Il s’arrêta un instant, fit quelques pas, dans la pièce, jeta sur Blanche de plus en plus abasourdie, des regards féroces, puis, soudain, il bondit sur elle, lui prit le poignet, attira la jeune femme contre lui.
— Écoute bien, Blanche Perrier, dit-il, et retiens ce que je vais te dire, car ce sont les dernières paroles que tu entendras.
— Les dernières paroles ?
— Les dernières paroles, car tu vas mourir.
— Mourir ? pourquoi ? Qu’ai-je fait ? Grâce, Juve, Juve, défendez-moi !
— Te défendre ? Allons donc. C’est moi qui vais te tuer.
Déployant une vigueur extraordinaire de la part de sa frêle personne, Blanche Perrier s’arracha à l’étreinte de celui qui la maintenait.
— C’est impossible, hurla-t-elle, Juve ne tue pas. Juve n’est pas un assassin. Juve, au contraire, sauvegarde et protège.
Elle n’acheva pas.
— Triple sotte, tu n’as donc pas compris qui je suis ? Moi, l’homme qui te parle en ce moment ? Celui qui va te châtier et te faire périr ? Aussi bien en ai-je assez de passer sans cesse pour Juve, Juve le perspicace, Juve l’honnête homme, Juve l’irréprochable. Non, non, je ne suis pas cela et je m’en vante. Regarde-moi bien Blanche Perrier, pour que tes yeux emportent jusqu’au fond de la tombe le souvenir de mon visage. Je ne suis pas Juve. Je suis Fantômas. Fantômas !
Blanche Perrier bondit à travers la pièce comme une bête fauve, comme une folle. Elle allait au hasard, se heurtant aux murs, trébuchant dans les meubles, ensanglantant ses mains au contact de pointes qu’elle rencontrait, de vitres brisées, mais, insensible, indifférente, elle allait quand même, comme si elle voulait enfoncer les murs, rompre les cloisons. Le sang coulait sur tout son corps, elle était à demi dévêtue, ses vêtements se déchiraient, tombaient par lambeaux, et sa lourde, son opulente chevelure complètement défaite, flottait sur sa nuque et ses épaules. Assurément, elle était belle à voir, dans la tragique horreur de son épouvante.
Fantômas, à deux ou trois reprises, avait poussé des jurons d’impatience. En vain, avait-il cherché à recharger son revolver, il n’avait pas trouvé une seule balle, il avait déjà tellement tiré qu’il ne lui restait plus de munitions :
— Quelle malchance, jura-t-il, est-ce qu’elle va m’échapper ?
Le monstre grinça des dents :
— Il faut pourtant que je la tue, cette mort est indispensable au plan que j’ai échafaudé, à toute la combinaison que je prépare. Blanche épargnée, vivante, ce serait la ruine de mes espérances et de mes projets.
Cependant, de l’extérieur, parvenaient des bruits qui faisaient tressaillir Fantômas.
Blanche Perrier les avait entendus aussi. Elle n’était pas de ces femmes qui se résignent aisément et que le désespoir ou la terreur paralyse. Elle sentait sa vigueur décupler. Les bruits lointains d’abord, mais qui se rapprochaient, lui donnèrent de l’espoir.
— Au secours, au secours ! hurla-t-elle.
Puis, elle s’arrêta une seconde, pour écouter, cependant que Fantômas grommelait :
— Malédiction !
Tous deux, en effet, avaient entendu que de l’extérieur, des voix avaient répondu à l’appel :
— Courage, avait crié quelqu’un, courage, on arrive !
Fantômas trépignait de colère, et se rendait compte que c’était désormais une lutte de vitesse, pour lui, avec les sauveteurs éventuels de Blanche, lutte dans laquelle il fallait triompher.
— Blanche ordonna-t-il, laisse-toi prendre. Obéis-moi, ta mort est certaine, mieux vaut pour toi qu’elle soit douce et rapide. Si tu résistes elle sera d’autant plus douloureuse.
Blanche se mit à rire. Se laisser prendre ? Ah, plutôt tout faire, même l’impossible. Désormais, elle se sentait un courage inouï pour résister. N’avait-elle pas entendu dire : on vient ? N’était-elle pas sûre que, dans quelques minutes, les hommes dont elle entendait le bruit des pas allaient venir l’arracher au monstre qui la menaçait ?
Mais Fantômas ne se résignait pas à laisser échapper ainsi sa victime, dont la mort revêtait une si grande importance à ses yeux. Le bandit avait jeté son arme, désormais inutile. Il poursuivait la malheureuse, courant après elle dans la pièce mal éclairée, encombrée d’un extraordinaire désordre : bassines de zinc, étagères en bois. De tous côtés, des ficelles étaient tendues comme pour supporter du linge. Il y avait de longues tables en équilibre sur des tréteaux. Toutes choses qui constituaient des obstacles et rendaient la poursuite de Fantômas plus difficile, la protection de Blanche Perrier plus certaine.
Mais soudain, au moment où Blanche échappait encore une fois à son terrible poursuivant, elle se sentit arrêtée net, renversée en arrière et elle ne comprenait pas pourquoi.
La chose cependant était simple : sa longue chevelure venait de se prendre dans un instrument bizarre, mais dont la présence dans cette ancienne buanderie s’expliquait. Ses lourdes nattes s’étaient engagées entre les deux cylindres en bois d’une machine à calendrer le linge, et dès lors, il semblait à le jeune femme que tout mouvement lui fût interdit. Fantômas, en une seconde, s’apercevait de la situation, et poussait un cri de triomphe, car il se rendait compte de tout le parti qu’il pouvait en tirer.
D’un geste violent, le monstre s’empara de la manivelle, et lui imprimant un mouvement brusque, il actionna la crémaillère. Celle-ci fit tourner le cylindre, et dès lors un cri effroyable de douleur humaine retentit, cependant que les yeux de Fantômas, pourtant habitués à voir tant d’horribles choses, se détournaient une seconde, pour ne pas contempler ce spectacle.
Attirée entre les deux rouleaux, et comme prise dans un engrenage, la chevelure épaisse et lourde de Blanche Perrier avait disparu, puis une force invincible avait attiré la tête de la jeune femme contre les rouleaux mêmes. L’effort continuait, un craquement effroyable se produisit, et tout à coup, en une seconde l’infortunée Blanche Perrier était scalpée vivante, sa peau s’arrachait à la nuque, entraînait ses oreilles, son front, ses joues, ne firent plus qu’une bouillie sanglante.
Mais Fantômas, après son premier mouvement d’émotion, prit une décision définitive. Hurlant sa rage et sa colère, il apostropha la malheureuse :
— Crève donc et qu’il ne soit plus question de toi.
Il ramassa le revolver qu’il avait lâché, en assena un coup violent sur le crâne de la pauvre femme, dont la cervelle jaillit de toutes parts.
Il était temps, Fantômas entendait toute une troupe de gens qui s’appelaient les uns les autres :
— La police, grommela-t-il, eh bien, ils s’en arrangeront.
Avec une surprenante agilité, repoussant du pied le cadavre qui baignait dans une mare de sang, Fantômas s’aida de la machine à calandrer pour monter jusqu’au niveau d’une fenêtre percée haut dans la pièce, puis, ouvrant la croisée, il sauta dans le vide, tomba dans le jardin, disparut dans la nuit.
Il s’était à peine enfui, que la porte de la buanderie s’ouvrait, un policier pénétra et s’arrêta sur le seuil, terrifié.
C’était Michel, l’un des meilleurs policiers, inspecteur de la Sûreté.
— Trop tard, murmura-t-il.
Puis d’une voix vibrante, il appela :
« Juve, Juve, venez donc. »
20 – LE BATEAU DES MOUCHES
Pris par derrière, violemment jeté sur le sol, accablé par une grêle de coups de poing qui lui meurtrissaient le crâne, Jérôme Fandor, au moment même où il pensait se saisir de Fantômas, avait été renversé et mis dans l’impossibilité de se défendre sans qu’il eût trop le temps de se rendre compte de ce qui se passait.
— Eh bien, pensait Fandor, elle est saumâtre, celle-là. Je vois le Fantômas devant moi. Je m’élance pour l’attraper. Je tends le bras et crac. C’est lui qui m’attrape par derrière, c’est lui qui me tambourine la tête avec ses poings. Il y a de quoi renoncer aux plus louables intentions.