite, en quoi vous ai-je désobéi ?

— Tu as cherché à fuir malgré ma défense, tu as quitté le couvent en emmenant avec toi Hélène et ton enfant.

— Mais, protesta Blanche au comble de la stupéfaction, si j’ai agi de la sorte, c’est sur les conseils de votre meilleur ami, de celui que vous considérez, comme votre frère, comme votre fils, sur le conseil de Jérôme Fandor.

— Ah, ah, Fandor, mon meilleur ami ? mon frère ? mon fils ? ah oui donc !


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