La dégringolade ne dura même pas une seconde. Très vite, il toucha le fond du trou où il venait de choir.

Et, Jérôme Fandor qui s’était terriblement meurtri mais sans rien perdre de sa présence d’esprit, fulmina :

— Crédibisèque, pensait le journaliste, c’était bien la peine, tout à l’heure, de parler d’un trou. Mon tonneau n’est nullement disloqué, je me suis à peine fait mal. Parbleu, j’ai dû choir d’un mètre cinquante, de deux mètres tout au plus.

Où était-il maintenant ? Où sa prison avait-elle roulé ? Jérôme Fandor ne pouvait s’en faire aucune idée. L’ivresse, d’ailleurs, contre laquelle il avait lutté jusqu’alors, s’emparait de plus en plus de sa raison. Il comprenait qu’il était perdu, qu’il n’avait aucune chance de se tirer d’affaire, que personne ne pouvait venir à son secours. Dès lors, à quoi bon servait de lutter encore ?

Et quelques minutes après avoir eu le courage de risquer la chute du tonneau, Jérôme Fandor se résignait complètement au trépas inévitable. Il ferma les yeux. Il se laissa aller à la somnolence qui le gagnait. Débine noire. Il murmura pour lui seul :

— Mon pauvre vieux Fandor, tu étais un bon camarade, tiens, voilà mon dernier adieu, il est sincère.

***

Tandis que Fandor se débattait dans son tonneau que se passait-il dans le couvent de l’Assomption ?

Sous la conduite de la grosse vieille femme, ou plutôt de l’agent de police qui se cachait évidemment sous ce déguisement, les sergents de ville, fébrilement, fouillaient le couvent.

Ils ne trouvaient personne. Bien entendu, ils étaient arrivés trop tard. Mais ils découvraient en revanche le cadavre effroyablement mutilé de la malheureuse Blanche Perrier. Et juste au moment où Fandor se disait à lui-même un dernier adieu, les agents emportaient sur une civière improvisée faite de quelques planches, les restes de la malheureuse jeune femme.

En tête, précisément la grosse vieille femme. Elle guidait les porteurs, elle indiquait la marche à suivre :

— Par ici, mes amis, nous allons immédiatement appeler un fiacre et faire transporter le corps au domicile de la défunte. Ah, attendez un instant que je vous ouvre la porte.

Sous la conduite de la grosse vieille femme en effet, le cortège venait d’arriver au rez-de-chaussée de l’immeuble, devant une porte qui donnait sur le jardin.

La grosse femme fit jouer des verrous compliqués, tourna une clé dans la serrure, voulant ouvrir une porte qui résistait.

— Tiens.

Naturellement, la grosse vieille femme s’acharna à ouvrir le battant qui ne voulait pas tourner. Elle devait être, cette extraordinaire personne, d’une force herculéenne, car, s’y arc-boutant, elle réussit à repousser le battant. Il n’était pas fermé en effet, mais simplement maintenu, appuyé par un gros tonneau qui avait roulé tout contre.

— Au diable la barrique, pesta la grosse vieille femme qui, par le battant entrebâillé, apercevait ce qui lui faisait obstacle.

L’étrange personne donnait un coup d’épaule, le battant poussait le tonneau, qui roulait, la porte s’ouvrit, les agents pouvaient passer.

***

Dans son tonneau, Jérôme Fandor, aux trois quarts ivre, venait de se souhaiter son dernier adieu, lorsqu’à nouveau, une catastrophe se produisit, d’abord incompréhensible.

Depuis la chute, son tonneau n’était plus debout mais couché. Il avait eu la sensation qu’il avait rebondi plusieurs fois, roulé, puis qu’il s’était calé contre quelque chose. Jérôme Fandor ne bougeait plus, se tenait immobile, mais, soudain, le tonneau se mit à marcher, roula sur quelques mètres.

Mais le sol lui avait manqué encore une fois et Jérôme Fandor, précipité contre les parois de sa prison, manquait de s’y fendre le crâne, tandis que, tombant cette fois de très haut, le tonneau heurtait semblait-il des murailles, rebondissait de droite à gauche, roulait toujours.

Cela ne dura qu’une seconde, cette chute vertigineuse.

— C’est invraisemblable se disait Fandor, je retombe encore, où diable suis-je tombé ? en tout cas, je vais me briser le crâne.

Il se trompait. Au même moment, dans un heurt plus violent, le tonneau se disloqua et l’habitant de la barrique eut la surprise de choir, non pas sur un terrain solide, mais bien dans une masse d’eau profonde dans laquelle il coulait.

Non seulement l’eau amortit sa chute, mais encore sa fraîcheur rappela au sentiment des choses l’ivrogne involontaire.

Jérôme Fandor revint à la surface dégrisé et prêt à tirer parti des événements. Il comprenait d’ailleurs aussi ce qui venait de lui arriver.

Le tonneau était tombé dans un puits ; dans sa chute il s’était brisé et Jérôme Fandor avait la bonne chance de découvrir que le puits étant d’un ancien et petit modèle, il y avait une corde au bout de laquelle était attaché un seau qui pendait à portée de sa main.

— Hourrah ! s’écria le journaliste.

Et sans plus s’étonner, car, au fond de lui-même, il avait une telle confiance en son étoile qu’il acceptait son sauvetage comme une chose toute naturelle, Jérôme Fandor agrippa la corde et commença à se hisser hors du puits.

Le journaliste était évidemment doué d’un caractère extraordinaire, pour n’être pas complètement abruti par la série des aventures fantastiques qu’il venait de vivre, et aussi Jérôme Fandor, grâce à son existence perpétuellement acrobatique et dure, avait des muscles d’une résistance extrême. Comme les boxeurs et les gens qui luttent, le journaliste était presque insensible aux coups. Il se blessait rarement. De plus, gymnaste consommé, sa souplesse le préservait des chutes dangereuses.

Hors du puits, Jérôme Fandor, à bout de force, mais vaillant, s’assit sur la margelle.

— C’est simple comme bonjour, se dit Fandor, seulement il fallait y penser. Tout de même, je voudrais bien savoir qui a ouvert la porte. Celui-là m’a rendu un rude service, sans peut-être s’en douter.

Il était dit, malheureusement, que Jérôme Fandor ne devait pas pouvoir se reposer ce jour-là.

Une balle lui siffla aux oreilles, écorchant une pierre contre laquelle il était appuyé.

— Bigre, hurla Fandor, déjà sur ses pieds et courant à travers le parc peuplé d’ombres, il grêle des pruneaux.

La nuit était venue cependant. Dans le parc, Jérôme Fandor se faufilait avec d’autant plus de prestesse que, derrière lui, il apercevait sept ou huit inconnus à sa poursuite.

— Très mauvais, se dit le journaliste, des képis, des sabres, des boutons qui luisent. Ce sont de respectables flics qui me donnent la chasse. Décidément je n’ai pas de chance. Je sors des mains de Fantômas pour tomber dans celles des cognes.

Fuyant toujours, Fandor s’orienta dans le parc, trouva une porte ouverte, se jeta dans la rue de l’Assomption. Derrière lui, à cent mètres, des agents débouchaient, eux aussi, du couvent, hurlant à qui mieux mieux :

— À l’assassin ! Arrêtez-le !

— Ils sont charmants, pensa Fandor, et d’une discrétion.

À huit heures du soir, la rue de l’Assomption est quasi déserte, Jérôme Fandor, au grand galop, la suivit. Rue Raynouard, il remontait de quelques mètres, puis tourna à droite, s’élança vers les berges de la Seine. Arrivé près du fleuve il souffla :

— Je pense qu’ils ont perdu mes traces.

Les agents avaient si peu perdu de vue Fandor qu’ils apparaissaient en haut des berges :

— Cela se gâte.

Il jeta les yeux autour de lui, épouvanté, cherchant un endroit où se dissimuler. Il n’y en avait pas.

— Décidément, c’est charmant, reprit-il, sérieusement alarmé.

Mais, après une pause, une seconde d’hésitation, il éclata de rire :

— Ah, zut, après tout, murmura-t-il, il y a déjà sur la Seine les bateaux-mouches, je m’en vais lancer un bateau de mouches.

Le jeu de mots ne valait rien. L’idée était bonne. En trois enjambées, Jérôme Fandor franchit une légère passerelle reliant une péniche au quai.

On l’avait vu, les agents hurlaient :


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