Lorsque, quelques instants plus tard, Fantômas s’était éloigné, le front soucieux, l’air préoccupé, lorsqu’il avait abandonné la grande dame, celle-ci avait paru se réveiller d’un rêve :
— Il m’a juré qu’il m’aimait, dit-elle.
Puis, elle avait eu un geste découragé, un geste anxieux.
Dans le secret de sa conscience, dans le mystère de son cœur, elle se demandait assurément si Fantômas lui avait dit la vérité.
La nuit était tombée. Le grand salon où lady Beltham venait de recevoir Fantômas était envahi peu à peu par l’ombre.
***
Longtemps lady Beltham rêva dans la pièce, les yeux grands ouverts :
— Il m’a dit qu’il m’aimait…
Lady Beltham se raccrochait à cette phrase en désespérée. Elle voulait lui trouver un sens profond. Elle voulait se rappeler l’intonation qui lui avait servi à la dire, elle voulait savoir s’il avait été sincère. Mais était-ce bien possible ?
Lady Beltham se rappela les phénomènes étranges qui l’avaient inquiétée avant la venue de son amant. Qui était cette Rose Coutureau si mystérieusement apparue dans sa vie ? Pourquoi cette jeune fille qu’elle ne connaissait pas l’avait-elle volée, et aussi quelle était cette mystérieuse vieille femme dont la visite inattendue et les propos tragiques avaient bouleversé lady Beltham ?
— Mon Dieu, mon Dieu, gémissait la grande dame se retrouvant seule dans son salon, qui croire ? Pourquoi cette vieille femme, qui est la mère de Rose Coutureau, m’a-t-elle parlé de cette effroyable lettre ? Qui l’a écrite ? Qui, si ce n’est pas, si ce n’est pas Fantômas ?
Depuis longtemps lady Beltham vivait une vie si effacée, si retirée, que seul le Maître de l’Effroi connaissait son existence et pouvait s’intéresser à elle ou bien la menacer.
Sans doute, Fantômas avait dit que Juve était capable de la poursuivre, que c’était Juve qui avait combiné le vol de Rose Coutureau et la visite de cette vieille femme, peut-être simplement déguisée et cachant la personnalité de la jeune voleuse. Mais Fantômas ne pouvait pas avoir été sincère en affirmant de pareilles choses. Lady Beltham savait bien quelle était la droiture de caractère de Juve.
— Non. C’est impossible, murmurait la grande dame. Juve n’emploierait pas de semblables procédés pour m’effrayer. C’est impossible. Juve n’était pas un assassin, d’ailleurs.
Or, qui donc, sinon un assassin, pouvait annoncer à jour fixe sa mort et l’annoncer en termes si précis ?
Et, petit à petit, en réfléchissant ainsi, lady Beltham finit par décider que Fantômas lui avait joué une comédie d’amour mensongère. C’était lui, et ce ne pouvait être que lui, qui avait décidé de la tuer. Mais au moment où elle s’arrêtait à cette infernale pensée, lady Beltham hésitait encore.
Fantômas avait eu des accents si sincères pour lui jurer sa tendresse, il avait réellement paru si bouleversé lorsqu’elle lui avait confié sa peur, qu’elle ne pouvait, elle sa maîtresse, croire que, dans l’ombre, il préparait sa mort.
Lady Beltham, après avoir longtemps rêvé, se levait, sans plus même savoir si elle croyait au juste à la tendresse de Fantômas ou si elle en doutait. Une pensée cruelle, une pensée nouvelle encore venait d’empoisonner son cœur :
Si cependant il en aimait une autre ? Si je le gênais ?
Et, lady Beltham qui, elle, restait fidèle à cet amant redoutable, mais séduisant, pour lequel elle était tombée jusqu’au crime, devenait affreusement jalouse et connaissait aussi la peur, les affres douloureuses du soupçon.
Par un revirement subit et violent, la grande dame désormais ne se posait plus la question :
— M’aime-t-il encore ?
Son cœur d’amante effroyablement bouleversé, torturé à l’idée bientôt hallucinante, lui suggérait l’horrible certitude :
— Il en aime une autre ! Qui ? Quelle est cette femme ?
Lady Beltham dormit mal.
Elle n’avait point eu la force de toucher au repas que ses domestiques lui avaient servi. Elle connut d’abominables cauchemars. Plus de vingt fois dans la nuit, elle se réveilla haletante, la gorge serrée par une convulsion douloureuse, avec l’impression subite qu’on l’étranglait, qu’on la tuait. Lady Beltham, alors, d’un doigt fiévreux, tournait le commutateur électrique placé près de son lit. La lumière aveuglante lui permettait de voir sa chambre vide. À l’aspect paisible de la pièce, à l’air familier des meubles et des bibelots, la hantise se dissipait. Elle sourit presque de ses craintes, le sommeil l’emportait à nouveau, et puis encore brusquement, la peur la faisait se dresser sur son lit, effarée avec le goût de la mort aux lèvres et au cœur.
À huit heures du matin seulement, lady Beltham cessa de se débattre dans ces horribles cauchemars.
Sa femme de chambre entra et, lui apportant son petit déjeuner, annonça :
— Madame la comtesse a une lettre.
— Bien, Marie, donnez !
La femme de chambre partie, lady Beltham repoussa le déjeuner préparé sur un plateau à côté d’elle et s’empara de l’enveloppe qu’on venait de lui remettre.
— Mon Dieu, murmura la pauvre femme, qui donc peut m’écrire si ce n’est lui ?
Et lady Beltham, affolée, lut cette lettre surprenante :
Pour lady Beltham, 214, avenue Niel.
Madame,
Il faut que tout se paie et les crimes que vous avez accumulés méritent un châtiment exemplaire. N’avez-vous jamais eu de remords ? Ne vous êtes-vous jamais dit qu’un jour viendrait où la vengeance de vos victimes vous atteindrait sans merci, sans pitié ? Veuillez croire que, quelque tentative que vous fassiez pour échapper à votre destin, lady Beltham, vous mourrez le sept de ce mois, exécutée par celui qui vous écrit aujourd’hui et qui vous hait.
Il n’y avait pas de signature. Mais que voulait dire ce billet ?
Lady Beltham était si affolée par son étrange teneur qu’elle le relut plus de vingt fois sans en comprendre le sens.
Que voulaient dire ces phrases énigmatiques ? Que signifiait cette lettre adressée à la comtesse de Blangy, et dans laquelle il n’était parlé que de lady Beltham ?
Ah, sans doute, la malheureuse amante de Fantômas ne pouvait s’y tromper.
La lettre qu’elle recevait ce matin-là, c’était la lettre qu’avait annoncée la mère de Rose Coutureau, c’était la lettre de mort qui lui annonçait son assassinat.
Lady Beltham, sans en avoir conscience, relut les mots à haute voix :
Le sept de ce mois, vous mourrez exécutée par celui qui vous hait
Le sept de ce mois.
Elle jeta les yeux sur un mignon calendrier posé sur un petit secrétaire dans l’angle de sa chambre.
— Nous sommes le 5, murmurait lady Beltham, je n’ai donc plus que deux jours à vivre.
Un grand froid l’envahissait et son cœur cessait de battre.
— Dans deux jours je serai morte.
Elle répétait cette horrible chose avec une impassibilité qui tenait de la folie.
Était-ce bien possible pourtant ?
Et puis que de détails étranges ! Pourquoi cette lettre parlait-elle de châtiment et de vengeance ?
Qui donc pouvait la châtier ? Qui donc pouvait se venger d’elle ?
Lady Beltham examinait avec une angoisse folle la grande écriture inconnue.
Certes, elle ne s’était pas trompée. C’était une écriture déguisée, une écriture voulue, imitée, et lady Beltham se répéta soudain avec une persuasion absolue :
— C’est Fantômas qui m’écrit ! C’est Fantômas qui veut me tuer, et s’il a fait sa lettre énigmatique, si elle est conçue en des termes bizarres, c’est sans doute qu’il a voulu éviter jusqu’au dernier moment que je puisse éviter la mort qu’il me prépare.
Et elle songeait encore :
— C’est bien de lui, d’ailleurs, cette froide cruauté : prévenir d’avance la victime qu’il menace. Me tuer pour se débarrasser de moi, ce n’était pas assez. Il a voulu que je sache que j’allais mourir. S’il est venu hier c’était pour guetter sur mon visage les frissons de ma peur.