Jérôme Fandor, en même temps, essayait de se dégager. Jamais, avec son caractère intrépide, son courage à toute épreuve, il n’eût accepté de ne point résister à un agresseur quelconque. De plus, instinctivement, et bien qu’il n’eût vu personne, il avait l’intuition que c’était Fantômas qui s’acharnait sur lui. C’était là un motif suffisant pour le pousser à résister de son mieux. À tâcher d’échapper à son agresseur, même si en résistant il risquait d’augmenter sa rage et de recevoir un coup de poignard ou quelques balles de revolver.
— Gigotons, se disait Fandor.
En conscience, Fandor s’appliquait à « gigoter » de son mieux. On lui maintenait la tête contre le sol. De la terre lui entrait dans les yeux, dans le nez, dans la bouche. Il étouffait à moitié, mais, profitant de ce que ses jambes étaient encore libres de toute entrave, que ses bras n’étaient point ligotés, il ruait tout en s’efforçant de secouer le poids qu’il avait sur la tête. Les ruades de Fandor ne rencontraient que le vide et, en voulant libérer sa tête, il parvenait tout bonnement à s’enfoncer le visage plus profond dans le sable, à se meurtrir douloureusement. Voilà. Il étouffait. L’horrible sensation de la mort commençait, que c’en était fini de lui et que selon son expression favorite : « le petit bonhomme était fichu ».
Fandor, heureusement, avait plus d’un tour dans son sac. Au moment même où il se sentait mourir, philosophe, il décida :
— Sapristi, puisqu’il le faut, mourons.
Cette décision, à laquelle se résignait si à propos Fandor était en réalité le fruit d’une réflexion fort avisée. Le journaliste, en effet, ne s’illusionnait pas le moins du monde sur le péril réel où il se trouvait :
— Si je continue à me débattre, se disait-il, il est évident que le premier résultat auquel je vais arriver sera de me faire tuer complètement, ensuite de me faire briser le crâne par l’énergumène qui me tient en sa puissance. Au contraire, si je meurs, il va me lâcher et dame, alors, j’ai une petite chance de ressusciter le moment venu.
— Mourons, dit Fandor.
Une dernier fois ses jambes battirent l’air, puis il ne résista plus, mou comme un sac de son. Et il mourut.
À présent, l’assassin ne le sentant plus se débattre, desserrait un peu son étreinte, cessait de le frapper, Fandor eut tout juste le temps de happer une bouffée d’air, de reprendre connaissance. Déjà, il se sentait saisi par les pieds, emporté en l’espace de quelques mètres, puis, jeté brutalement dans quelque chose, une caisse peut-être, où il se meurtrissait douloureusement, et là, enfin, réellement, il perdit conscience.
***
Quand il revint à la vie, il s’aperçut avec stupeur, non seulement qu’on venait de le précipiter dans un tonneau, mais encore qu’on avait rabattu le couvercle de ce tonneau, et qu’en grande hâte, à vigoureux coups de maillet, on en clouait le couvercle.
Certes, il avait frôlé la mort de près nombre de fois. Nombre de fois il avait senti le souffle glacial du sépulcre lui effleurer le front et il était toujours prêt à faire le sacrifice de sa vie, mais là, il eut peur, ou presque.
— Bouclé, se dit-il, je suis irrémédiablement bouclé dans ce tonneau. Hum, c’est un drôle de cercueil que l’on m’a choisi.
Et, comme il était très faible, étourdi encore par les coups qu’il avait reçus, mal remis de sa syncope, il demeura sans mouvement, cependant que l’on continuait de clouer le couvercle de son cercueil.
Enfin, les coups de maillet s’arrêtèrent. Jérôme Fandor, avait retrouvé toute sa lucidité. Il ne se rendait que mieux compte de ce que sa situation avait d’aventureux :
— Ce qui m’arrive est bien simple, se déclarait-il, j’ai été pris par Fantômas, Fantômas me croit mort et m’a enfermé dans un tonneau. Fantômas va laisser ce tonneau dans quelque coin ignoré et comme je n’ai aucun moyen de défoncer mon cercueil improvisé, je vais tout doucement crever de faim, de soif, d’asphyxie. C’est réjouissant.
Or, les réflexions du jeune homme, au moment même, furent brusquement interrompues.
Sa cachette se renversait à l’improviste, on roulait le tonneau et Jérôme Fandor, Diogène d’un nouveau genre, était bien obligé de subir l’étourdissant supplice de ce voyage à l’intérieur d’une barrique qui pivotait sur elle-même.
— Jadis, songeait le journaliste, j’ai déjà voyagé à l’intérieur d’un tonneau, mais c’était sans couvercle. Juve était avec moi et enfin nous échappions à Fantômas. Tandis qu’en ce moment… Où menait-on le tonneau ? Jérôme Fandor se le demandait. Après l’avoir roulé quelques minutes, lui avoir fait parcourir une soixantaine de mètres peut-être, Jérôme Fandor eut l’impression qu’on le relevait. Par bonheur, il avait la tête en haut. En même temps, il avait découvert une petite fente pour lui permettre de voir et lui éviter l’asphyxie.
Brusquement, il entendit quelqu’un qui disait :
— Dites donc, prenez garde, si cette sacrée barrique roulait, elle tomberait dans le trou.
Nouvel et surprenant accident, l’air du tonneau était naturellement chargé de vapeurs alcooliques et ces vapeurs finirent même par lui monter tellement au cerveau, que lentement, mais sûrement grisé, il se prit à chanter.
— C’est rigolo en diable, hurla le jeune homme, c’est farce comme tout, ce qui m’arrive, hé, là-bas, tavernier de mon cœur, ne me laisse pas moisir là-dedans ! Tue-moi, mais ne vous payez pas ma tête. Cré bon sang, si ça vous chante, enfermez-moi dans un tonneau plein, mais pas dans un tonneau vide.
Et puis, Fandor s’arrêta de parler. La vérité alors lui apparut :
— Qu’est-ce que je radote ? se demanda-t-il, je deviens saoul, vingt mille diables. Nous voilà propre. Pas à dire, coûte que coûte, il faut que je sorte de là.
Réagissant de toutes ses forces contre l’ivresse qui lui alourdissait les paupières, Fandor s’arc-bouta contre les parois du tonneau, s’efforçant de les défoncer. Il ne parvint même pas à les ébranler.
— De mieux en mieux. C’est solide comme un tonneau de vin de champagne. Non, au fait ce serait plutôt un bocal de cornichons, et moi, le cornichon. Ce que je dois avoir l’air cloche là-dedans.
N’avait-il pas entendu, quelques minutes avant, une voix qui disait :
— Si ce tonneau roulait, il tomberait dans le trou ?
Cela ne signifiait-il rien ? n’y avait-il rien à tirer de cette seule indication qu’il possédait relativement à sa situation ?
Fandor, après deux secondes de réflexion, se tenait ce discours :
— Mon tonneau est évidemment à côté d’un trou quelconque, je peux à la rigueur, en m’agitant comme un forcené, le faire dégringoler dans ce trou. Bon. Supposons que je le fasse, qu’arrivera-t-il ? De trois choses l’une : d’abord, si le trou est profond, j’ai grande chance de me briser le crâne, ensuite si le trou n’est pas trop profond, je peux espérer casser le tonneau sans trop me casser moi-même et de cette façon m’évader. Enfin, si le trou n’est pas profond du tout je n’obtiendrai aucun résultat, mais en tout cas je ne serai probablement pas plus en mauvaise posture que maintenant. Essayons. Il vaut encore mieux se briser le crâne que de périr lentement comme un rat muré dans un trou.
Il se recueillit un instant, une seconde. Il revit les visages de ceux qui lui étaient chers. Il songea à Hélène qui certainement devait être en sûreté, hors du couvent maudit. Il pensa à Juve peut-être encore en vie, mais il se roidit vite contre son émotion, il se brusqua :
— Allons-y.
À l’intérieur de son tonneau, Jérôme Fandor se livrait à une fantastique manœuvre. Comme un diable dans un bénitier, comme une sauterelle enfermée par des enfants dans une boîte, le journaliste s’agita, se démena.
Il finit de la sorte par ébranler le tonneau, il se mit dans la posture avec laquelle il avait le plus de facilité pour se renverser. Il en profita et, à un moment donné, alors qu’il ne s’y attendait plus, le tonneau bascula, roula quelques centimètres sur le sol, puis Jérôme Fandor le sentit crouler, c’était la chute.